fille blonde qu’on retrouve a tout bout de champ dans nos lattes depuis hier !

Cette fois, je cesse de preter a la Baleine des amours coupables — dont elle saurait faire usage le cas echeant, soit dit entre nous et entre parentheses. Cette souris aux cheveux de lin, je commence a avoir use fichue envie de la rencontrer.

Sacree Hildegarde, va !

Je ne sais pas si dix heures sonnent quelque part car, dans le fracas de la fete, on ne saurait les ouir, toujours est-il que le cadran de ma Piaget est formel : il est dix plombes a ne plus en pouvoir, et si je m’obstine a le fixer il va finir par etre dix heures une en pas plus de soixante secondes ! Les autotamponneuses font un charivari du diable. C’est le manege le plus bruyant. Celui qui attire le plus de chalands, le plus de nonchalants aussi. Il assouvit les passions, il assume les desirs rentres… On y rencontre ceux qui n’ont pas de voiture et qui se donnent l’illusion d’en avoir… Et ceux qui, en possedant une et ayant la hantise de la cabosser, s’offrent des collisions bien feroces au volant de leur autotampon histoire de liquider leurs complexes.

Faut les voir se telescoper a bloc, dents crispees, yeux fous, rictus pour masques de carnaval ! Des gueules terribles ils arborent ! Demoniaques ! Assassines ! Vicieuses a outrance ! Y a du meurtre dans toute leur personne, aux tamponneurs. Ils sont destructeurs, Attilas, ravageurs, broyeurs de toles… Et les etincelles crepitent au bout des perches, sur la grille electrifiee. Et les filles qui les accompagnent gloussent, se pament, prennent leur fade de se sentir au cote d’aussi puissants guerriers, d’aussi nobles chevaliers, d’aussi valeureux et intrepides conducteurs. La viandasse malaxee, les rires arraches du ventre par les violentes secousses ! Toute la tripaille en emoi, tout le visceral en delire, tous les sens paniques… Rrraoum ! Vlan ! Bing ! Encore ! Ah ! salaud ! tu m’as eu ! Bouge pas, ca va etre ton tour, ta fete (foraine), ton apotheose ! Laisse que je te coince, ordure ! Et baoum, on lui fonce dessus, au mechant feinteur ! Vautour sur sa proie en tire-d’aile. On le Kamikase ! Vive la torpille humaine ! La plus riche des morts, c’est celle-la : l’aneantissement par percussion de l’adversaire. La mort par la destruction d’autrui. La fete a la ferraille, mes fils ! Dans le tohu-bohu, la musique, les cris, les mechantes lumieres…

L’inventeur de l’autotampon ? Quelqu’un ! Un grand psychologue, le roi des defoulants ! A cote, le manege de la fusee cosmique ne fait pas recette, malgre son fuselage profile, sa capsule detachable et ses feux meteoriques. La populace, faut l’admettre, elle s’en tamponne, des exploits spatiaux. Elle est pas chaude pour la grande vadrouille astrale. La Terre lui suffit.

Elle a ses bagnoles, sa teve, ses impots, ses traites a payer, alors pour ce qui est du cosmos, qu’il laisse son adresse, on lui ecrira. Un jour, a la terrasse de Lipp, j’ai entendu l’exclamation d’un gars qui matait en premiere feuille de Lazareff-Soir des exploits fuseeux… (Une fusee amerloque avait reussi a se carrer le naze dans le fion d’une autre.) « Encore ! Ils nous pelent avec leurs conneries », s’est exclame l’erudit que je vous fais etat ! Textuel. Lui, dans France-Soir, il preferait, a ces fabuleuses performances, le garagiste assassin on la bande dessinee de San-Antonio.

Le Gros qui a cesse de larmoyer regarde autour de soi avec une legitime anxiete.

— Il est dix plombes, non ? murmure-t-il.

— Et comment ! rencheris-je.

— Tu crois pas que c’est une galejade ? suppose-t-il.

— Tel a ete mon premier sentiment, Beru, mais puisque tu me dis que Berthe est partie avec la mysterieuse Hildegarde, nous devons attacher de l’importance a ce message…

Nous faisons les mille pas devant la creche de la femme-canon, Mme Lola, elle s’appelle. Une affiche allechante nous promet ses quatre cent soixante livres, son metre cinquante de bout de cuisse et bien d’autres richesses peu communes.

Cent francs pour visionner cette merveille ! Au prix ou est le beurre c’est donne, non ?

— Mince ! s’ecrie le Gros. (A vrai dire il emploie un autre mot comportant le meme nombre de lettres, mais dont les trois du milieu different…)

— Que t’arrive-t-il, intellectuel a tignasse ?

— Mate un peu ce qu’on vient de me coller dans la main !

Il tient un morceau de papier roule menu.

— Qui donc t’a remis cela ?

— Je ne sais pas. Ca m’a chatouille la paume. Le temps que je m’ai retourne, j’ai vu personne !

Il deroule le parchemin. Il s’agit d’un horoscope comme en distribuent certains appareils automatiques sur les champs de foire. Car l’homme a tout annexe, tout standardise, y compris le futur.

Au dos de l’imprime on a ecrit en caracteres batons :

PRENEZ LE TRAIN FANTOME.

L’intrigue se corse decidement.

Le manege en question se trouve juste en face de la roulotte de Mme Lola. C’est un vaste baraquement a l’interieur duquel gronde un bouzin de tous les tonnerres. Ca hurle, ca pouffe, ca glapit. Hysterique, cet endroit.

On prend deux biftons et on s’installe a bord d’un petit chariot. Illico le systeme a cremaillere s’enclenche et c’est le depart. Nous v’la happes litteralement ; catapultes dans des interieurs veneneux, dans un univers de sorciere soufreuse, dans une fausse necropole pour musee Grevin. Le chariot virevolte, fonce sur des murs de brique qui se revelent mous. Des figures grimacantes nous bondissent au visage… Des squelettes de plastique surgissent dans le faisceau merdeux d’un projecteur et s’escamotent. Des chauves-souris bidons nous decoiffent… Des mains vertes nous claquent… On pique sur un miroir ou fulgurent nos deux bouilles eclairees facon outre- tombe. Au supreme moment, le chariot pivote pour eviter l’obstacle… Nous franchissons un rideau de perles noires et debouchons alors en enfer… C’est le clou du voyage. Sa grande escale prestige ! La, le chariot marque un arret. On est environnes de flammes… Des suppots de Satan activent les brasiers… Ils ont des capes rouges et des tetes de mort vertes… Les peons de l’epouvante ! Une bande sonore emet un vacarme savamment compose de hurlements de damnes et de danses macabres de Saint-Saens.

— Baisse-toi, Gros ! hurle-je tout a coup…

Il obeit d’instinct. Se joignant au vacarme, le crepitement d’une mitraillette retentit.

Faut avoir l’?il san-antonien pont mater le canon d’une Thomson au milieu de ce decor fantasmagorique, non ?

Il y avait un trou dans la toile de la baraque et j’ai tout de suite vu les deux mains gantees de noir qui braquaient la seringue sur nous. J’aurais pu regarder ailleurs, notez bien… Mais non ! San-Antonio, c’est ca… Tout de suite, le truc culminant. L’?il infaillible, il a. Sinon il ne serait pas San-A. Et reconnaissez que ce serait dommage, toute immodestie mise a part — et en equation.

Ca praline du tac-tac au tac-tac, les gars… La salve d’honneur. Vive le president ! Et la fete continue !

J’avise alors un gus terrorise, blotti dans un renfoncement. C’est un abri prepose a la man?uvre du train. Il est charge d’actionner la manette du courant pour stopper les wagons ou, au contraire, leur filer de la vitesse. Prompt comme l’eclair dont parlait Franklin (pas Roosevelt, celui qui etait intelligent) je lui saute dessus sans qu’il reagisse, trop chocotteur qu’il est, et je bloque la manette. Le train repart en grande vitesse. J’ai juste le temps de sauter en marche dans un compartiment fumeurs ! Quelle allure, ma doue ! Un vrai bolide, mes filles. Une sarabande eperdue ! Une guirlande aerolithique. Les passagers des autres wagons hurlent comme des steamers en brume ! Ils croient que c’est voulu, cette vitesse grand V, et ca leur excite les glandes. Plus question pour le mitrailleur de nous assaisonner, ou alors c’est la partie de pok ! Il n’a qu’a balancer le potage au petit malheur la malchance ! Le convoi fou prend de plus en plus de vitesse. A la fin, ce qui ne devrait pas arriver arrive : il deraille comme notre ami Pinaud apres son quatorzieme muscadet. Les wagonnets optent pour la ligne droite, alors que leur mission, justement, c’etait le meandre. Ils avaient un destin en coquille d’escargot et les voila offerts a la liberte rectiligne des trajectoires. Ils crevent les parois de toile et de planches. On traverse a l’air libre une zone heureusement deserte pour catapulter une autre baraque. Manque de pot, il s’agit de celle des lutteurs, le wagon a Beru deboule au bas d’un ring ou le « Tombeur du Calvadoslance un defi au public.

Beru est ejecte malgre son nombre respectable de kilogrammes qui devrait le confirmer dans les principes de l’attraction terrestre. Il decrit une courbe assez gracieuse et choit entre les cordes. Le Tombeur du Calvados l’accueille d’une manchette severe qui decroche le ratelier du Mastar. Il n’en faut pas plus pour faire oublier a Son Excellence le canardage et le deraillement. C’est pas le genre de gars qu’on peut saluer d’une manchette au placard, Alexandre-Benoit. Oh mais non ! Les prises vicelardes, les double Nelson, les placages en force, il n’en a

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