La princesse rougit – oh! l’admirable carnation! – regardant droit devant elle.
J’etais fort embarrasse, ayant oublie de demander a Sapt l’etat exact des sentiments du souverain a l’egard de la princesse. Je ne pouvais oublier le baiser que j’avais donne a la princesse, mais je n’osais m’aventurer, et je me taisais.
Au bout de quelques minutes, la princesse, remise de son trouble, se tourna vers moi:
«Je ne saurais m’expliquer pourquoi; mais vous me paraissez un peu change, different de vous-meme aujourd’hui, Rodolphe.»
Le fait n’avait rien que de tres explicable, mais l’observation n’en etait pas moins inquietante. Elle reprit:
«Vous me semblez plus calme, plus pose, presque soucieux. Et est-ce que vous n’avez pas un peu maigri? Serait-il possible que vous commenciez a prendre la vie au serieux?»
La princesse semblait avoir du roi l’exacte opinion que Lady Burlesdon s’etait faite de moi-meme.
Je tendis mes nerfs; il fallait bien soutenir la conversation.
«Est-ce que cela vous plairait? demandai-je doucement.
– Vous connaissez mes idees, fit-elle en detournant les yeux.
– Quoi que vous puissiez desirer, dis-je, je m’efforcerai de le faire.»
Je la vis rougir et sourire, et je pensais que je faisais fort bien le jeu du roi; mais nul remords ne vint m’arreter; je continuai en toute securite:
«Je vous jure, ma chere cousine, que rien au monde ne m’a jamais fait l’impression que m’a faite cette ceremonie d’aujourd’hui.»
Elle sourit gaiement, mais presque aussitot son visage s’assombrit, et elle murmura en se penchant vers moi:
«Avez-vous remarque Michel?
– Oui, il n’avait pas l’air de s’amuser beaucoup.
– Je vous en prie, prenez garde, reprit-elle. Vraiment, vous n’etes pas assez prudent, Rodolphe. Et pourtant vous savez bien que votre frere…
– Je sais qu’il convoite ce que j’ai.
– C’est vrai. Mais chut!…»
Je sentais – c’est impardonnable a moi – que j’engageais le roi beaucoup plus que je n’avais le droit de le faire. Mais que voulez-vous, et comment resister a une voix si douce, a des yeux si tendres? Je perdais un peu la tete.
«Et aussi, continuai-je, quelque chose que je n’ai pas encore, mais dont je veux etre digne et que j’espere bien conquerir quelque jour.»
Voici sa reponse. Si j’avais ete le roi, elle m’eut rendu heureux, car je ne l’aurais pas consideree comme decourageante.
«Ne trouvez-vous pas que vous avez assez de responsabilites comme cela pour un jour, cousin?»
Je restai silencieux.
Boum! Boum!… Tra la la la la la! Nous arrivions au palais. Les trompettes sonnaient, les canons tonnaient. Des haies de laquais garnissaient les marches: j’offris la main a la princesse pour lui faire gravir les larges degres de marbre et je pris possession en grande pompe de la maison de mes ancetres. Je m’assis a ma propre table, ayant a ma droite ma cousine; de l’autre cote de la princesse etait le duc Noir, toujours triste et pensif. A ma gauche etait assis Son Eminence le cardinal. Sapt, impassible, se tenait debout derriere ma chaise au haut bout de la table. J’apercus Fritz von Tarlenheim, la figure toute pale, qui d’un seul coup vidait son verre de champagne, avec une precipitation febrile qui n’etait peut-etre pas d’etiquette.
«Et pendant ce temps-la, pensais-je, que peut bien faire le roi de Ruritanie?»
VI Le secret de la cave
Apres les peripeties de cette premiere journee ou j’avais reussi a jouer avec assez de bonheur mon role de roi de Ruritanie, nous nous trouvames seuls dans le cabinet de toilette du roi, Fritz von Tarlenheim, Sapt et moi. A bout de forces, je me jetai dans un fauteuil. Sapt alluma une pipe. Il n’exprimait pas sa satisfaction de l’etonnante reussite de notre entreprise hardie, mais tout en lui respirait la joie.
Le succes, aide peut-etre par le bon vin, avait fait de Fritz un autre homme.
«Voila une journee que vous n’oublierez pas de si tot, cria-t-il. Cela doit etre amusant de jouer au roi pendant douze heures. Mais faites attention, Rassendyll, n’engagez pas votre c?ur dans la partie. Je ne m’etonne pas que le duc Noir ait eu l’air plus sombre encore que de coutume. Vous et la princesse, vous paraissiez avoir tant de choses a vous dire!
– Qu’elle est belle! m’ecriai-je.
– Laissons la les femmes, grogna Sapt. Etes-vous pret a partir?
– Oui», fis-je avec un soupir.
Il etait cinq heures. A minuit, je me retrouverais Rodolphe Rassendyll comme devant. J’en fis la remarque en plaisantant.
«Vous aurez bien de la chance, reprit Sapt, si vous n’etes pas feu Rodolphe Rassendyll. Je ne suis pas tranquille, et tant que vous serez dans la ville, il me semblera sentir ma tete branler sur mes epaules. Vous savez qu’il est arrive un courrier de Zenda pour Michel. Il s’est retire dans une chambre pour lire la depeche. Je l’en ai vu