marche ; fonce sur le desespoir de Laurentine, laquelle possede une certaine avance. Mais ce handicap ne demoralise pas B.B. qui vagit comme vache en gesine, qui eclabousse tout de sa peine, qui nous humidifie de sa detresse, qui lave le sol de ses regrets. Le grand concerto en douze mouchoirs pour desherites definitifs, mes amis ! Les Parapluies de Cherbourg, ils me jouent a eux trois. La fin prematuree de Mongeneral ruine leur vie. Les perspectives d’un avenir dore s’aneantissent. C’est la debacle ; la chute des espoirs. Adieu, maisons, voitures, fourrures, vacances ! Adieu, plages de lumiere, adieu, homards Thermidor, gevrey-chambertin, croisieres en Mediterranee, chaussures
Laurentine se guerit de son chagrin par la rage. Elle veut un huissier, faire constater : c’est un meurtre berureen ! Elle n’a pas ete, quant a elle, le Ravaillac de ce richissime poulaga ! Elle portera plainte pour gallinacide ! Elle attaquera le testament ! Elle attaquera les Berurier en dommages et interets ! Elle ira jusqu’au bout !
— Oh ! ta gueule ! s’emporte le Gros. Fais donc ce que tu voudras, eh ! peau de punaise ! Tu l’as dans le baigneur autant que moi !
— On ne pourrait pas trouver un autre coq tout pareil ? suggere Berthy.
On cesse de renifler pour soupeser la suggestion. Mais Laurentine desapprouve l’idee, pas tant par probite fonciere que parce qu’elle connait le veterinaire auquel le corps du coq defunt devra etre soumis. Un sale coco ! Le seul ami de Prosper ! Vous pensez qu’il a du relever les empreintes du coq ! Des fois meme le marquer a sa maniere, facon indelebile, pour pouvoir l’identifier en toute certitude.
L’accablement nous desempare. On se devisage, a bout de detresse. Mais voila que je dresse une manette ! Je viens de percevoir un petit bruit rigolo qui ressemble a un eternuement de souris. J’ai jamais entendu eternuer une souris, mais j’imagine que ca doit donner ca. Ca provient du seau. Je m’accroupis devant le recipient de plastique. Je rencontre l’?il de verre, rond et abasourdi, de Mongeneral. Sa petite paupiere bleuatre palpite. Je porte la main sur sa carcasse. Je sens de la tiedeur et un leger, un imperceptible battement sous les plumes.
— Ma parole, murmure-je, il vit encore !
Ca fait du badaboum dans la masure ! Les trois autres trinquent avec leurs tronches en se penchant.
— Tu es certain ? anxieuse Berurier.
— Oui, touche, son petit c?ur bat toujours.
Le Gros fustige l’epouse suppliciere.
— Tu meriterais que la S-pederaste t’attente un proces ! dit-il. Quel carnage ! Torturer une pauvre bete de cette maniere…
— Je t’ai dit que je sais pas tuer ! proteste la Baleine.
Si vous le voyiez, mon Beru, tout a coup. La situation, il l’empoigne a pleines paluches. En deux enjambees, il est au telephone et tube a Police-Secours, donne son adresse :
— Ici, inspecteur Berurier, envoyez d’urgence une ambulance avec un masque a oxygene pour un poulet qu’est grievement blesse.
Ensuite, c’est l’hopital Beaujon qu’il sonne.
— Prefecture de police ! ment-il. Preparez immediatement votre meilleur bloc operatoire pour une extreme urgence de la plus haute importation. C’est qui t’est-ce, votre meilleur chirurgien ?… Le professeur Piedegarenne ? Jockey ! Alors, qu’il mette ses bleus de travail, on va lui amener le malade !
Il raccroche, essouffle.
— Mongeneral vit toujours ? demande-t-il.
— Toujours, le rassure-je.
Les mecs de l’ambulance en restent comme trois ronds de flan, lorsque, s’etant ranges devant le domicile du Gros, ils avisent un etrange groupe compose d’une vieille fille en noir, de deux flics en civil et d’un seau a ordures contenant un poulet a moitie tue et a moitie plume.
— Ou est le blesse ? ils s’inquietent.
Beru montre le coq, inerte, dont seuls le c?ur et la paupiere batracienne bougent encore.
— Present ! declare Beru.
Ca manque de tourner au passage a tabac. Ils croient a une blague, les duettistes de la civiere pliante.
J’evite l’incident de justesse en me faisant connaitre.
— Secret d’Etat, coupe-je, ne cherchez pas a comprendre !
On pose le seau sur le brancard et on branche le masque a oxygene au-dessus de la tete pantelante du poulet. Nous decarrons dans l’aigre tintement de la sirene.
A Beaujon, ca se passe beaucoup plus mal. Le professeur Piedegarenne est a pied d’?uvre, la calotte sur le dome, les lunettes en bataille, les mitaines de caoutchouc deja enfilees.
C’est un grand gros savant, de l’espece doctorale. Le mec qu’on voit a la teloche expliquer comment il se baguenaude dans les eponges d’un type. Avec des cameras microscopiques, il investigue, Piedegarenne. Grace a son appareil, les bronches d’un mec deviennent les couloirs du metro, une plage de galets, c’est des calculs dans les reins et le Vesuve, c’est l’estomac d’un zig qui vient de fumer un cigare. On fait du canoe dans les ventricules ! On remonte les grandes arteres ! On ascensionne sur le foie, on joue a chat perche sur les testicules — un comble ! Et on voit des troupeaux de gonocoques paitre dans les meats.
Pour vous en revenir a Piedegarenne, quand il apprend que c’est pour un poulet de basse-cour qu’on lui a joue ce branle-bas de combat, il explose ! Il dit que ca lui sert a quoi ses diplomes, sa commanderie de Legion d’honneur, sa chaire a la Faculte, sa presidence des amis du bistouri electronique et sa these sur l’amibiase chez les constipes. Hein, a quoi, il nous le demande. Meme un veterinaire se vexerait qu’on lui amene un poulet exsangue a sauver.
Il veut porter plainte, alerter la presse, le conseil de l’Ordre, reclamer des dommages et interets ! Pendant ce temps, le volatile clape du corgnolon. Il fait le cigare qui s’eteint, Mongeneral, sa bobeche renacle. Je produis ma carte au professeur ; mais des commissaires, il en a vu des pleins wagons, Piedegarenne. Faut autre chose pour l’impressionner, cet homme ! Il en a opere, des flics ; il en a autopsie, meme ! Il leur en a retire des balles, repare des trous de balle ! Il est dans le ventre d’un flic comme chez lui, Piedegarenne ; tout juste s’il met pas ses pantoufles et sa veste a brandebourgs pour officier. Il leur tripatouille le foie en lisant le papier d’Escarpit dans Le Monde, en telephonant a ses copains du cercle, en fumant ses havanes.
— Pouvez-vous m’accorder un instant d’entretien, monsieur le professeur ? je sollicite.
Il consent tout de meme.
— Ce poulet, monsieur le professeur, le chambre-je, ca n’est pas n’importe quel poulet. Des interets superieurs sont en jeu. Le secret professionnel m’empeche de vous en dire plus long, mais vous devez bien penser que si nous faisons appel a un homme aussi eminent, c’est qu’en haut lieu on est d’accord !
— Les huiles sont au parfum ? benbarkise-t-il, j’aime pas beaucoup ca, les interets superieurs et mysterieux !
Il se deboule neanmoins, comme le herisson apres l’alerte.
— Remarquez, fait-il, j’ai sauve tellement de gens qui n’en valaient pas la peine, que je peux bien essayer de ranimer un poulet.
Il donne des instructions et on roule Mongeneral dans le bloc operatoire. On lui rebranche les tuyaux sectionnes. On lui fait des piquouzes pour lui soutenir le palpitant… Y a le probleme de la transfuse ! Ils ont pas de sang de poulaga en ampoules, a Beaujon. Faut saigner d’urgence de la volaille aux cuisines pour trouver un raisin du meme groupe que celui de Mongeneral. Ca dure une plombe, l’intervention. D’une delicatesse infinie, elle est ! Les eleves au prof, ils en sont meduses. Depuis Ambroise Pare, on n’avait pas vecu des instants aussi exaltants au-dessus d’une table d’operation (pour un peu ca va devenir une etable d’operation !). On lui fait du serum physiologique, au Royco. A base de bouillon Kub ! On le raccorde ! On le colmate ! On l’irrigue ! On le sustente ! On le reconstitue ! A la fin, il est pare pour essayer une nouvelle vie. Piedegarenne peut pas se prononcer. Le choc operatoire, tout le monde sait ce que c’est. L’operation reussit toujours ; c’est apres, ses consequences qui sont pernicieuses. Y a la temperature qui s’affole, le taux d’uree qui grimpe, le pouls qui se deregle, les cellules qui font la colle… Le patient il patiente plus ! Il coule a pic. Y a la bidoche qui met les pouces. Moche, la viande quand elle en peut plus, quand elle foire, quand son petit systeme debloque. L’esprit suit. Il fait le malin, l’esprit. Il caracole en tete du peloton lorsque la viande va. Il est maillot jaune, l’esprit, quand le bonhomme est en parfaite sante. Mais il devient lanterne rouge lorsque ca se deglingue dans la matiere ! On le croyait souverain, il n’est que vassal ! Le but de la bougie, certes, c’est la flamme ! Mais sans bougie y a plus de flamme ! Un con vivant est plus