Des que je fus arrive a destination, j’expediai une innocente carte postale a mon frere disant que j’etais en bonne sante, et annoncant mon prochain retour. Cette lettre devait calmer les inquietudes de ma famille et mettre un terme a l’enquete du prefet de Strelsau. Je laissai pousser mes moustaches qui etaient fort presentables lorsque j’arrivai a Paris, ou je debarquai chez mon ami George Featherly.

Mon entrevue avec lui fut surtout remarquable par le nombre de mensonges douloureux, mais necessaires, que je dus faire. Je le plaisantai sans misericorde, lorsqu’il me confia qu’il n’avait pas doute un seul instant que je n’eusse suivi Mme de Mauban a Strelsau.

Mme de Mauban, me dit-il, etait de retour a Paris, ou elle vivait dans la retraite, ce qui, d’ailleurs, n’etonnait personne: le monde entier n’avait-il pas appris la trahison et la mort du duc Michel?

Toutefois George ne manqua pas de se moquer un peu de Bertram Bertrand, car, disait-il malicieusement, «un poete vivant vaut mieux qu’un duc mort».

George me regala de ce qu’il appelait des «informations politiques» (connues des seuls diplomates) ayant trait aux evenements de Ruritanie, complots, contre-complots, etc. Dans son opinion, ajouta-t-il, avec un signe de tete connaisseur, il y avait beaucoup plus a dire sur le duc Michel que ce qu’en connaissait le public. Et il me laissa entendre qu’un bruit, qu’il avait des raisons de croire bien fonde, s’etait repandu, a savoir que le mysterieux prisonnier de Zenda, a propos duquel on avait fait couler tant d’encre dans les journaux, n’etait pas le moins du monde un homme (j’eus grand-peine, je l’avoue, a garder mon serieux), mais une femme deguisee en homme et que la rivalite des deux freres, au sujet de cette belle inconnue, etait le fond meme de leur querelle.

«C’etait peut-etre Mme de Mauban elle-meme?

– Non, reprit George, d’un ton decide. Antoinette de Mauban, au contraire, etait jalouse de cette femme, et elle a vendu le duc au roi pour le perdre. La preuve en est le changement survenu dans les sentiments de la princesse Flavie a l’egard du roi. Elle est maintenant aussi froide, aussi reservee qu’elle s’etait montree tendre et affectueuse.»

Ici, je coupais court aux confidences de George en changeant brusquement le sujet de la conversation. Mais, si les diplomates n’en savent jamais plus que ce qu’il m’avait raconte jusque-la, ils m’apparaissent en revanche comme doues d’une extraordinaire imagination.

Pendant mon sejour a Paris, j’ecrivis a Antoinette, mais je ne me risquai pas a aller la voir. En retour, je recus la lettre la plus touchante: «La generosite du roi, disait-elle, sa bonte autant que l’interet qu’il me gardait repondaient de son absolue discretion.» Elle me faisait part, en meme temps, de son intention de se retirer a la campagne et de vivre dans la retraite.

Si elle mit ses projets a execution, je ne l’ai jamais su; mais, comme je ne l’ai plus jamais rencontree, et n’ai obtenu aucune nouvelle d’elle depuis lors, il est probable qu’elle fit comme elle avait dit. Il n’y a pas de doute qu’elle eut ete tres attachee au duc de Strelsau: et sa conduite, au moment de sa mort, prouve que la revelation du veritable caractere de cet homme ne suffit pas a deraciner de son c?ur l’affection qu’elle lui portait.

Il me restait une bataille a livrer, bataille qui, je le savais, devait se terminer pour moi par une deroute complete. Ne revenais-je pas de mon voyage en Tyrol sans avoir pris la moindre note sur ses habitants, sur ses institutions, sur son aspect, sa faune, sa flore, que sais-je?

N’avais-je pas tout simplement gaspille mon temps de la facon qui m’etait habituelle, c’est-a-dire a ne rien faire? Tel etait l’aspect sous lequel la question, j’etais oblige d’en convenir moi-meme, se presenterait a ma chere belle-s?ur; et, contre un verdict base sur ces apparences, je n’avais veritablement rien a objecter.

On peut aisement se representer mon arrivee a Park-Lane, et mon air humble, mes attitudes de chien battu. Somme toute, le premier choc ne fut pas aussi terrible que je l’avais craint. Je n’avais pas, il est vrai, fait ce que desirait Rose; mais j’avais fait ce qu’elle avait predit. Elle avait assure que je ne prendrais pas une seule note, que je ne reunirais pas le moindre document. Mon frere, au contraire, avait eu la faiblesse de soutenir que cette fois il etait convaincu que j’aurais tres serieusement travaille.

Lorsque je revins les mains vides, Rose fut si occupee de triompher de son mari qu’elle se contenta de me faire des reproches sur ce que je n’avais pas pris la peine d’avertir mes amis de mes faits et gestes.

«Nous avons fait tout au monde pour vous decouvrir, dit Rose.

– Je le sais; nos ambassadeurs en perdaient le sommeil; George Featherly m’a conte cela. Mais pourquoi vous tourmenter ainsi? Est-ce que je ne suis pas assez grand pour prendre soin de moi?

– J’avais a vous ecrire, fit-elle avec impatience. Sir Jacob Borrodaile, vous savez, est nomme ambassadeur, ou plutot sa nomination paraitra d’ici un mois, et il m’avait fait dire qu’il esperait que vous l’accompagneriez dans son nouveau poste.

– Ou va-t-il?

– Il remplace lord Topham a Strelsau, dit-elle. Impossible d’avoir une situation plus agreable, en dehors de Paris.

– Strelsau! Hum! fis-je en jetant un regard a mon frere.

– Bah! qu’est-ce que cela peut faire? reprit-elle avec impatience. Vous irez, n’est-ce pas?

– Ma foi, je n’en ai guere envie.

– Oh! vous etes par trop exasperant!

– Je ne crois pas reellement que je puisse aller a Strelsau. Voyons, ma chere Rose, trouveriez-vous convenable?…

– Qui est-ce qui se souvient a l’heure qu’il est de cette histoire?»

La-dessus, je tirai de ma poche une photographie du roi de Ruritanie, laquelle avait ete faite environ deux mois avant son avenement au trone.

«Peut-etre n’avez-vous jamais vu un portrait de Rodolphe V? Ne croyez-vous pas que cela reveillerait bien des souvenirs si je paraissais a la cour de Ruritanie?»

Ma belle-s?ur examina la photographie, puis me regarda. «O mon Dieu!»

Et elle laissa tomber la photographie sur la table.

«Qu’en dis-tu, Bob?» demandai-je.

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