Derriere le marechal se tenait un petit homme sec, en grande robe a revers cramoisis.

«Le chancelier du royaume», murmura Sapt.

Le marechal, apres m’avoir souhaite la bienvenue en quelques mots pleins de loyalisme, me presenta les excuses du duc de Strelsau.

Le duc, parait-il, pris d’une indisposition subite, n’avait pu venir a la gare. Mais il demandait avec insistance la permission d’accompagner le roi a la cathedrale. J’exprimai mes regrets, acceptant avec la plus exquise bienveillance les excuses que me transmettait le marechal. Je recus ensuite les compliments d’un tres grand nombre de hauts personnages. Personne ne manifestant la moindre surprise ni le moindre soupcon, je repris confiance, et mon c?ur cessa de battre d’une facon desordonnee. Fritz, toutefois, etait encore tres pale, et la main qu’il tendit au vieux marechal tremblait comme la feuille.

Bientot on forma le cortege, et on se dirigea vers la sortie de la gare.

Je montai a cheval, le vieux marechal me tenant l’etrier. Les hauts fonctionnaires civils regagnerent leurs voitures, et moi, je commencai au pas, a travers les rues, une longue promenade triomphale, ayant a ma droite le marechal et a ma gauche Sapt, qui, en sa qualite de premier aide de camp, avait droit a cette place d’honneur.

La ville de Strelsau est mi-partie ancienne, mi-partie moderne. De larges boulevards, recemment perces, des quartiers neufs, peuples de riches hotels, enserrent les pittoresques et miserables petites rues de la vieille ville. Ces divisions geographiques, si je puis dire, correspondent, ainsi que Sapt me l’avait explique, a des divisions sociales plus importantes pour moi. La ville neuve est toute devouee au roi, tandis que le duc Michel de Strelsau est l’esperance, le heros, le favori de la vieille ville.

Ah! le brillant defile tout le long des grands boulevards jusqu’au large square ou s’eleve le palais royal. J’etais la au milieu de mes plus fideles partisans.

Toutes les maisons etaient tendues de rouge et ornees d’oriflammes et de devises; les rues etaient garnies de bancs et de chaises en gradins.

Je passais, saluant ici, saluant la, sous une avalanche de vivats et de benedictions. On criait, on agitait des mouchoirs; les balcons regorgeaient de femmes en toilettes claires qui battaient des mains, s’inclinaient et me regardaient avec les plus doux yeux du monde. Soudain, une pluie de roses rouges m’inonda, et l’une des fleurs, un frais bouton, s’etant logee dans la criniere de mon cheval, je la pris et la passai dans une des boutonnieres de mon uniforme.

Le marechal souriait sous sa grosse moustache; mais, bien que j’eusse plus d’une fois jete un regard de son cote, il m’avait ete impossible de deviner si ses sympathies etaient pour moi.

«La Rose Rouge, la Rose Rouge des Elphberg, marechal!» m’ecriai-je gaiement.

Je dis gaiement, si etrange que doive paraitre ce mot dans ma bouche a cette heure.

La verite, c’est que j’etais enivre d’air, grise d’enthousiasme. Ma parole, je me croyais vraiment roi, et, le regard triomphant, je levai les yeux vers le balcon charge de femmes d’ou pleuvaient les fleurs. Je tressaillis… Que vis-je la, me regardant? Ma compagne de voyage, Antoinette de Mauban, tres belle, avec un sourire plein d’orgueil sur les levres! Elle aussi, elle eut un brusque haut-le-corps, et je vis ses levres qui remuaient, tandis qu’elle se penchait pour me regarder.

Appelant a mon secours tout mon sang-froid, je la regardai droit dans les yeux, tandis que de la main je cherchais mon revolver. Que me serait-il arrive si elle avait crie tout a coup:

«Cet homme est un imposteur; il n’est pas le roi!»

Nous passames, et le marechal, se retournant sur sa selle, fit un geste de la main. Les cuirassiers se serrerent autour de nous, afin de tenir la foule a distance.

Nous quittions le quartier habite par mes partisans pour entrer sur le domaine du duc Michel, et ce mouvement, commande par le marechal, disait, plus, clairement que bien des paroles, quels pouvaient etre les sentiments de la population de cette partie de la ville. Mais, puisque le hasard m’avait fait roi, c’etait bien le moins que je jouasse mon role galamment.

«Pourquoi ce changement, marechal?» demandai-je.

Le marechal mordillait sa moustache blanche.

«C’est plus prudent, Sire», murmura-t-il.

J’arretai mon cheval.

«Que ceux qui sont en avant, dis-je, continuent jusqu’a ce qu’ils soient a cinquante metres environ. Quant a vous, marechal, a vous, colonel Sapt, et a vous, messieurs, attendez que je me sois egalement avance de cinquante metres. Veillez a ce que personne ne franchisse cette distance. Je veux que mon peuple voie que son roi a confiance en lui.»

Sapt posa la main sur mon bras comme pour m’arreter.

Je me degageai.

Le marechal hesitait.

«Ne me suis-je pas fait comprendre?» demandai-je.

Comme a contrec?ur et tout en mordillant sa moustache, il donna les ordres. Le vieux Sapt souriait dans sa barbe, en secouant la tete… Si j’avais ete tue en plein jour dans les rues de Strelsau, la situation de Sapt eut ete critique.

J’ai oublie de dire, je crois, que mon uniforme etait entierement blanc, brode d’or. Je portais un casque d’argent, damasquine d’or, et le large ruban de la Rose faisait bien en sautoir sur ma poitrine. Ce serait desobligeant pour le roi de faire de la modestie, et de ne pas avouer que je faisais fort belle figure. Ce fut l’avis du peuple, car, lorsque seul, a cheval, je m’avancai a travers les rues etroites, sombres et maigrement decorees de la vieille ville, il y eut d’abord un murmure, puis des bravos. Une femme, a une fenetre, au-dessus d’un restaurant, lanca le vieil adage local: «Il est roux, c’est un bon!»

Sur quoi, je me mis a rire, et soulevai mon casque, afin qu’elle put bien constater que mes cheveux etaient de

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