sont nouees et galopent dans votre imagination.

Je peux pas m’empecher… Ca me prend comme une envie de gauler, comme une envie de chialer. Faut que je m’arrete, que je m’adosse au paragraphe en cours pour vous dire… Je vous aime bien, j’ai besoin… C’est un vertige. Faudra que je demande a mon editeur de les imprimer en couleur, mes passages fumeux, pour que ceux qui ne les aiment pas puissent les sauter et que se precipitent dessus, au contraire, ceux qui les aiment : mes amis. Oui, faudra… Faudrait !

Tout est a faire, a refaire, a defaire… Et puis, vous voyez, on continue. On neglige. On se dit « qu’a quoi bon ». Il a trop le sens de son provisoire, l’homme, pour s’organiser vraiment. C’est ce qui fait la grande force des juifs. Eux, ils s’installent toujours et partout comme si c’etait pour l’eternite. Les grands errants, les grands brimes, les grands tourmentes de l’humanite ont d’instinct cette force de caractere. Pour eux, le pique-nique n’existe pas. Tout de suite c’est Vauban ! On fortifie, on amenage.

Sur le catalogue des putes, on a une sacree nomenclature de l’amour et de ses richesses. De quoi flanquer d’abominables complexes a ceux qui s’imaginent que l’amour c’est seulement « bonjour madame-au revoir madame !Un coup pour jeter sa casquette, un autre coup pour aller la chercher !

Sur la premiere page, on voit une mome splendide, arabe, je pense, avec un grain de beaute en plein milieu du front, des yeux mouilles et des levres epaisses. Sa biographie annonce : Myriam, vingt-quatre ans. Peu douee pour les exercices buccaux. Par contre, grande specialiste de la danse du melon. Sujet convenant particulierement aux contemplatifs assoiffes de spectacle.

Passionnant, non ? La photo voisine represente au contraire une belle blonde, un peu trop poupine, un peu trop fardee, avec les yeux cons d’un epagneul qui n’a pas retrouve le gibier abattu.

Et on lit, a sa rubrique : Lola, 21 ans. Corps parfait, mais tendance a la cellulite. Pratique admirablement l’amour a la duc d’Aumale. Pleine d’heureuses initiatives dans les surprise- parties.

Et je poursuis l’exploration de ce tres particulier album. On la pratique d’une facon moderne, la prostitution, de nos jours. Le personnel se recrute par agences specialisees. Un bordelier veut une pensionnaire, il demande aux impresarios[11] leur catalogue et il se choisit un sujet correspondant a ses besoins. Il lui faut une negresse, une Suedoise, une Ricaine ? V’la ! Servez chaud ! Une Greta Garbo, une Marilyn, une Brigitte ? Hop, c’est parti ! Une technicienne de la clarinette baveuse, une artiste du grand ecart, une douee de la malle arriere ? Banco, servez-vous ! Ca devient du travail de regisseur. Ces dames, quand ca ne carbure pas selon leurs desirs (coupables), changent d’agents. Comme un acteur passe de Ci-Mu-Ra chez Horstig, elles quittent l’ecurie de Paulo-pain-de-fesses pour celle de Dede-les-belles-gonzesses. Dix pour cent sur la transaction, je suppose ? On vend bien les joueurs de football ! Apres tout, y a pas de raison.

Je me fends le pebroque en apprenant que Carola la Roumaine est la reine du vibromasseur sur peau de mouton a l’envers[12], que Frida la Germaine prend du petit comme un vrai pedoque ; que Barbara la Britiche est une participante a part entiere (son talent reside dans son absolue sincerite). On trouve de tout, et le reste ! Une Chinoise (qui se laisse deguster a la baguette), une femme-canon (deux cent vingt livres a poil), une etudiante en droit (licenciee c’est la sante), une princesse russe (pour les bas tauliers de la vodka), une Annamite, une catcheuse, une dompteuse, une mere superieure, une s?ur de lait, une fille de joie, un garcon de peine, une cousine germaine, une tante, deux tantes, trois tantes, la femme d’un ancien ministre, une comedienne, deux comediennes, trois comediennes, une vierge, une hypertrophiee des glandes mammaires, une Syrienne (qui rit quand on l’apaise), une dactylographe, une evangeliste, une noctambule, une Lapone, une technocrate, une autodidacte et trois bureaucrates. On trouve tous les beaux prenoms, ceux qui vous portent a l’ame ou a la peau. Des Dolores, des Monica, des Carla, des Heidi, des Jennifer (a repasser), des Joan, des Gretta, des Frederique, des Nathalie, des Barbara, des Ursula, des Consuela, des Consulats, deux Mercedes (dont l’une est surnommee 220 SE pour la differencier de l’autre et parce qu’elle est a injection directe), des Valerie, des Cynthia, des Angela, des Patricia, des Gloria, des Victoria, des Alleluia.

Vous parlez d’un beau cheptel ! Vous parlez d’un paradis en bouteille ! La volupte en cinquante photos ! Tout le plaisir depuis Ah ! jusqu’a Reste ! L’epanouissement unique du sensoriel ! Le feu d’artifice glandulaire ! La manufacture de la pamoison ! Il y a la les specialistes qualifiees de l’olive et de la corde a piano ; les adeptes du moulin a cafe ! Le bataillon des martineuses ; celui des insulteuses ; la brigade des cracheuses ; le commando des avaleuses ; l’escouade des cavalieres-a-rebours ! Toutes sublimes ! Illuminees par leur feu occulte interieur ! Les fieres gagneuses horizontales, pleines d’initiatives osees. L’immense troupeau parfume, peinturlure, elegance de celles qui transforment un mediocre moment en apotheose ! Il y en a qu’ont les roploplos comme des montgolfieres jumelles. D’autres qui pourraient se faire des soutiens-gorge avec des gants de toilette. Des grandes, des immenses, des minuscules, des malleables, des reches, des plates, des fluides, des rebondies, des qu’ont les hanches en pelle a gateau, des qu’ont les epaules en branches de sapin, des qui sont faites au moule, des qu’ont la moule bien faite, des musulmanes, des catholiques, des brahmines, des juives, des bouddhistes, des paiennes et une protestante convertie. Et a force de feuilleter, je realise progressivement que cet album-catalogue est une espece de bible. La bible de la femme, et la bible de l’amour. Le Dalloz des passions physiques ! Le Code civil des bonnes manieres. Il contient toutes les possibilites epidermiques, c’est l’apologie du derme, de l’epiderme et de la glande ! C’est le Pantheon du passionnel ! L’embrasement total, complet, de la viandasse ! Le trace meteorique du sexe ! Je tourne les pages, je lis les rubriques, je contemple les photos. C’est une revue delicate, delicieuse…

Penche sur moi, Beru en fait autant. Un filet de bave degouline sur mon epaule. Il a les yeux qui font du yo-yo. Il savonne de la menteuse, o combien ! Il en voudrait ! Il en reprend par la pensee ! Il se fait surmener l’intime en imagination.

— Tu parles d’un parc a moules ! bavoche-t-il. Ah ! mon neveu, ce troupeau de memees ! O tais-toi, mon c?ur, ce qu’on pourrait se choisir pour son petit Noel ! J’aurais tout ca a ma dispose, ca serait tous les soirs mon anniversaire. T’as mate cette petite poupee rouquine, Gars ? Cette fossette au menton, et l’?il vicelard qui te plume les boutons du futal ? T’as vu ce balconnet pour travailleur de force ? Et cette grande brune, dis ? A son ?il, tu realises le boulot dont au sujet duquel elle est capable ! Tu la visionnes a l’horizontale dans ses exercices de haute voltige !

Il continue de s’humidifier, de devenir spongieux et exorbite. Son regard proemine de plus en plus. Il apoplexique a bloc, Beru.

— Autres temps autres nurses, classique-t-il. Je me rappelle, chez nous, les jours de foire, au chef-lieu, quand mon vieux allait vendre ses b?ufs…

Il revasse.

— Apres le champ de foire, c’etait le bistrot. Ca s’entassait dans les troquets de la place. Ca lichetrognait a outrance en discutant des prix… On casse-croutait. On chantait… Et puis voila que brusquement, les bonshommes se mettaient a causer a voix basse. Je savais tout de suite de quoi t’est-ce qu’il retournait : le claque. Ca finissait toujours commak. Ils faisaient semblant de pas y penser, et c’est seulement quand ils avaient bien gorgeonne que l’un d’eux baissait le ton pour demander : « On va dire bonjour a Ninette ? »

Ninette, c’etait la tenanciere du bouiboui de la rue des Blancs-Lapins. Une grosse, rondelette, avec du maintien, quoique ayant le genre espagnol. Je la revois avec son chignon sur le sommet de la tete, pareil a une grosse pomme, ses tifs huileux, sa grosse verrue a poils au menton, et son rouge a levres qui lui remontait jusque sous le naze. Ces messieurs m’emmenaient et j’attendais dans la cuisine pendant qu’ils se choisissaient leur cocotte-minute. Il y avait toujours la meme petasse a me tenir compagnie : Marcelle, une petite dehanchee, un peu bossue sur les bords, avec des pommettes proeminentes et des traces de variole sur les joues. Elle faisait toujours tapisserie, la mome Marcelle. A part quelques compliques, comme le percepteur, personne la grimpait et elle faisait du menage pour compenser son chomage au plumard.

J’ai jamais rien rencontre de plus gentil que cette paumee. Elle avait des yeux tristes et la voix douce. Je m’imaginais que les saintes du Paradis devaient etre comme elle : mal foutues et gentilles eperdument. Mon dabe, c’etait toujours la meme qu’il grimpait : Cleo, une solide fille bien dans son gabarit a lui. Elle portait toujours une jupe noire, etroite et fendue sur le cote, des bas a grille, un corsage vert… Une rouquine ! Papa aimait les rouquines. Tout le monde le savait et ma vieille se mettait a apprehender quand une flamboyante quelconque venait draguer dans notre secteur. Marcelle, pendant que je poireautais dans sa cuisine, m’offrait des biscuits qu’elle sortait toujours de la meme boite en fer. Sur le couvercle, ca representait une tete de cheval. Chaque fois elle me demandait mon age. Je gagnais en carats au fil des foires. Dix ans, m’dame… Onze ans, m’dame… Rien ne bougeait rue des Blancs-Lapins. Y avait toujours les memes tetes, si j’ose causer ainsi. Ninette, Marcelle, Cleo,

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