La malheureuse femme, entrainee, je crois, par le sentiment tres sincere qui l’attachait au duc de Strelsau, l’avait suivi en Ruritanie. Le duc etait un homme tres violent, tres entier, mais, au fond, toujours maitre de lui. Mme de Mauban, tres eprise, n’avait pas tarde a souffrir d’autant plus qu’elle s’etait bientot apercue qu’elle avait une rivale redoutable en la personne de la princesse Flavie.

Desesperee, tout lui parut bon pour conserver son pouvoir sur le duc. C’est ainsi que lorsque le duc partit pour Zenda, elle l’accompagna, se laissa entrainer et se trouva liee a sa fortune. Toutefois, si attachee qu’elle fut au duc, elle ne consentit pas a m’attirer dans le piege ou je devais trouver la mort; d’ou les lettres d’avertissement que j’avais recues. Quant aux lignes envoyees par elle a Flavie, etaient-elles inspirees par de bons ou de mauvais sentiments, par la jalousie ou la pitie? Je ne sais, mais ici encore elle nous servit.

De ce jour, elle fut avec nous. Ce qui ne l’empechait pas, c’est elle-meme qui me l’a dit, d’aimer toujours Michel. Elle esperait obtenir du roi, en recompense de ses services, sinon le pardon du duc, au moins sa vie.

Elle ne souhaitait pas la victoire du duc, car elle abhorrait son crime, et plus encore ce qui en devait etre la recompense en cas de succes, son mariage avec sa cousine, la princesse Flavie.

A Zenda, d’autres elements vinrent encore se meler a l’action et la compliquer, entre autres les sentiments de Rupert pour Antoinette. Cette nuit meme, Rupert, a l’aide d’une seconde clef, avait fait irruption tout d’un coup dans la chambre d’Antoinette, qu’il avait l’intention, sans doute, d’entrainer hors du chateau.

Aux cris de la pauvre femme, le duc etait accouru, et la, dans l’obscurite, les deux hommes s’etaient battus.

Rupert, apres avoir blesse mortellement son maitre, avait saute par la fenetre, ainsi que je l’ai deja dit, au moment ou les domestiques accouraient avec des torches. C’est le sang du duc qui, en rejaillissant, avait inonde la chemise de son adversaire; mais Rupert, ne sachant pas qu’il avait tue Michel, avait eu hate de mettre fin au combat.

Je ne sais trop ce qu’il comptait faire des trois survivants de sa bande; peut-etre n’y avait-il meme pas pense; la mort de Michel, en tout cas, n’etait point premeditee.

Antoinette, restee seule avec le duc, avait en vain essaye d’arreter le sang qui s’echappait de sa blessure; il avait rendu le dernier soupir entre ses bras.

Affolee de douleur, et entendant Rupert accabler d’injures et de railleries les serviteurs du duc, elle etait sortie avec l’intention de venger sa mort. Elle ne m’avait pas apercu; elle ne me vit que lorsque je sautai dans le fosse, a la poursuite de Rupert.

C’est a ce moment que mes amis entrerent en scene.

Ils etaient arrives devant le chateau a l’heure dite, et avaient attendu devant la porte; mais Jean, entraine avec les autres au secours du duc, n’etait pas venu l’ouvrir; il avait pris part au combat contre Rupert, faisant preuve d’une bravoure d’autant plus grande qu’il voulait prevenir tout soupcon, et il avait ete blesse, dans l’embrasure de la fenetre. Sapt avait attendu jusqu’a deux heures et demie; puis, se conformant aux ordres recus, il avait envoye Fritz en reconnaissance sur les bords du fosse.

Ne m’ayant pas trouve, Fritz s’etait hate de rejoindre Sapt, qui voulait regagner Tarlenheim en toute hate, ce a quoi Fritz se refusa peremptoirement. Il y eut une vive altercation entre eux, a la suite de laquelle Sapt, persuade par Fritz, se decida a envoyer un detachement, sous les ordres de Bernenstein, a Tarlenheim, avec ordre de ramener le marechal, pendant que les autres livreraient l’assaut a la grande porte du chateau. Elle resista d’abord et ceda enfin au moment meme ou Antoinette de Mauban tirait sur Rupert. Mes amis firent irruption alors au nombre de huit.

En passant par la chambre du duc, ils l’apercurent etendu mort sur le seuil, une large blessure a la poitrine. Cette vue arracha a Sapt une exclamation que j’entendis. Ils s’elancerent alors sur les serviteurs qui, epouvantes, laisserent tomber leurs armes, tandis qu’Antoinette se jetait en sanglotant aux pieds de Sapt.

Elle lui expliqua, au milieu de ses larmes, qu’elle m’avait apercu au bout du pont, que je n’etais pas mort, et que j’avais saute dans le fosse.

«Et le prisonnier?» demanda Sapt.

Mais elle secoua la tete; elle ne savait rien. Alors, Sapt et Fritz, suivis des autres gentilshommes, traverserent le pont, lentement, prudemment, sans faire de bruit. Ce fut Fritz qui heurta du pied le cadavre de Gautel couche en travers de la porte. Il se baissa et vit qu’il etait mort.

Alors ils se consulterent, ecoutant attentivement si aucun bruit ne parvenait du cachot, et ils eurent grand- peur que les gardes du roi ne l’eussent tue et, ayant jete son cadavre dans le tuyau, n’eussent fui par le meme chemin. Mais, comme on m’avait apercu au chateau, ils avaient encore quelque espoir (c’est, en effet, ce que, dans son amitie, Fritz me confia).

Alors ils retournerent aupres de Michel, et ecartant Antoinette, qui priait aupres du mort, ils trouverent sur lui une clef avec laquelle ils ouvrirent la porte que j’avais fermee. L’escalier etait completement noir; ils hesitaient a allumer des torches; c’etait dangereux en cas d’attaque.

Mais, sur ces mots de Fritz: «La porte d’en bas est ouverte; voyez: on apercoit de la lumiere!» ils avancerent hardiment, et, lorsqu’ils entrerent dans la premiere piece, ils trouverent le cadavre de Bersonin. Enfin, dans la cellule du roi, mes amis heurterent le corps de Detchard, couche en travers de celui du medecin, pendant que le roi etait etendu sur le dos, une chaise renversee a cote de lui.

«Il est mort!» s’ecria Fritz.

Sapt, toujours prudent, commenca par faire evacuer la cellule, ne gardant que Fritz avec lui, et s’agenouilla aupres du roi. Il etait experimente: il eut tot fait de voir que non seulement le roi n’etait pas mort, mais que, convenablement soigne, il ne mourrait pas.

On lui couvrit le visage et on le porta dans la chambre du duc, ou on le coucha, et ou Antoinette vint lui baigner les tempes avec de l’eau fraiche et panser ses blessures en attendant l’arrivee du docteur.

Sapt se rendit vite compte que tout cela etait mon ?uvre; ayant entendu le recit d’Antoinette, il envoya Fritz a ma recherche, d’abord dans les fosses, puis dans la foret.

Fritz trouva mon cheval et me crut mort. En me retrouvant vivant, sa joie, son trouble furent tels qu’il en oublia tout le reste; il oublia combien il eut ete important de se debarrasser de Rupert. Et, pourtant, je crois que, si Fritz l’avait tue, je lui en aurais voulu.

La delivrance du roi une fois operee, restait a s’assurer que le secret serait bien garde, car il fallait que

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