— Je vous ai dit : bref ! objecte la dame.

Elle retrousse une manche kimonesque de son deshabille, devoilant un bras plus potele que le fion du plus beau bebe de France-et-de-grande-banlieue. Il y a des fossettes partout ! Et des bracelets d’or ! L’un d’eux represente un serpent qui se mord la queue. Image de l’infini !

Puis elle nous balaie de son beau regard marron-tirant-sur-le-vert.

— En somme, vous venez pour quoi ?

— On aimerait visiter les lieux, si ca serait un effet de votre bonte.

Elle agite un doigt alourdi d’une bague grosse comme ca, dont la pierre est soit un diamant de vingt carats, soit un bouchon de carafe en cristal de Boheme-Moravie. Et elle a cette repartie qui stupefie l’interesse ainsi que les deux personnes qui l’accompagnent :

— Polisson ! dit-elle.

— Ecoutez, chere madame, soupire le Gravos, lequel reagit aux charmes plantureux de notre hotesse.

— Appelez-moi Froufrou, fait-elle.

Cette fois, Beru me file un coup de periscope eperdu. A mon tour, je mate la cousine. Elle est un peu coincee par la stupeur, derriere sa voilette, Laurentine.

— Suivez-moi ! decide la dame au deshabille arachneen.

On lui file le train. Elle grimpe l’escadrin, Beru sur ses talons. Il est fascine par le valseur de notre delicieuse hotesse, le Sanguin. Sa belle bouille d’honnete homme oscille pour suivre le lent balancement de ce somptueux posterieur qui le precede.

Parvenus au premier, la dame pousse une porte. On entre dans une assez vaste piece toute en longueur. Les volets sont fermagas, les rideaux tires… C’est capitonne… Plafond plisse soleil, en velours rouge, tentures noires. Un peu Borniol peut-etre ? Il y a un immense lit a six places qui tient tout le fond de la piece. Et puis des canapes polissons, vachement surmenes, dont les ressorts a boudin ont depuis longtemps declare forfait.

— Asseyez-vous ! conseille-t-elle, je reviens.

Avant que nous ayons pu intervenir, la voila qui a disparu.

— Cette femme est bizarre, decrete Laurentine. Vous ne croyez pas qu’elle ?…

Elle se tape la tempe de son index replie.

— On voit que t’es jamais sortie, Laurentine, affirme dedaigneusement le Gravos. A Paris, c’est le style bon accueil, ca ! T’arrives, on est familier, on te recoit a l’aimable, comme si tu serais chez toi !

— Elle a du se douter de la verite, objecte la cousine. Elle nous fait la cour.

— Peut-etre, concede le Gros, mais avoue que c’est delicat. Elle en a rien a foutre de nous, apres tout, Mme Froufrou. Du moment qu’elle douille son terme, qu’est-ce que ca lui importe qu’on soye les futurs proprios, je te demande. Moi, je la trouve charmante, cette dame. Et bien de sa personne. Elle est sexy, quoi !

— Je t’en prie ! proteste Laurentine.

Il est malaise d’endiguer le lyrisme du Mastar.

— Je voudrais te signaler une chose, cousine. La dame qu’on cause a sensiblement ton age, mais t’as l’air d’etre sa mere !

— Merci ! grince l’incriminee.

— Tu devrais te ravaler un peu la facade, ma vieille ! C’t’ un conseil de cousin. Suis l’exemple de Malraux qui rebadigeonne Paris. Tu te filerais un chouia de fond de teint sur la tronche, avec du rouge a levres et un coup de Bic aux sourcils, que tu ferais tout de suite moins maladie du foie. Et puis tes loques, surtout ! A quoi ca rime de s’habiller en chaisiere ! Meme le bon Dieu, ca le ferait sauver, tes jupons facon soutane. Tu fais plus cure qu’un cure ! D’ailleurs, les abbes, maintenant, ils se fringuent en civil. J’en ai connu un, l’ete dernier, il portait un boxeur-chorte a carreaux !

Le retour de Mme Froufrou abrege ses conseils.

Elle n’est plus seule, la locataire des Beru. Deux jeunes personnes l’accompagnent. L’une est une petite Eurasienne faite au moule, avec une frange de cheveux noirs qui lui arrive au ras des yeux et une bouche rieuse ; l’autre une superbe blonde, tres nordique d’aspect, au regard limpide comme une stalactite.

— Voici Youki et Alexandra, ce que j’ai de mieux en ce moment, affirme madame Froufou. Je suis certaine que vous en serez tres contents. Ce sont du reste deux merveilleuses specialistes des ebats collectifs. Et puis roulees comme pas trois ! Regardez un peu ca ! (Elle souleve le pull d’Alexandra.) Dessous il y a une paire de machins-trucs sans emballage, qui ferait dresser les cheveux d’une boule d’escalier. Pas de l’ersatz, de l’authentique ! Une pure merveille de l’art contemporain !

— Quelle horreur ! glapit Laurentine en faisant un signe de croix express !

La mome Alexandra blemit !

— Quoi, quelle horreur ! pouffe-t-elle avec un accent suedois mis au point rue de Belleville. Non, mais vous entendez cette planche a laver qui chique les difficiles devant ma laiterie modele ! Sans charre, Madame a autant de formes que la vitre et elle se permet des critiques !

— Calmez-vous, Alexandra, rabroue Froufrou. Vous ne comprenez pas que Madame plaisante et marque au contraire son admiration !

Elle se tourne vers Laurentine.

— Ces Scandinaves n’ont pas le sens de l’humour, excuse-t-elle. En tout cas, elles ont les plus belles jambes d’Europe. Du monde, non. Les Americaines les battent. J’en ai eu une, l’an dernier : Betty, vous auriez vu ces jambes… Une statue grecque ! Notez qu’Alexandra ne se defend pas mal…

Elle releve la jupe de l’interessee a la hauteur de son menton. Nous avons une vue imprenable sur l’intimite d’Alexandra. Beru est violet fonce. Il a la bouche entrouverte, les yeux injectes de sang et la langue couverte d’ecume.

Quant a Laurentine, c’est une momie. Elle est raide et sans voix ! Elle ferme les yeux. Y a une rafale de paters qui lui part de l’ame. Elle acte-de-contritionne a tout-va ! Elle est gatee, Laurentine, depuis l’enterrement de son tonton ! L’exhibition chez Valentin, hier… Son coup de bourre-pif, la nuit, a la ferme isolee… Et maintenant…

Un rire immense me vient comme la maree montante arrive du fond de l’infini. Ca me gronde dans la moelle ! Ca m’investit sans m’avertir ! Ca me remonte depuis l’extremite des nougats ! Ca me roule les cellules comme des galets ! Ca me disperse le maintien ! Ca m’aneantit le serieux ! Ca me foudroie la dignite ! C’est une vraie colique ! Une hemorragie ! Une explosion ! Une dislocation ! Je me tords, me gondole, me contorsionne, m’epoumone, me tremousse, me tortille, me feu-d’artifice ! Je rie, je rue, je roule, je rugis, je rale, je rossignole[8], je robinette de la rate ! Du coup j’accapare l’attention ! Je monopolise le present ! On me regarde ! On s’inquiete ! On attend ! On espere ! On prie pour moi !

— Qu’est-ce qui t’arrive ? articule le Puissant.

Je laisse partir ce torrent d’hilarite qui me traverse ! Je degorge !

— C’est pas a moi qu’il arrive, c’est a vous ! Vous venez d’heriter d’un bordel, Gros !

Il ouvre un coin de bouche. Sa joue gauche lui remonte par-dessus l’?il. On voit son ratelier tordu, ses amygdales poreuses, sa luette (gentille luette) tumefiee, on distingue ses cordes vocales encrassees ; on devine son ?sophage craquele. C’est la stupeur qui lui fait ca, a Berurier. Il opere une plongee vertigineuse dans la realite. Il pige a son tour la stupefiante verite ! Mongeneral, le valeureux coq tricolore, est proprietaire d’une maison close ! D’un lupanar, d’un claque, d’un bouic, d’un clande.

Dame Froufrou nous observe, pas contente, inquiete ! Elle vient de comprendre que ca ne carbure pas normalement ! Elle subodore la vaste confusion ! Elle realise que nous ne sommes pas venus pour des galipettes a grande mise en scene !

— Mais, messieurs, soupire-t-elle, pouvez-vous me dire… ?

Non, on ne peut pas ! On etouffe trop de marrade ; car le Gros se repand en rires homeriques, lui aussi ! Il a sa brioche qui cahote comme un chargement de fourrage dans les ornieres d’un chemin creux. Il postillonne, il eclabousse, il envoie des bourrades a Laurentine. Il lui bouscule ses oraisons a la sortie !

— Non, finit-il par bavocher, tu te rends compte, Titine, que t’es au claque ! Au claque, ma vieille, toi, la ramoneuse de cierges de Saint-Locdu ! Quand ton cure va savoir ca, il aura des vapeurs ! Ah ! ce que c’est drole ! Ah ! ce que je me marre ! J’en peux plus ! Je me sens aller dans mon Eminence ! Je me coince les soufflets ! Tiens, regarde, je pleure ! C’est trop fort ! ca me chatouille les tripes ! J’ai les joyeuses qui s’entortillent ! Faut que j’arrete sinon je vais canner d’asphyxie ! C’est pas supportable ! Je risque une lesion de la rate ! Je vais me

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