personne ne soupconnat que le roi avait ete trois mois prisonnier.

Sapt prit les mesures necessaires. Antoinette de Mauban et Jean durent jurer de se taire.

Tranquille de ce cote, Fritz prepara la version officielle de tous ces evenements. En voici a peu pres les grandes lignes:

Un ami du roi etait retenu prisonnier par son frere. Rodolphe avait voulu le delivrer (ai-je besoin de dire que, dans cette histoire, c’etait moi qui devais jouer le role du prisonnier?). Au cours de la bataille, le roi avait ete blesse tres grievement par les geoliers qui gardaient son ami, les avait finalement terrasses, et maintenant, blesse, mais vivant, il reposait au chateau, dans le propre lit du duc Noir. Quant au prisonnier, il avait disparu, apres avoir passe comme un eclair sur le pont devant les serviteurs du duc. Aussitot qu’on l’aurait retrouve, ordre avait ete donne de le conduire directement aupres du roi, sans le laisser communiquer avec personne.

D’autre part, un courrier partait a fond de train pour Tarlenheim afin de prier le marechal de Strakencz d’avertir la princesse que le roi etait en surete. Quant a la princesse, elle ne devait, en aucun cas, quitter Tarlenheim, ou elle attendrait la venue de son cousin et ses instructions.

C’est ainsi que le roi rentrait dans ses droits, apres avoir accompli de grandes choses, et echappe aux tentatives criminelles de son frere naturel.

Telle etait la combinaison, fort ingenieuse, n’est-il pas vrai? de mon vieil ami.

Elle reussit, sauf sur un seul point, ou elle se heurta contre une force qui dejoue parfois les plans les plus ingenieux, je veux parler du bon plaisir d’une femme. Le roi eut beau ordonner, le cousin eut beau supplier, le marechal eut beau insister, la princesse Flavie ne voulut rien entendre.

Pensait-on qu’elle allait rester a Tarlenheim, alors que son fiance etait blesse au chateau? Lorsque le marechal et son escorte prirent la route de Zenda, la voiture de la princesse suivait immediatement derriere.

C’est dans cet appareil que le cortege defila dans les rues de la ville.

Le bruit y avait rapidement circule que le roi, se rendant la nuit precedente chez son frere pour lui demander en toute amitie des explications au sujet de l’emprisonnement d’un de ses amis dans le chateau de Zenda, avait ete traitreusement attaque; qu’un combat desespere avait eu lieu; que le duc Noir avait ete tue avec plusieurs de ses aides de camp, et que le roi, tout blesse qu’il fut, s’etait empare du chateau de Zenda. Toutes ces nouvelles causerent, comme on peut le supposer, une vive emotion. Le telegraphe s’en empara aussitot, et les depeches parvinrent a Strelsau juste apres que les ordres furent arrives de consigner les troupes et d’occuper militairement les quartiers ou pouvait se produire quelque effervescence.

C’est ainsi que la princesse arriva a Zenda. Au moment ou la voiture gravissait la colline, le marechal, suppliant encore une fois la princesse de retourner en arriere, Fritz de Tarlenheim et le «prisonnier» arrivaient sur la lisiere de la foret. J’avais repris connaissance et je marchais appuye sur le bras de mon fidele ami; tout a coup, levant les yeux et regardant par hasard, j’apercus a travers les branches la princesse! Je compris au regard de mon compagnon que nous ne devions pas nous laisser voir et je me laissai tomber sur les genoux derriere un groupe d’arbres. Mais la petite paysanne qui nous avait suivis courut au-devant de Flavie:

«Madame, lui cria-t-elle, le roi est la, dans la foret. Voulez-vous que je vous conduise aupres de lui?

– Quelle sottise dis-tu, enfant? reprit le vieux Strakencz. Le roi est blesse au chateau de Zenda.

– Oui, monsieur, il est blesse, je le sais; mais il est ici avec le comte Fritz.

– Comment le roi pourrait-il etre en deux endroits a la fois, a moins qu’il n’y ait deux rois? fit Flavie etonnee. Et comment se trouverait-il ici?

– Il poursuivait un seigneur, Madame: ils se sont battus devant moi jusqu’au moment ou le comte Fritz est arrive, a preuve que l’autre seigneur m’a pris le cheval que je montais, et est parti avec. Je vous jure, Madame, que le roi est la avec le comte Fritz. Y a-t-il dans toute la Ruritanie un homme qu’on puisse confondre avec le roi?

– Non, mon enfant, dit Flavie doucement (je ne le sus qu’apres) et, en souriant, elle lui remit une piece d’or. En tout cas, j’irai, et je verrai ce gentilhomme.»

Et elle se leva pour descendre de voiture. Au meme moment, Sapt arrivait a cheval, venant du chateau; en apercevant la princesse, il fit contre fortune bon c?ur; il lui cria, de l’air le plus aimable qu’il put prendre, que le roi etait bien soigne et hors de danger.

«Au chateau? fit-elle.

– Ou pourrait-il etre, Madame? repondit-il en saluant.

– Mais cette enfant pretend qu’il est la, dans la foret, avec le comte Fritz.»

Sapt regarda l’enfant en souriant.

«Bah! pour une jeunesse comme cela, tout beau garcon est un roi.

– Je vous assure que celui que j’ai vu ressemble au roi comme une goutte d’eau ressemble a une autre goutte d’eau», cria l’enfant ebranlee, mais tenant encore a son dire.

Sapt se detourna vivement. Le visage du vieux marechal etait plein d’interrogation, le regard de Flavie non moins eloquent. Le soupcon a des ailes!

«Je vais aller voir par moi-meme, dit Sapt vivement.

– Je vous accompagnerai, fit la princesse.

– Venez seule, alors, de grace!»

Et la princesse, obeissant a l’etrange priere qu’elle lisait dans les yeux du vieux soldat, pria le marechal et sa suite de les attendre.

Sapt et la princesse se dirigerent a pied vers l’endroit ou nous etions caches. Sapt avait fait signe a la petite paysanne de rester a distance. En les voyant venir, je me laissai tomber sur le gazon et cachai mon visage entre mes mains. Comment trouver la force de la regarder?

Fritz, agenouille aupres de moi, me soutenait.

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