ressortir, pale, les yeux hagards, comme un homme qui vient de voir un spectre.

– Je suis pret», fis-je.

Les nouvelles de Sapt augmentaient, s’il se peut, mon desir de ne pas m’attarder. Sapt s’assit.

«Il faut que je redige un ordre nous permettant de sortir de la ville. Vous savez que le duc Michel en est le gouverneur et nous devons eviter le moindre obstacle. Vous allez signer ce laisser-passer.

– Mon cher colonel, je n’ai jamais appris a faire des faux.» Sapt sortit de sa poche une feuille de papier.

«Voici une signature du roi, dit-il, et voila – il fouilla encore une fois dans sa poche – du papier a decalquer. Si vous ne pouvez pas imiter un joli «Rodolphe» en dix minutes, eh bien!… moi, je peux.

– Votre education a ete beaucoup plus complete que la mienne, fis-je, c’est vous qui ecrirez le «Rodolphe»!»

Et cet etrange heros vint a bout d’une signature royale tout a fait acceptable.

«Maintenant, Fritz, ajouta-t-il, c’est bien entendu, le roi est couche, il est fatigue, personne au monde ne doit le voir avant demain neuf heures. Vous comprenez: personne au monde.

– Je comprends, repondit Fritz.

– Il se pourrait que Michel vint et insistat pour parler au roi. Vous repondriez que, seuls, les princes du sang ont acces la nuit aupres de Sa Majeste.

– Cette reponse ne me gagnera pas le c?ur de Michel, reprit Fritz en riant.

– Si on ouvre cette porte pendant notre absence, il ne faut pas que je vous retrouve vivant pour me le raconter.

– Inutile de me faire la lecon, colonel, interrompit Fritz avec hauteur.

– Tenez, continua Sapt en se tournant vers moi, enveloppez-vous dans ce manteau, et mettez ce bonnet sur votre tete. Mon ordonnance m’accompagne, ce soir, au pavillon de chasse.

– Je ne vois a ce beau projet qu’un obstacle, observai-je: c’est que je ne connais pas de cheval au monde capable de faire un trajet de quinze lieues avec moi sur son dos.

– Il y en a un pourtant, il y en a meme deux: le premier est ici, le second au pavillon. Voyons, etes-vous pret?

– Je suis pret.»

Fritz me tendit la main. «Au cas…»

Et nous nous embrassames.

«Allons, pas de sentiment, grogna Sapt. En route.»

Et il se dirigea non du cote de la porte, mais vers un panneau dans la muraille qu’il fit glisser, et qui nous livra passage.

«Sous le regne du vieux roi, dit-il, c’etait un chemin que je prenais souvent.»

Je le suivis le long d’un etroit passage, au bout duquel nous trouvames une lourde porte de chene. Sapt l’ouvrit. Elle donnait sur une rue tranquille qui longeait l’extremite des jardins du palais. Un homme nous attendait la avec deux chevaux: un magnifique bai brun, une bete superbe, charpentee de maniere a ne flechir sous aucun poids, et un vigoureux alezan brule. Sapt me fit signe d’enfourcher le bai, et, sans prononcer une parole, nous nous mimes en route.

La ville etait encore pleine de bruit et de gaiete, derniers echos de la fete, mais nous choisimes les quartiers tranquilles. Mon manteau m’enveloppait entierement et me cachait la moitie de la figure; le large bonnet dissimulait mes cheveux revelateurs. Sur les indications de Sapt, je me couchai sur ma selle et je trottai le dos tellement courbe que j’espere bien n’avoir plus jamais a me livrer a cet exercice sur un cheval. Nous enfilames un sentier long et etroit ou nous rencontrames pas mal de vagabonds et de bruyants chemineaux. Et, comme nous galopions, nous entendimes les cloches de la cathedrale qui lancaient encore a tous les echos leur sonnerie de bienvenue au roi. Il pouvait etre six heures et demie, et la nuit commencait a tomber. Enfin nous atteignimes l’enceinte de la ville, et nous nous arretames devant une porte fermee.

«Arme au poing, me souffla Sapt. S’il essaye de parler, il faut lui fermer la bouche.»

J’armai mon revolver. Sapt appela le gardien. Le ciel nous protegeait! Une fillette de treize a quatorze ans parut sur le seuil.

«Pardon, monsieur, mais papa, est alle voir le roi, et il a dit que je ne devais pas ouvrir la porte.

– Vraiment, mon enfant! dit Sapt, en mettant pied a terre. Il faut lui obeir. Donnez-moi la clef.»

L’enfant avait la clef dans la main: Sapt la prit, mit a la place une couronne.

«D’ailleurs, j’ai un ordre signe: tu le montreras a ton pere. Ordonnance, ouvrez la grille.»

Je sautai a bas de mon cheval. A nous deux, nous parvinmes a ouvrir la lourde grille, nous fimes sortir nos chevaux, et nous la refermames derriere nous.

«Que Dieu protege le gardien! Il ne fera pas bon etre a sa place si Michel apprend la chose. Allons, l’ami, un petit temps de galop, mais modere, tant que nous serons pres de la ville.»

Une fois hors de la ville, le danger devenait moins pressant. La campagne etait deserte, les maisons fermees, tous les habitants s’etaient attardes en ville a boire et a s’amuser. A mesure que le jour tombait, nous pressions notre allure. La nuit etait splendide. Bientot la lune parut. Nous parlions peu, et seulement pour constater la distance parcourue.

«Je voudrais bien savoir pourtant, dis-je, ce que les depeches du duc lui annoncaient.

– Je me le demande.»

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