milieu de laquelle se dressait le tronc-mat principal, j’apercevais les larges voiles qui se gonflaient avec le vent et les traines bleues des lianes de gouvernail. La porte de sortie n’etait qu’a quinze metres de la, au pied d’un escalier, mais j’avais vu Queue de cheval courir dans la direction opposee, sur le sentier principal, vers une serie de huttes et de stands touristiques situes non loin du bord de file.

C’etait le seul endroit, a mi-chemin du parcours touristique, ou il etait permis aux marcheurs fatigues de se reposer en achetant des rafraichissements et des souvenirs au benefice de la Fraternite des Templiers. Je m’elancai vers les marches, toujours frissonnante, mes vetements pleins de neige qui fondait rapidement. Pourquoi Queue de cheval se dirigeait-il vers ces huttes ?

Des que je vis les tapis rutilants alignes pour les touristes qui desiraient les louer, je compris ce qu’il voulait faire. L’usage des hawkings etait officiellement prohibe sur la plupart des mondes du Retz, mais ils faisaient encore partie des traditions d’Alliance-Maui a cause de la legende de Siri. D’une longueur de moins de deux metres sur un de large, ces antiques jouets attendaient les touristes pour les promener au-dessus de la mer et les ramener sur l’ile mobile. Si Queue de cheval mettait la main sur un de ces tapis…

Je foncai de toute la vitesse de mes jambes meurtries, rattrapai mon homme a quelques metres des hawkings et le plaquai au-dessous des genoux. Nous roulames au milieu des etals et des quelques touristes qui s’ecartaient en poussant des cris.

Mon pere m’avait appris quelque chose qu’un enfant ne peut ignorer qu’a ses risques et perils. Un grand gaillard, quand il est fort, peut toujours battre un plus petit que lui. Dans ce cas precis, nous etions a peu pres a egalite. Queue de cheval se degagea comme une anguille et bondit sur ses pieds, adoptant instantanement la posture de combat d’un lutteur asiatique, bras ecartes, doigts tendus. Nous allions bien voir, maintenant, qui de nous deux etait le gaillard le plus fort.

Ce fut lui qui porta le premier coup au but. Il feinta de la main gauche a plat, doigts serres, et lanca a la place son pied en arc de cercle. J’esquivai, mais pas assez rapidement. L’impact fut assez fort pour me paralyser quelques secondes l’epaule gauche et le haut du bras.

Queue de cheval recula en dansant. Je suivis. Il lanca un direct du droit que je bloquai, puis une manchette de la main gauche que je parai avec mon avant-bras droit. Il recula en dansant, tourna soudain sur lui-meme et balanca un coup du pied gauche. J’esquivai. Je happai sa jambe au passage et l’envoyai rouler dans le sable.

Il se releva d’un bond. Je le cueillis d’un crochet du gauche qui le fit retomber. Il roula plusieurs fois sur lui-meme et se redressa sur les genoux. Mon pied vola et le heurta juste derriere l’oreille gauche. J’avais mesure la force du coup de maniere a le laisser conscient.

Trop conscient, constatai-je la seconde suivante lorsqu’il reussit a faire passer quatre doigts tendus sous ma garde, visant le c?ur. Mais il ne reussit qu’a endolorir quelques couches de muscles sous mon sein droit. Je le cognai de toutes mes forces en plein sur la bouche, faisant gicler le sang. Il roula jusqu’au bord de l’eau et ne bougea plus. Derriere nous, les gens se bousculaient devant la porte distrans et hurlaient pour que la police arrive.

Je soulevai par la queue celui qui etait cense vouloir assassiner Johnny, le tirai a l’ecart pres de l’eau et lui plongeai la tete dedans pour le faire revenir a lui. Puis je le fis rouler sur le dos et le soulevai par le col froisse et macule de sa chemise. Nous n’allions pas avoir plus d’une minute ou deux avant que les autorites rappliquent.

Il leva vers moi un regard vitreux. Je le secouai une bonne fois et me penchai pour dire :

— Ecoute-moi bien, mon pote. Il faut que nous ayons, toi et moi, une conversation courte mais serieuse. Pour commencer, je veux savoir qui tu es et ce que tu as contre la personne que tu suivais.

Je sentis la montee du courant avant de voir la lumiere bleue. Je lachai la chemise de l’homme en jurant. Aussitot, tout son corps fut entoure d’un nimbe electrique. Je fis un bond en arriere, mais pas avant que mes propres cheveux se dressent et que toutes les alarmes de mon persoc se mettent a bourdonner imperieusement. Queue de cheval ouvrit la bouche pour hurler, et je vis le bleu a l’interieur comme des effets speciaux holos realises avec peu de moyens. Le devant de sa chemise gresilla, noircit et prit feu. Sur son torse se formerent des pustules bleues, comme sur une ancienne pellicule de cinema perforee par le feu. Les pustules s’elargirent, se toucherent, s’elargirent encore. Je vis l’interieur de sa cavite thoracique, avec des organes entoures de flammes bleues. Il hurla de nouveau, cette fois-ci de maniere audible, et je vis ses dents et ses yeux se transformer en flammes bleues.

Je fis un nouveau pas en arriere.

Queue de cheval etait maintenant tout en flammes. Le centre bleu etait eclipse par le feu rouge orange. La chair explosait comme si les os s’embrasaient de l’interieur. En moins d’une minute, il prit l’apparence d’une momie carbonisee, recroquevillee dans la posture d’un boxeur comme toutes les victimes des flammes. Je me detournai, la main sur la bouche, devisageant les quelques temoins presents pour voir si l’un deux aurait pu etre responsable de ce qui venait de se passer. Je ne vis que des yeux elargis et des regards apeures. Plus loin, des gardes de la securite deboulaient en force de la porte distrans.

Merde.

Au-dessus de ma tete, les voiles de l’arbre etaient gonflees par le vent, et les diaphanes, magnifiques meme en plein jour, volaient au milieu d’une vegetation tropicale paree de mille couleurs. La lumiere du soleil faisait miroiter l’ocean bleu. La route de chacune des deux portes m’etait barree. Celui qui semblait etre a la tete du detachement de la securite avait degaine son arme.

J’atteignis la premiere, en trois enjambees, le tapis hawking le plus proche, essayant desesperement de me rappeler, a partir de l’unique fois ou j’etais montee sur l’un d’eux, vingt ans avant, comment on faisait fonctionner les fils de commande. En desespoir de cause, je tapai sur tous les motifs.

Le tapis se raidit et s’eleva a dix centimetres du sol. J’entendis les cris des gardes qui fendaient la foule. Une femme en costume voyant de Renaissance Minor pointa le doigt dans ma direction. Je sautai du tapis, rassemblai rapidement les sept autres hawkings et remontai sur le mien. A peine capable de retrouver les motifs de vol sous l’amoncellement des autres tapis, je cognai comme une folle sur les commandes jusqu’a ce que le hawking se decide a decoller, en me faisant presque basculer en arriere.

Cinquante metres plus loin, a une hauteur de trente metres, je balancai a la mer les autres tapis et me retournai pour voir ce qui se passait en bas. Plusieurs uniformes gris etaient penches sur les restes carbonises de Queue de cheval. Quelqu’un pointait un baton argente dans ma direction.

De folles aiguilles de douleur glacee se propagerent le long de mon bras, de mon epaule et de ma nuque. Mes paupieres devinrent lourdes comme du plomb. Je faillis glisser du tapis du cote droit. J’agrippai de la main gauche le cote oppose, me penchai en avant et martelai le motif d’ascension avec des doigts que je ne sentais plus. Des que le tapis grimpa, je tatai ma manche droite a la recherche de mon propre etourdisseur. Mais la sangle elastique etait vide.

Une minute ou deux plus tard, je pus me redresser et reprendre un peu mes esprits. Mes doigts etaient encore douloureux et j’avais une migraine de tous les diables, mais l’ile mobile etait loin derriere moi et devenait de plus en plus petite. Un siecle plus tot elle aurait ete remorquee par un attelage de dauphins amenes specialement ici a cet effet pendant l’hegire. Mais les operations de pacification menees par l’Hegemonie pendant la revolte de Siri avaient eu pour consequence l’extermination de la plus grande partie des mammiferes marins, et les iles derivaient aujourd’hui au hasard, livrees uniquement aux touristes et aux exploitants des installations de villegiature.

Je balayai l’horizon du regard a la recherche d’une autre ile ou de l’un des rares continents de cette planete. Mais je ne vis rien d’autre que le ciel bleu, l’ocean infini et les fines trainees de nuages a l’ouest. A moins que ce ne fut l’est ?

Je sortis mon persoc et entrepris de demander l’acces a l’infosphere generale. Mais j’arretai avant de valider. Si les autorites essayaient de retrouver ma trace, la premiere chose qu’elles feraient serait de me localiser et de me coller aux fesses un glisseur ou un VEM de la securite. Je n’etais pas sure qu’elles puissent le faire a partir d’un acces sur mon persoc, mais autant eviter de leur faciliter la tache. Je me contentai donc de laisser le persoc en sommeil, et scrutai de nouveau les quatre horizons.

Bravo, Brawne. Te voila en train de foncer a deux cents metres d’altitude sur un tapis volant age d’au moins trois siecles, sans meme savoir combien d’heures – ou de minutes – d’energie il reste dans les fils de commande, a mille kilometres ou plus de toute terre, et completement perdue, pour tout dire. Encore bravo !

Je croisai les bras et m’efforcai de reflechir.

— H. Lamia ?

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