Nous fimes halte un moment pour boire et rafraichir nos chevaux, perdant ainsi une demi-heure. Dans la crainte d’etre reconnu, je n’osai pas entrer dans l’auberge, je rentrai a l’ecurie avec les chevaux.
Nous nous etions remis en marche, et nous avions fait environ vingt-cinq milles quand Sapt s’arreta brusquement.
«Ecoutez», cria-t-il.
Je tendis l’oreille. Tout la-bas, loin derriere nous, dans le calme du soir – il etait environ neuf heures et demie – on entendait distinctement resonner sur la route un bruit de pas de chevaux. Le vent assez fort portait le son. Je lancai un coup d’?il a Sapt.
«En avant!» cria-t-il, mettant son cheval au galop.
Lorsque, un peu plus loin, nous nous arretames pour ecouter de nouveau, nous n’entendimes plus rien. Puis encore il nous sembla percevoir le meme bruit. Sapt sauta a bas de son cheval, et colla son oreille contre terre.
«Ils sont deux, dit-il, a environ un mille derriere nous. Grace a Dieu, la route n’est pas en ligne droite et nous avons le vent pour nous.»
Nous reprimes le galop, conservant toujours a peu pres notre distance. Nous etions maintenant en pleine foret de Zenda: le fourre tres epais, le sentier qui zigzaguait nous empechaient de voir ceux qui nous poursuivaient, aussi bien qu’ils nous derobaient a leurs yeux. Une demi-heure plus tard, nous arrivions a l’embranchement de deux routes. Sapt arreta son cheval.
«Notre route est sur la droite, fit-il. La route de gauche mene au chateau. Huit milles environ. Descendez.
– Mais nous allons les avoir sur le dos, m’ecriai-je.
– Descendez», repeta-t-il rudement. Et j’obeis.
La foret est epaisse, meme dans la partie qui borde la route. Nous menames nos chevaux sous le couvert, couvrimes leurs yeux de nos mouchoirs, et attendimes.
«Vous voulez voir a qui nous avons affaire? fis-je a voix basse.
– Oui, et savoir ou ils vont», repondit-il. Il tenait son revolver a la main.
Le bruit se rapprochait. La lune, a son plein, brillait d’un vif eclat, argentant la route. Le terrain etait tres sec; impossible de relever la trace de nos chevaux.
«Les voila, murmura Sapt.
– C’est le duc!
– Je le pensais», repondit-il.
C’etait le duc, en effet, accompagne d’un gros homme que je connaissais bien, Max Holf, frere de Jean, le garde-chasse et valet de chambre de Sa Seigneurie. Maitre et valet etaient tout pres de nous: le duc arreta son cheval. Je vis le doigt de Sapt caresser la detente de son revolver.
Il aurait, j’en suis sur, donne dix ans de sa vie pour pouvoir tirer; c’eut ete tout plaisir; il aurait cueilli le duc Noir aussi aisement que j’aurais descendu un poulet dans une basse-cour. Je posai ma main sur son bras. Il me fit de la tete un signe qui me rassura. Il etait toujours pret a sacrifier ses preferences personnelles a son devoir.
«Vaut-il mieux aller au chateau ou au pavillon? demanda le duc Noir.
– Au chateau, je crois, Monseigneur, reprit son compagnon; au moins, la, nous saurons la verite.»
Le duc hesita un instant.
«Il m’avait semble entendre le bruit de chevaux au galop.
– Je n’ai rien entendu, Monseigneur.
– Il me semble que mieux vaudrait aller au pavillon.
– Mefiez-vous, Monseigneur. Si tout est bien, a quoi bon aller au pavillon? Dans le cas contraire, qui peut nous assurer que ce n’est pas un piege?»
Tout a coup, le cheval du duc se mit a hennir; dans la crainte qu’un des notres ne lui repondit, nous jetames nos manteaux sur la tete de nos braves betes. En meme temps, nous tenions nos pistolets braques sur le duc et son compagnon. S’ils nous avaient decouverts, c’etaient des hommes morts.
Michel reflechit un moment encore, puis s’ecria: «Va pour le chateau!»
Et donnant de l’eperon, il partit au galop. Sapt le suivit longtemps des yeux avec une telle expression de regret et de convoitise que je ne pus m’empecher de rire. Nous attendimes environ dix minutes.
«Vous avez entendu? fit Sapt: on a fait dire au duc Noir que tout allait bien.
– Qu’est-ce que cela peut vouloir dire?
– Dieu seul le sait, reprit Sapt, les sourcils fronces. En tout cas, la nouvelle l’a fait accourir en toute hate.»
Nous remontames a cheval, et nous nous remimes en route aussi vite que l’etat de fatigue de nos chevaux nous le permettait.
Pendant ces derniers milles, ni Sapt ni moi n’ouvrimes la bouche. Nous avions le c?ur devore d’inquietude.
«Tout est bien», avait dit le compagnon du duc Noir. Qu’est-ce que cela pouvait vouloir dire? Tout etait-il bien pour le roi?
Enfin, nous apercumes le pavillon, et, mettant nos chevaux au galop, nous atteignimes la grille. Silence complet, par un bruit, pas une ame. Nous mimes pied a terre. Tout a coup Sapt me saisit le bras.