Queue de cheval sauta par-dessus un tourniquet et ecarta des touristes pour franchir les portes. Je suivis.

Ce n’est que lorsque j’atteignis le grand hall voute et que je le vis se frayer un chemin a travers la foule pour grimper par l’escalier mecanique en direction de la galerie d’excursion que je compris ce qu’il voulait faire.

Mon pere m’avait fait faire l’excursion des Templiers a l’age de trois ans. Les acces distrans etaient ouverts en permanence. Il fallait environ trois heures pour faire a pied le tour guide de la trentaine de mondes ou les ecologistes templiers preservaient des fragments de la nature susceptibles, d’apres eux, de faire plaisir au Muir. Je ne me rappelais pas exactement, mais il me semblait bien que chaque parcours formait une boucle et que les portes etaient suffisamment proches les unes des autres pour que les guides templiers et les agents d’entretien puissent se deplacer partout sans difficulte.

Merde !

Un gardien en uniforme, devant le portillon, s’apercut de la confusion creee par Queue de cheval et s’avanca pour interpeller l’intrus. Bien qu’a quinze metres de lui, je vis nettement le desarroi et l’incredulite qui se figerent sur le visage de cet homme age, probablement un retraite de la police locale, quand il tituba en arriere, le manche du long poignard de Queue de cheval emergeant de sa poitrine. Il baissa la tete, le visage bleme, posa la main sur le manche de corne, en hesitant, comme s’il s’agissait d’un gag, puis s’ecroula, la tete la premiere, sur le carrelage de la galerie. Des touristes hurlerent. Quelqu’un cria qu’il fallait un medecin. Je vis Queue de cheval ecarter un guide templier et foncer a travers la porte luminescente.

Les choses ne se passaient pas tout a fait comme je l’avais prevu.

Je bondis sans ralentir de l’autre cote de la porte.

J’etais sur le versant glissant d’une colline herbeuse. Le ciel etait jaune citron et les odeurs tropicales. Des visages etonnes se tournaient vers moi. Queue de cheval etait deja a mi-chemin de l’autre porte. Il coupait sans vergogne a travers des plantations florales elaborees et bousculait des forets de bonsais. Je reconnus au passage le monde de Fuji et devalai la colline sur les chapeaux des roues, puis regrimpai sur ses traces a travers les plates-bandes deja massacrees par Queue de cheval.

— Arretez cet homme ! m’ecriai-je, consciente du ridicule de mon exhortation.

Personne ne bougea, naturellement, excepte une touriste nippone qui leva son imageur pour tourner une sequence.

Queue de cheval regarda rapidement derriere lui, fonca au milieu d’un groupe de touristes petrifies et s’elanca a travers la porte distrans. J’avais de nouveau mon etourdisseur a la main. Je l’agitai en menacant la foule.

— Ecartez-vous ! Ecartez-vous !

Ils me firent precipitamment un passage. Je franchis prudemment la porte, etourdisseur leve. Queue de cheval n’avait plus son poignard, mais j’ignorais de quels autres joujoux il pouvait disposer.

Plan d’eau miroitant. Vaguelettes mauves de Mare Infinitus. La passerelle en bois, etroite, passait a dix metres au-dessus des caissons de flottaison. Elle s’eloignait en direction d’un recif de corail feerique et d’une ile de varech jaune avant de faire une boucle pour revenir a son point de depart, mais un pont encore plus etroit offrait un raccourci pour gagner la porte suivante. Queue de cheval etait en train d’escalader la grille qui portait une pancarte ENTREE INTERDITE, et retombait agilement de l’autre cote pour reprendre sa course.

Arrivee a la grille, je m’arretai, mis le selecteur de mon arme sur faisceau serre et balayai l’espace devant moi d’un rayon invisible comme si j’etais un jardinier en train d’arroser sa pelouse.

Queue de cheval sembla trebucher legerement, mais reussit a parcourir les derniers dix metres qui le separaient de la porte et a passer de l’autre cote. Je poussai un juron et escaladai a mon tour la grille, ignorant les injonctions d’un guide templier derriere moi. J’apercus en un eclair la pancarte qui conseillait aux visiteurs de se couvrir de leurs combinaisons thermiques, puis je me retrouvai de l’autre cote, sentant a peine un picotement au moment ou je franchissais la porte distrans.

Le blizzard soufflait, fouettant le champ de confinement incurve qui transformait le parcours touristique en un tunnel transparent a travers la blancheur dechainee de Sol Draconi Septem, ou tout au moins une partie de ses regions septentrionales ou les groupes de pression templiers de la Pangermie avaient mis le hola au projet de rechauffement atmospherique de la colonie afin de sauver les spectres arctiques en peril. Je sentais le poids des 1,7 g standard sur mes epaules comme si c’etait la barre de mon appareil de musculation. Dommage que l’autre ait ete lui aussi un Lusien. S’il avait ete dans la moyenne physique du Retz, il n’y aurait eu aucun doute sur le vainqueur de cette course. Mais nous allions bien voir qui tenait la meilleure forme.

Il avait une cinquantaine de metres d’avance sur moi, et il se retournait sans cesse pour regarder par- dessus son epaule. La porte suivante ne devait pas etre loin, mais le blizzard empechait de distinguer quoi que ce soit en dehors du tunnel. Je galopais allegrement dans son sillage. Eu egard a la gravite, ce parcours etait le plus court de toute l’excursion. Le tunnel s’incurvait a une centaine de metres a peine du point de depart vers lequel il nous ramenait. Je savais que je gagnais sur Queue de cheval. J’entendais sa respiration haletante. Je n’etais meme pas essoufflee. Il ne pouvait plus m’echapper. Nous n’avions depasse aucun touriste jusqu’a present, et personne ne semblait nous poursuivre. Apres tout, ce n’etait pas un trop mauvais endroit pour lui tomber dessus et lui poser quelques questions.

Il etait a trente metres de la sortie lorsqu’il se retourna subitement, mit un genou a terre et pointa son pistolet thermique. Le premier tir fut trop court. Il ne devait pas avoir l’habitude de la gravite sur Sol Draconi. Mais le rayon avait tout de meme laisse un sillon a un metre de moi dans le sol gele. Et il etait en train d’ajuster sa visee.

Je sortis du champ de confinement, enfoncant d’abord mon epaule dans la resistance elastique et titubant dans des congeres qui m’arrivaient a la taille. Les rafales glacees me brulaient les poumons. La neige forma une gangue sur mon visage et mes bras nus en l’espace de quelques secondes. J’apercus Queue de cheval qui me cherchait a l’interieur du tunnel eclaire, mais le blizzard jouait maintenant en ma faveur et je fendis les congeres pour me rapprocher de l’endroit ou il se trouvait.

Il passa la tete, les epaules et le bras droit a travers la paroi de confinement, clignant des yeux pour chasser les particules de glace qui se formaient instantanement sur ses joues et son front. Son second tir passa trop haut, mais je sentis la chaleur du rayon au-dessus de ma tete. J’etais maintenant a moins de dix metres de lui. Je reglai mon etourdisseur sur son faisceau le plus large et arrosai tout l’espace dans sa direction sans sortir la tete de la congere ou je m’etais enfoncee.

Queue de cheval laissa choir son pistolet dans la neige et tomba en arriere de l’autre cote de la paroi de confinement.

Je poussai un cri de triomphe, qui se perdit dans la tourmente, et titubai en direction du tunnel. Mes pieds et mes mains etaient des prolongements lointains qui ne ressentaient plus ni le chaud ni le froid. Mes joues et mes oreilles, par contre, etaient en feu. J’essayai de ne pas y penser et me jetai de nouveau contre le champ elastique.

C’etait une enceinte de confinement de classe 3, prevue pour contenir les elements et tout ce qui avait au moins la taille imposante d’un spectre arctique tout en permettant au touriste egare ou aux agents d’entretien de rentrer sans probleme dans le circuit. Mais j’etais sonnee par le froid, et je me cognai sans succes pendant plusieurs secondes contre la paroi molle, comme une mouche dans du plastique transparent, mes pieds derapant sur la glace et la neige. Je reussis finalement a m’introduire lourdement dans le tunnel, non sans avoir a tirer mes jambes derriere moi.

La soudaine chaleur du tunnel me communiqua un tremblement irrepressible. Des aiguilles de glace tomberent partout autour de moi tandis que je forcais d’abord mes genoux puis mes pieds a soutenir mon poids.

Je vis Queue de cheval qui parcourait peniblement les cinq metres qui le separaient de la porte. Son bras droit pendait comme s’il etait casse. Je connaissais le genre de douleur que peut causer un neuro-etourdisseur, et je n’aurais pas voulu me trouver a sa place. Il tourna la tete pour me regarder tandis que je me remettais a courir, tant bien que mal, dans sa direction, puis il franchit la porte.

Alliance-Maui. L’atmosphere etait tropicale et saturee d’odeurs de vegetation et d’ocean. Le ciel avait la couleur d’azur de l’Ancienne Terre. Je vis immediatement que le parcours debouchait sur l’une des rares iles mobiles encore naturelles que les Templiers avaient sauvees de la colonisation hegemonienne. C’etait une assez grande ile, de cinq cents metres de long environ. De l’endroit ou je me trouvais, sur une plate-forme circulaire au

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