La voix douce de Johnny me fit presque tomber a la renverse.

— Johnny ?

Je regardai le persoc, toujours en sommeil. L’indicateur de frequence n’etait pas eclaire.

— Johnny ? C’est vous, Johnny ?

— Naturellement. Je me demandais quand vous vous decideriez a allumer votre persoc.

— Comment avez-vous retrouve ma trace ? Sur quelle frequence m’appelez-vous ?

— Ne vous occupez pas de ca. Ou allez-vous ?

J’eclatai de rire et lui expliquai que je n’en avais pas la moindre idee.

— Pouvez-vous m’aider ?

— Une seconde… Voila, reprit-il au bout d’une fraction de ce temps. Je vous ai localisee sur un des satellites meteo. Rudimentaire, mais ca fera l’affaire. Vous avez de la chance que votre hawking ait un transpondeur passif.

Je regardai la mince epaisseur de tapis qui etait la seule chose entre moi et une longue chute vertigineuse dans la mer.

— Ah oui ? Mais les autres peuvent donc me retrouver aussi ?

— Ce serait vrai, repliqua Johnny, si je n’avais pas pris la peine de brouiller le signal. Ou voulez-vous aller ?

— Chez moi.

— Je me demande si ce serait une tres bonne idee apres… euh… le deces premature de notre suspect.

Je froncai les sourcils, soudain soupconneuse.

— Comment savez-vous cela ? Je ne vous ai encore rien dit.

— Un peu de serieux, H. Lamia. Vos exploits sont racontes sur toutes les frequences de la securite de six mondes au moins. Ils ont meme un signalement de vous qui correspond assez bien.

— Merde !

— Vous avez raison. Ou voulez-vous aller, maintenant ?

— Ou etes-vous ? Chez moi ?

— Non. Je suis parti lorsque les frequences de la police ont commence a parler de vous. Je suis… a proximite d’une porte distrans.

— C’est la que je veux etre aussi.

Je regardai de nouveau autour de moi. L’ocean, le ciel, les trainees de nuages au loin. Aucune trace de VEM, en tout cas.

— Tres bien, fit la voix desincarnee de Johnny. Il y a une multiporte desaffectee de la Force a moins de dix kilometres de l’endroit ou vous vous trouvez actuellement.

Je mis la main en visiere sur mon front et balayai l’horizon sur trois cent soixante degres.

— Vous vous foutez de moi ? J’ignore a quelle distance est l’horizon sur ce monde, mais ca ne peut pas etre inferieur a quarante bornes, et je ne vois pas le moindre foutu truc !

— Base submersible, expliqua Johnny. Accrochez-vous. Je prends les commandes.

Le tapis hawking s’inclina violemment, vira, piqua du nez, puis se stabilisa et commenca a perdre rapidement de l’altitude. Je m’agrippais a deux mains, refoulant une envie hysterique de hurler a pleins poumons.

— Submersible ! criai-je pour couvrir le sifflement du vent. Et a quelle distance ?

— Vous voulez dire a quelle profondeur ?

— C’est ca !

— Huit brasses.

Je convertis l’unite archaique en metres. Cette fois-ci, je hurlai pour de bon.

— Ca fait presque quatorze metres sous l’eau !

— Ou serait une base submersible sinon sous l’eau ?

— Qu’est-ce que je dois faire ? Retenir ma respiration ? glapis-je tandis que l’ocean montait vers moi a toute vitesse.

— Pas necessaire, me repondit mon persoc. Votre tapis hawking est muni d’une bulle anticrash assez primitive qui devrait tenir sur huit ou dix brasses. Accrochez-vous, s’il vous plait.

Je m’accrochai de toutes mes forces.

Johnny m’attendait a mon arrivee de l’autre cote. La base submersible abandonnee, obscure et moite, possedait une porte distrans d’un modele militaire dont je n’avais jamais entendu parler jusque-la. Ce fut un grand soulagement pour moi que d’emerger dans les rues d’une grande ville ensoleillee pour rejoindre Johnny.

Je lui racontai ce qui etait arrive a Queue de cheval. Nous etions dans une grande artere toute vide, bordee de vieux immeubles. Le ciel etait bleu pale, ce devait etre la fin de l’apres-midi. Mais le plus frappant etait qu’il n’y avait personne en vue.

— He ! lui dis-je en m’arretant brusquement. Ou sommes-nous ?

Ce monde etait nettement de type terrestre, mais le ciel, la gravite et la texture de l’endroit ne ressemblaient a rien de ce que j’avais visite.

Il sourit.

— Essayez de deviner. Marchons encore un peu.

Nous descendions une large avenue. Sur ma gauche, je vis des ruines. Je m’arretai, bouche bee.

— C’est le Colisee ! m’exclamai-je. Le Colisee romain de l’Ancienne Terre !

Je regardai de plus pres les vieux immeubles alentour, les paves de la chaussee et les arbres qui oscillaient doucement sous la brise.

— C’est une reconstitution de la ville de Rome sur l’Ancienne Terre, affirmai-je en essayant de reprimer l’etonnement qui percait dans ma voix. Nous sommes sur la Nouvelle-Terre ?

Mais je savais tres bien que ce n’etait pas le cas. J’avais visite la Nouvelle-Terre de nombreuses fois. La couleur du ciel, les odeurs et la gravite n’etaient pas les memes.

Il secoua la tete.

— Nous ne sommes pas dans le Retz, me dit-il.

Je m’arretai net.

— C’est impossible !

Par definition, tout monde accessible par le reseau distrans faisait partie du Retz.

— C’est pourtant la verite, me dit Johnny.

— Ou sommes-nous, alors ?

— Sur l’Ancienne Terre.

Nous nous etions remis a marcher. Il me montra une autre ruine.

— Le Forum.

Nous descendimes un grand escalier, et il ajouta :

— Devant nous, la Piazza di Spagna, ou nous passerons la nuit.

— L’Ancienne Terre… commentai-je, ouvrant la bouche pour la premiere fois depuis vingt minutes. Un voyage dans le temps ?

— Impossible, H. Lamia.

— Un parc thematique ?

Il se mit a rire, d’une maniere plaisante et decontractee.

— C’est possible. J’ignore a quoi il repond exactement. Mais c’est… un analogue.

— Un analogue…

Je plissai les yeux, regardant le soleil pourpre en train de se coucher au fond d’une rue etroite.

— Cela ressemble exactement aux holos de l’Ancienne Terre que j’ai eu l’occasion de voir. On a l’impression d’y etre vraiment, meme sans y avoir jamais mis les pieds.

— C’est d’une tres grande precision.

— Ou est-ce ? Quelle etoile ?

— J’ignore le numero. C’est dans l’amas d’Hercule.

Je m’efforcai de ne pas repeter ce qu’il venait de dire, mais je m’arretai net et m’assis sur une marche.

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