– La sagesse habite en vous, mon vieux Sapt, repliqua le roi. Mais, au fait, monsieur Rassendyll, quel est votre nom de bapteme?

– Celui de Votre Majeste, repondis-je, en saluant.

– A la bonne heure! Cela prouve que notre famille ne rougissait pas de nous.»

Il riait.

«Allons! Venez-vous-en, Rodolphe. Je ne suis pas chez moi ici; mais mon bien-aime frere Michel a mis une de ses habitations a ma disposition, et je ferai de mon mieux pour vous y bien recevoir.»

Il passa son bras sous le mien et, faisant signe aux autres de nous suivre, il m’emmena vers la gauche, a travers la foret.

Nous fimes une promenade d’un peu plus d’une demi-heure, tandis que le roi ne cessait de fumer et de plaisanter. Il se montrait plein d’interet pour ma famille et rit de bon c?ur lorsque je lui parlai des tableaux de notre galerie representant des Elphberg a cheveux roux, et il s’esclaffa tout a fait quand il apprit que j’avais cache mon voyage en Ruritanie a ma famille.

«Alors c’est «incognito» que vous etes venu faire visite a votre garnement de cousin?» demanda-t-il.

Tout a coup, au sortir de la foret, nous nous trouvames devant un petit pavillon de chasse fort modeste. C’etait une construction a un seul etage, une sorte de «bungalow», bati entierement en bois.

En nous voyant approcher, un petit homme, en livree tres simple, vint au-devant de nous. La seule personne que je vis en dehors de ce domestique, ce fut une grosse femme d’un certain age, que j’ai su, depuis, etre la mere de Jean, le garde-chasse du duc.

«Le diner est-il pret, Joseph?» demanda le roi.

Le petit domestique repondit par l’affirmative, et nous nous attablames devant un simple, mais plantureux repas.

Je remarquai que le roi mangeait de bon c?ur, que Fritz von Tarlenheim y mettait plus de facon, que le vieux Sapt devorait. Quant a moi, je fais toujours honneur a un bon diner; il n’y a pas de meilleure fourchette dans toute l’Angleterre. Le roi remarqua ma maniere de faire et l’approuva.

«Nous sommes tous de gros mangeurs, nous autres, Elphberg, dit-il. Mais on nous laisse mourir de soif, ici; nous mangeons sec. Du vin, Joseph; du vin, mon ami. Sommes-nous des betes pour manger sans boire? Nous prends-tu pour du betail, Joseph?»

Joseph, sensible a ce reproche, s’empressa d’apporter force bouteilles de vin.

«Pensez a demain, dit Fritz.

– Oui, pensez a demain», repeta le vieux Sapt.

Le roi vida son verre a la sante de son «cousin Rodolphe», comme il disait.

Je lui rendis sa politesse en buvant aux cheveux roux des Elphberg, ce qui excita grandement la gaiete du roi.

Si la nourriture etait simple, les vins etaient exquis et de grands crus; nous leur fimes honneur. Fritz, une fois, tenta d’arreter le bras du roi.

«Bah! fit celui-ci; vous savez bien, maitre Fritz, que vous partez deux heures avant moi. J’ai deux heures de bonnes.»

Tarlenheim vit que je ne comprenais pas.

«Le colonel et moi, expliqua-t-il, nous partons a six heures; nous allons a cheval a Zenda, et nous revenons avec la garde d’honneur chercher le roi a huit heures. Nous nous rendons alors tous ensemble a la station.

– Qu’elle aille se faire pendre, cette garde-la, grommela Sapt.

– Oh! c’est tres aimable a mon frere d’avoir reclame pour son regiment cet honneur! dit le roi. Voyons, cousin, rien ne vous presse… Vidons ensemble une derniere bouteille.»

La bouteille debouchee fut bue, en grande partie, je dois l’avouer, par Sa Majeste.

Fritz avait renonce depuis longtemps a essayer de moderer le roi; il se laissait meme entrainer par le mauvais exemple, et bientot nous en eumes tous plus que notre compte. Le roi se mit a parler de ce qu’il ferait dans l’avenir, le vieux Sapt de ce qu’il avait fait autrefois; Fritz revait tout haut et, moi, je chantais les merites extraordinaires des Elphberg.

Nous parlions tous a la fois, et suivions a la lettre le conseil de Sapt de ne pas nous embarrasser du lendemain.

A la fin, pourtant, le roi posa son verre, et se rejeta en arriere sur sa chaise.

«J’ai assez bu comme cela, dit-il.

– Ce n’est pas a moi a contredire le roi», fis-je.

Dieu sait si jamais observation fut plus vraie.

Je parlais encore quand Joseph posa devant le roi une vieille bouteille toute couverte de la poussiere des ans. Il y avait si longtemps qu’elle dormait dans un coin sombre de la cave, la chere vieille, qu’il semblait qu’elle ne put supporter l’eclat des bougies.

«Sa Seigneurie le duc de Strelsau m’a charge de presenter ce vin au roi quand le roi serait las de tous les autres. Il prie le roi de le boire par amitie pour lui.

– Vive le duc Noir! cria le roi. Allons, fais sauter le bouchon, Joseph! Pense-t-il pas que je vais bouder devant une bouteille de vin?»

Le bouchon sauta, et Joseph emplit le verre du roi.

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