– On a parfaitement raison, Sire: Votre Majeste doit me laisser partir. J’ai fait ici tout ce que j’avais a faire.
– Et vous l’avez fait comme nul homme ne l’eut fait. Quand on me reverra, j’aurai laisse pousser ma barbe, je serai maigri, devaste par la maladie. On ne s’etonnera pas de trouver le roi si change de visage. Cousin, je ferai mon possible pour qu’on ne le trouve pas non plus au moral. Vous m’avez montre comment doit se comporter un roi.
– Sire, interrompis-je, je vous en supplie: pas de compliments; je ne saurais les accepter de vous. C’est une grace speciale du ciel que je ne me sois pas montre envers vous plus traitre encore que votre frere.»
Il tourna vers moi des yeux interrogateurs; mais tout est effort pour un malade, et dechiffrer des enigmes n’est pas son fait; il n’avait point la force de m’interroger. Ses yeux pourtant s’arreterent un moment sur la bague de Flavie, que je portais a mon doigt. Je crus qu’il allait me faire quelques questions a ce sujet; mais, apres avoir joue avec elle quelques instants du bout des doigts, il laissa retomber sa tete sur l’oreiller.»
«Quand vous reverrai-je? fit-il, d’une voix faible, presque indifferente.
– Quand je pourrai etre utile a Votre Majeste», dis-je en lui baisant la main.
Ses yeux se fermerent. Fritz se rapprocha avec le docteur, et je me laissai emmener. Je n’ai jamais revu le roi.
Une fois dehors, Fritz ne reprit pas le chemin du pont-levis, mais s’engagea a gauche, et, sans parler, me conduisit par de vastes corridors jusqu’au chateau.
«Ou allons-nous?» demandai-je.». Fritz, sans oser me regarder, repondit:
«Elle vous a envoye chercher. Une fois l’entrevue terminee, venez me retrouver a l’entree du pont, je vous y attendrai.
– Que me veut-elle?» demandai-je, la respiration haletante.
Il secoua la tete.
«Est-ce qu’elle sait tout?
– Oui, tout.»
Il ouvrit une porte, et, me poussant doucement en avant, la referma derriere moi.
Je me trouvais dans un petit salon, richement et elegamment meuble. D’abord je crus que j’etais seul, car la lumiere que repandaient deux mauvaises bougies sur la cheminee etait assez faible. Mais bientot je discernai la silhouette d’une femme pres de la fenetre. Je reconnus que c’etait la princesse. Je m’avancai, mis un genou en terre, pris la main qui pendait a son cote, et la portai a mes levres. Elle ne parla ni ne remua. Je me redressai alors, et, dans la penombre que mes yeux ardents arrivaient a percer, j’apercus son visage pale et le reflet de ses cheveux d’or, et, avant meme d’en avoir conscience, je prononcai son nom.
«Flavie!»
Elle eut un sursaut et regarda autour d’elle. Alors elle m’apercut et me prit les mains. «Ne restez pas ainsi; non, non, il ne faut pas! Vous etes blesse! Venez vous asseoir, ici…, ici!»
Elle me fit asseoir sur un sofa et mit sa main sur mon front.
«Que votre front est chaud», dit-elle, s’agenouillant pres de moi, et, plus bas, elle murmura encore: «Mon ami, que votre front est chaud!»
J’etais venu pour m’humilier, pour obtenir le pardon de ma presomption, et voici que je disais:
«Je vous aime de toute mon ame.
«De toute mon ame et de tout mon c?ur, repris-je. Des le premier jour, quand je vous ai vue dans la cathedrale, il n’y a plus eu au monde qu’une seule femme pour moi, et il n’y en aura jamais d’autre. Mais que Dieu me pardonne le mal que je vous ai fait!
– Ils vous y ont force», s’ecria-t-elle vivement.
Et elle ajouta, levant la tete et me regardant dans les yeux: «Cela n’aurait rien change, si je l’avais su. Car c’est bien vous que j’aimais, ce n’a jamais ete le roi.
– Je voulais tout vous dire, repris-je, et j’allais le faire le soir du bal, a Strelsau, quand Sapt est venu nous interrompre. Apres cela, je n’en ai plus trouve le courage: trouver le courage de vous perdre avant l’heure! J’ai failli trahir le roi, j’ai risque sa vie.
– Je sais, je sais. Mais que faire maintenant?
– Je pars cette nuit, repondis-je.
– Oh! non, non, cria-t-elle. Pas cette nuit!
– Il le faut; il faut que je parte avant que trop de gens ne m’aient vu. Et comment voulez-vous que je reste, si je ne…
– Si je pouvais partir avec vous! murmura-t-elle tres bas.
– Pour Dieu! fis-je rudement, ne parlez pas de cela!»
Et, durant quelques secondes, je m’eloignai d’elle.
«Et pourquoi pas? Puisque je vous aime. Vous etes un aussi bon gentilhomme que le roi!»
Alors je faillis a toutes les promesses que je m’etais faites, et je la suppliai, en termes brulants, de me suivre, defiant toute la Ruritanie de venir l’arracher a moi. Et, pendant un moment, elle m’ecouta, les yeux brillants, emerveilles. Mais, comme son regard tombait sur moi, je fus saisi de honte, et ma voix s’eteignit en murmures et en balbutiements, puis je me tus.
Elle se leva et alla s’appuyer contre le mur, tandis que je demeurais assis sur l’extremite du sofa, tremblant de tous mes membres, me rendant compte de ce que je venais de faire, ayant horreur de mes paroles et sentant