et fendillee. Je le defrime, il sourcille…

— Dites, camarade, je vous connais, fais-je.

Il branle le chef, mais malgre cette attitude evasive, je vois bien que lui aussi m’a reconnu.

— Finfin-la-Coupure, hein ? je lui virgule.

Il sourit. Dans le fond, ca le flatte un peu que j’aie retapisse sa bouille. Finfin-la-Coupure ?uvrait dans le faux talbin, voici quelques annees encore. Le faf de dix raides, c’etait sa specialite. Un bricoleur genial, ex-graveur sur cuivre… Il s’est fait piquer sottement un jour, parce que, par inadvertance, il avait fait de la moustache a Bonaparte, sur le nouveau billet de dix mille, l’ayant confondu avec le Richelieu du bifton d’un sac. Il a ecope dix piges de vacances (une par mille francs ! Encore heureux qu’il se soit pas attaque au bifton de cinquante laxatifs).

— Eh bien, Finfin, m’exclame-je, tu as moule la gravure pour le gilet raye ?

Il bele un pauvre sourire plein de nostalgie.

— Fallait bien que je fasse une fin honnete, monsieur le commissaire, loyalise-t-il. J’ai la maladie de Parkinson, regardez comme je sucre, vous me voyez manier le pyrograveur avec une tremblote pareille ? Deja que je ne peux meme plus servir a boire sans en foutre a cote !

— Et c’est en entrant au service de Laurenzi que tu estimes faire une fin honnete, papa ?

— Et comment ! M. Jerome est l’homme le plus integre que je connaisse !

— Alors j’aimerais avoir une vue plongeante sur le reste de tes relations ! Il est ici ?

— Je pense, oui…

— T’en es pas certain ?

— Je suis rentre de vacances tout a l’heure et M. Jerome ne se leve jamais avant quatre heures de l’apres-midi…

Je mate ma montre.

— Quatre heures moins vingt, annonce-je, on va l’interviewer pendant qu’il prendra son petit dejeuner…

Escortes par le vieux faux-mornifleur, nous remontons une allee pavee en opus incertum.

— Il vit comment, ton boss, Finfin ?

— C’est-a-dire ? s’etonne le vioque.

— Seul ou marie ?

Finfin hausse les epaules.

— Sa premiere dame est morte y a trois ans. Il a eu d’elle un petit garcon qui vit dans une pension suisse…

— Et son veuvage, il le passe ou ? A la Trappe ou aux Folies-Bergere ?

— Ni l’un ni l’autre… Il a des amies… Il en change souvent.

— Rien de mieux pour entretenir un matou en etat de marche, approuve-je en connaissance de cause.

Il nous introduit par une porte-fenetre dans un vaste hall qui fait aussi salon. Y a un piano a queue, un aquarium aqueux, des divans accueillants, et des toiles de Picasso sur les murs. On vit une epoque d’exception. Les truands aiment la peinture, de nos jours. Autrefois, on les trouvait dans les arriere-salles des troquets douteux, maintenant, c’est au musee Galliera qu’on les rencontre ! Ca marque une notable evolution, non ?

— Je vais prevenir M. Jerome, annonce Finfin.

— C’est ca, et dis-lui qu’il ne se leve pas du pied gauche, je veux lui voir un beau sourire radieux !

Le larbin d’occasion s’eclipse. Beru s’affale dans un canape rouge cerise.

— Tu parles d’une creche grand luxe, s’extasie mon Valeureux. Si c’est avec le cheptel de la rue Legendre qu’il a accumulonce tout ca, Laurenzi, ca me promet des beaux jours !

Je defrime un Picasso de toute beaute qui represente un ?il de vache dans une soucoupe posee au sein d’un triangle isocele (les plus beaux), lorsqu’une cavalcade se fait entendre. Je me retourne et j’avise un Finfin livide qui se rabat avec les yeux en bandouliere, la bouche ouverte et la sucrette en prise.

— Monsieur le commissaire ! Monsieur le commissaire ! bavoche le bonhomme. Un malheur ! Un grand malheur !

Je m’elance sur la moquette lie-de-vin a tringles de cuivre. Au premier, une porte est ouverte. J’entre. Je vois Laurenzi mort sur son lit. Car, bien qu’il soit en pyjama et dans un plumard, il est impossible de le croire endormi. Ce mec est canne a ne plus en pouvoir… Cireux, pince, glace… Et puis, que je vous fasse rire : il a une corde au cou. Les deux extremites d’icelle sont allongees de part et d’autre de l’oreiller. On a etrangle M. Jerome assez proprement. A deux ! Chacun devait tenir un bout de la corde apres qu’on eut fait decrire un tour mort au cou de Laurenzi.

Pas trace de lutte. Je remarque un verre avec encore de l’eau dedans sur la table de nuit. Une boite de pilules… Un somnifere. Il a du s’envoyer chez Morphee a coups de sedatif. Pendant qu’il en ecrasait, deux aimables personnes sont venues lui essayer sa cravate des dimanches.

Je fais une chose que j’ai encore jamais faite en pareille circonstance : je m’assois sur une chaise capitonnee, je croise mes jambes, et je regarde le defunt en reflechissant.

La fiere stature de Beru obstrue l’encadrement. Le Gros regarde le lit, hoche la tete d’un air entendu et s’arrache un poil de nez, comme pour s’attirer une larme.

— S’il est pas clamse, c’est rudement bien imite, declare mon copain…

Je ne reponds pas. Je continue de reflechir. Cette affaire, c’est comme une sorte de petrin mecanique dont les pales tournent en rond, puis sur elles-memes… Le systeme solaire, quoi ! Et ca malaxe je ne sais quelle drole de pate !

Tonton Prosper meurt… D’une mort pas tellement franche, reconnaissons-le. La nuit suivant ses funerailles, deux belles elegantes en Cadillac fouillent sa masure… Prosper possedait un immeuble a Paris. Il s’avere que ledit immeuble abrite un clande. Ce clande est la propriete de Laurenzi… Et voila qu’on etrangle Laurenzi… M’est avis que le gaillard est mort depuis un bon bout de temps. Au moins deux ou trois jours… Ca renifle vachement la Toussaint dans la piaule.

— Appelle-moi Finfin ! me decide-je.

— Je suis la, bave le vioque…

Il a ete salement commotionne, Finfin. Avouez que c’est pas drole, pour un vieux tricard, de decouvrir son patron etrangle au moment precis ou la police lui rend visite, hein ? L’operation manque-de-bol !

— Tu m’as dit que tu rentrais de vacances, Finfin ?

— Tout a l’heure… Je reviens du bapteme de mon petit-fils, en Vendee.

— Tu es reste parti longtemps ?

— Quatre jours.

— Et il n’y a pas d’autres larbins que toi dans la creche ?

— Une vieille cuisiniere. C’est elle qu’a eleve M. Jerome…

— Elle aurait mieux fait d’elever des lapins, ronchonne Sa Pertinence.

— Ou est-elle, cette digne dame ?

— Justement, murmure le chouan du faux talbin, je m’etonnais de ne pas la voir…

— Elle loge ici, bien sur ?

— Naturellement !

— Tu l’as cherchee ?

— Je suis alle voir dans sa chambre, elle n’y est pas !

— Tu devrais explorer la masure plus en profondeur, conseille-je. Donne-lui un petit coup de paluche, Gros, des fois que Finfin serait devenu presbyte en prenant du carat…

Mes deux comiques troupiers disparaissent. Je decide alors d’operer une petite perquise-eclair. Je commence par fouiller le secretaire d’acajou decorant la piece. Il brille doucement dans la penombre. Il fait miroir dans ses parties rondes et reflechit le lit avec le cadavre… Saisissant comme impression, mes fils !

Deux tiroirs du meuble sont bourres de lettres d’amour liees avec des rubans de couleurs differentes. M’est avis qu’il jouait les Casanova, Laurenzi. Au cours de sa vie il a descendu quelques frangines, croyez-moi, et il devait pas etre feignant a l’etabli, on s’en rend compte a travers les ecrits de ces dadames ! Vous parlez d’un petit ramoneur de broussailles ! Les plus polissonnes rappellent ses etourdissantes prouesses sur matelas Simmons,

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