dechirer une eponge ! J’aurai droit a l’hernie etre anglais ! Laurentine au boxon ! Ca va etre un sacre cri a Saint- Locdu ! Quand la nouvelle leur arrivera, ils mourront de marrage, les gars de la-bas ! Y aura un article dans l’Echo des Bosquets !
Un glapissement pareil a la sirene d’un chalutier en perdition retentit ! C’est la cousine qui l’a pousse. Elle jaillit telle une furie. Elle bouscule les deux pensionnaires de Mme Froufrou ! Elle fonce dans l’etroit couloir aux murs tapisses de gravures galantes.
Un instant. Puis nous percevons un grand cri ! Un grand choc ! Un rale ! Des exclamations ! Quelques interjections aussi pour faire plus gai ; avec un soupcon d’onomatopees qui nous restituent, extremement veridiques : le barrissement de l’elephant, le grondement de l’ours blanc du Labrador ; le mugissement de l’ovibos des regions boreales et le miaulement du loup-cervier. On cesse de rire ! On se precipite ! On s’informe. Une porte ouverte nous projette la realite en pleine figure. En se taillant, Laurentine Berlinguet s’est gouree de lourde. Elle est entree dans une piece occupee par un gros monsieur d’un certain age et une frele jouvencelle sans carte d’electeur et sans feuille de vigne. Le monsieur d’un certain age possede un bide comme un obus, pointu du haut, une couronne de cheveux blancs autour de la calvitie et des fixe-chaussettes d’un modele perime. Outre ces petites sangles elastiques, signalons qu’il a pour seuls vetements les poils de sa poitrine et sa cicatrice d’appendicite.
Lui, tient sa carte d’erecteur a la main et il s’appretait a deposer son bulletin dans l’urne lorsque miss Laurentine a fait une brutale irruption dans sa vie sexuelle. La jouvencelle, agenouillee, patiente, aimable, regarde l’arrivante effondree sur la moquette, bousillee par les emotions fortes.
— Vous pourriez pas fermer la porte ! reproche-t-elle en nous apercevant, j’aime pas qu’on me regarde quand je travaille !
Son clille rouscaille vilainement. Il est pas venu ici pour faire une demonstration publique ! C’est un tranquille, un furtif ! Y a des rubans a la boutonniere de sa veste soigneusement posee sur un dossier de siege. Il est connu ! Il a une situation ! Il appartient au hemerepe. Et abonne au Gaz de France, s’il vous plait ! Quelqu’un, quoi ! Il faut des quelqu’un dans la vie ! Notre pays, Dieu merci, en a a revendre ! A louer ! A brader ! A offrir en prime !
On marche dessus dans l’autobus ! On en bouscule dans les rues ! Ils decident ; ils president ; ils conseillent ; ils desapprouvent ; ils glorifient ; ils sanctifient ; ils devotionnent. C’est du boulot, non ? Faut avoir l’influx nerveux pour le faire !
En revanche, un quelqu’un en bon etat a le droit de se confier l’intime a une demoiselle faite expres pour, sans que six mirontons le regardent, non ? Elle est ou, la morale chretienne autrement, dites un peu ? Si on n’a plus le droit de se faire telephoner au souverain pontife sans etre derange, ca la fout mal ! De quoi revendiquer ! Reclamer le remboursement integral de son dedit ! Il l’entend pas de cette oreille, le Casanova aux fixe- chaussettes. A propos, elles sont mauves, ses bretelles a socquettes !
Mme Froufrou, pour lors, eclate. Elle imprecationne formidablement apres Laurentine, comme quoi cette tarderie lui demolit le fonds de commerce ! C’est une empecheuse de gagner son pain-a-la- sueur-de-son-front, cette mochete ! Elle vous condamnerait a la faillite ! Vous cloquerait des complexes dans le grimpant d’un brigadier de gendarmerie ! Un danger public, elle affirme ! Une engendreuse de malefices ! Une desarmorceuse de coups fourres ! Qu’est-ce qu’il va dire, M. Albert, maintenant, avec cette emotion de la derniere seconde qui lui a reduit la couleuvre de broussailles a l’etat de soupcon, hein ? Et Dorothee, qui s’appretait a recueillir le fruit de ses efforts, comment elle va le recuperer, ce temps perdu ? Obligee de tout reprendre a la base ! D’effacer le compteur pour redemarrer a zero, c’est charmant ! Sans parler de son diplomate guineen qui ne va pas tarder et qui ne pourra pas se permettre de poireauter vu qu’il a une conference a l’Unesco ! Ca tourne a l’emeute, notre visite chez l’oncle Prosper ! Les vociferations, les imprecations se succedent ! Y a miss Fleur-de- Lotus qui renaude en cambodgien moderne ! Et puis Alexandra aussi, laquelle n’a pas digere l’exclamation de Laurentine a propos de ses pare-chocs a poumons !
Beru se marre encore, mais moins fort. Sa rifouille se calme, comme le vent sous l’averse. Les grondements de son bide s’eloignent. Il finit par s’arrimer le serieux au piquet de sa dignite.
— Stop ! hurle-t-il soudain.
Son bel organe caverneux retablit le calme. M. Albert se serviette avec promptitude. Mme Froufrou met une sourdine au pavillon de sa trompette. Les pensionnaires se taisent, mais restent la bouche ouverte par deformation professionnelle !
— On ne s’entend plus, mugit le Feroce, qu’est-ce qu’est que ce bordel ?
Il se reprend et murmure, adouci, a l’adresse de la patronne :
— Excusez-moi, ca m’a echappe.
La personne se tourne vers moi.
— Vous qui me paraissez un peu plus evolue que ce gros lard, dit-elle, vous pourriez m’expliquer ce que vous etes venus fabriquer ici ?
— Le gros lard que vous causez pourrait peut-etre vous voter des ennuis serieux ! tonne mon camarade en brandissant sa carte de flic.
— Mince, un Royco ! grogne la grosse dame d’une voix fataliste.
Elle nous refoule vers la sortie.
— Excusez le derangement, monsieur Albert, fait-elle au client en panne, Dorothee va vous finir, mais vous ne paierez pas ; c’est pas dans les manieres de l’etablissement de troubler les habitues !
Elle ferme la porte dans son dos.
— J’ecoute ! dit-elle noblement.
M’est avis qu’il est de mon devoir d’intervenir. Je lui raconte tout, sans mentionner toutefois que c’est un poulet qui est maintenant proprietaire du clande.
— Comprenez-vous, termine-je en matiere de peroraison, nous ignorions en entrant ici ce qu’etait cet immeuble et ce qu’on y faisait !
— C’est scandaleux ! reagit enfin Laurentine. Je veux m’en aller ! Porter plainte ! Il faut agir, et vite ! Alerter la paroisse ! Un pretre pour exorciser ! Qu’est-ce que je dis, un pretre : un eveque au moins ! En appeler a Sa Saintete, meme ! Evacuer ! Bruler ! Desinfecter ! Repeindre !
Elle s’affole ! Elle se signe ! Elle clapote des oraisons, par petits bouts en crottes de chevre. Elle se sent investie par des demons. Ils lui grimpent apres, lui chatouillent la jarretiere, lui escaladent le pantalon. Ils fourmillent, nombreux, ardents, polissons. L’impossible s’est produit, l’inadmissible est arrive, le plus monstrueux des inrevables cauchemars a eu lieu : Laurentine, la pure, la religieuse, la devote, la contrite, la sacerdotale ; celle qui signe ses pensees d’une croix, qui renouvelle les cierges, qui creuse de ses genoux cagneux le froid plancher des confessionnaux, qui jette des feuilles de rose a la Fete-Dieu, qui se lotionne le front a l’eau benite, qui se creuse la poitrine a coups de Je-confesse-a-Dieu, qui reprise des soutanes, qui repasse les surplis (americains), qui plumeaute les statues, de saint Joseph, de Jeanne d’Arc, de saint Michel Archange, de sainte Therese, de saint Pierre (et Miquelon), de saint Emilion, de saint Kolonalahune, de saint Cassete et de sainte Valerie-en-Jean-Cau : celle qui mange du poisson le vendredi ; celle qui messebasse tous les matins ; celle qui s’est gardee intacte pour comparaitre devant son Sauveur avec son bon de garantie d’origine, Laurentine, la virginale, se trouve dans un claque ! Laurentine est la presque coproprietaire d’un claque !
Elle trouve la sortie, cette fois. Elle devale l’escalier, rate une marche, se pete les meules sur le carreau… Elle sort, claque la porte !
Dame Froufrou congedie ses deux pensionnaires d’un geste.
— Quelle histoire ! gemit-elle, alors c’est un flic qui herite de cette maison ?
— Positivement, sentence Beru, tres noble, tres authentique dans son nouveau role de capitaliste.
— Feu Prosper Berurier connaissait-il l’usage qu’on faisait de son immeuble ?
Elle hausse les epaules.
— Je n’en sais rien ; moi, que voulez-vous, je ne suis que la gerante.
— Qui est le patron ?
Elle s’offre le luxe d’hesiter, mais je sors ma carte de poulaga a moi. En voyant s’etaler dessus mon grade de commissaire, elle met les pouces.
— Le patron est M. Jerome Laurenzi, dit-elle.
— Tiens ! Tiens, ! fais-je.
Vieille connaissance. Un truand mondain ! Toujours soupconne, jamais mouille. Laurenzi, c’est un