«Parlez bas, quoi que vous disiez!» suppliait Sapt a l’oreille de la princesse.
«C’est lui! Etes-vous blesse?»
Elle s’etait jetee a genoux, a cote de moi, cherchant a ecarter mes mains; mais je tenais obstinement mes yeux baisses.
«C’est bien le roi! Dites-moi, colonel, quelle est cette plaisanterie? Je n’en comprends pas le sel.»
Aucun de nous ne repondait. Nous restions muets; enfin Sapt, n’y tenant plus:
«Non, Madame, dit-il d’une voix rauque, ce n’est pas le roi.»
Elle se recula, et, d’un ton indigne:
«Croyez-vous, dit-elle, que je puisse ne pas reconnaitre le roi?
– Ce n’est pas le roi», repeta le vieux Sapt.
Fritz fondit en larmes. Ces larmes eclairerent la princesse.
«Mais je vous dis que c’est le roi, repetait-elle, inquietee. Je reconnais son visage, sa bague… ma bague!…
– Madame, reprit le vieux Sapt, le roi est au chateau. Ce gentilhomme…
– Regardez-moi, Rodolphe, regardez-moi, criait-elle en me prenant la tete dans ses deux mains. Pourquoi leur permettez-vous de me torturer ainsi? Dites-moi ce que cela signifie.»
Alors je parlai, la regardant dans les yeux:
«Dieu me pardonne, Madame! Non, je ne suis pas le roi.»
Elle me regarda comme jamais homme, je crois, ne fut regarde. Son regard me brulait.
Et moi, redevenu muet, je vis dans ses chers yeux naitre et grandir le doute, puis l’horreur.
Elle se tourna vers Sapt, vers Fritz, enfin vers moi; puis, tout a coup, elle se jeta dans mes bras, et, moi, avec un grand cri, je la serrai contre mon c?ur. Sapt posa la main sur mon bras.
Je le regardai, et, etendant la princesse evanouie sur le gazon, je m’eloignai en lui jetant un dernier regard et en maudissant le ciel.
Pourquoi Dieu n’avait-il pas permis, au moins, que l’epee de Rupert m’eut sauve de ce martyre!
XXI La fin d’un reve. – Dernier adieu
Il faisait nuit. J’etais dans le cachot, au chateau de Zenda, ou le roi avait passe de si tristes semaines. Le grand tuyau que Rupert de Hentzau avait surnomme l’echelle de Jacob avait ete enleve, et la lumiere du jour, au- dessus de l’etang, venait en eclairer l’obscurite. Tout etait calme; les bruits et les cris de combat s’etaient evanouis.
J’avais passe la journee cache dans la foret, apres que Fritz m’avait entraine, laissant Sapt avec la princesse. A la tombee de la nuit, bien emmitoufle, on m’avait ramene au chateau.
Bien que trois hommes fussent morts dans cette cellule, dont deux de ma main, je n’avais pas l’imagination troublee par des fantomes; je m’etais jete sur un lit de camp, et je regardais couler l’eau des fosses.
Jean, dont la blessure avait ete sans gravite, m’apporta a souper et me donna des nouvelles: le roi etait mieux; il avait vu la princesse et avait eu un long entretien avec Sapt et Fritz, a la suite duquel le marechal Strakencz etait parti pour Strelsau.
On avait procede a la ceremonie de la mise en biere du duc Noir. Antoinette de Mauban le veillait. Les chants funebres, les hymnes, les voix des pretres, a la chapelle, venaient jusqu’a moi.
Au-dehors, d’etranges rumeurs circulaient. Les uns disaient que le prisonnier de Zenda etait mort; d’autres qu’il avait disparu, mais qu’il etait bien vivant; d’autres encore, que c’etait un ami du roi qui lui avait rendu des services lors d’une aventure en Angleterre; d’autres enfin, que c’est lui qui avait decouvert les projets du duc et que c’est pour cette raison qu’il avait ete enleve par lui. Une ou deux personnes plus clairvoyantes secouaient la tete et se contentaient de dire qu’elles ne diraient rien, et qu’on ne saurait pas grand-chose tant que le colonel Sapt se tairait.
Alors je bavardai avec Jean, puis je le renvoyai et demeurai seul, songeant non pas a l’avenir, mais – comme un homme est porte a le faire lorsque des aventures emouvantes viennent de lui arriver – me rememorant les evenements de ces dernieres semaines et admirant l’etrange facon dont ils s’etaient denoues. Et au-dessus de moi, dans le silence de la nuit, j’entendais les drapeaux claquant le long de leurs hampes, car le pavillon du duc Noir etait maintenant en berne et, par-dessus, flottait l’etendard royal de Ruritanie. Une habitude est si vite prise que je dus faire un effort pour me souvenir que cet etendard ne flotterait plus longtemps pour moi.
Fritz von Tarlenheim entra. J’etais alors pres de la fenetre; la vitre etait ouverte et, machinalement, je grattais du doigt le ciment de la maconnerie qui avait soutenu l’echelle de Jacob.
Il me dit brievement que le roi desirait me parler et, tous deux, nous traversames le pont-levis pour nous rendre dans la chambre qui etait autrefois celle du duc Noir. Le roi etait couche; notre medecin de Tarlenheim etait aupres de lui, et il me recommanda a voix basse de ne pas rester trop longtemps. Le roi me prit la main, qu’il serra. Fritz et le docteur s’etaient retires au fond de la chambre.
Aussitot je retirai la bague que je portais encore, et la passai a son doigt.
«J’ai essaye de m’en montrer digne, Sire, fis-je.
– C’est a peine si je puis parler, me repondit-il, d’une voix faible; je suis epuise: je viens de discuter une heure avec Sapt et le marechal, car nous avons mis le marechal dans la confidence. Je voulais vous emmener avec moi a Strelsau, vous garder a la cour, et proclamer bien haut ce que vous aviez fait pour moi. Vous eussiez ete mon meilleur et mon plus sur ami, cousin Rodolphe. Mais on me dit que je ne dois pas le faire, qu’il faut garder le secret sur ce qui s’est passe, si c’est possible.