Les glisseurs decrivirent des cercles en rugissant, mais eviterent les marches du Temple. Des fusillades retentissaient partout dans l’avenue. J’entendis le bruit des brodequins de metal qui se rapprochait rapidement derriere moi. Je reussis a grimper trois marches de plus. Vingt marches plus haut, a une distance qui paraissait impossible, l’eveque se tenait parmi une centaine de pretres du Temple. J’escaladai une nouvelle marche. Je regardai Johnny. L’un de ses yeux etait encore ouvert, leve vers moi. L’autre etait gonfle de sang et de tissus tumefies.

— Ca ira, chuchotai-je, prenant pour la premiere fois conscience d’avoir perdu mon propre casque. Tiens bon. Nous y sommes presque.

Je gravis une autre marche.

Les deux hommes en armure de combat noire et brillante me barraient le chemin. Tous deux avaient leve les visieres rainurees de leurs casques, et ils me regardaient d’un air terrible.

— Lache-le, salope, et tu auras peut-etre une chance de vivre.

Je hochai lentement la tete d’un air las, trop epuisee pour faire un pas de plus ou meme deposer sur les marches blanches mon fardeau qui perdait tout son sang.

— Depose cet enfoire, je te dis, ou bien…

Je les tuai net tous les deux. Le premier d’un projectile dans l’?il gauche, le second dans l’?il droit, sans meme avancer l’automatique de papa que je dissimulais sous le corps de Johnny.

Ils tomberent sans un cri. Je reussis a gravir une nouvelle marche, puis une autre encore. Je me reposai quelques secondes avant de soulever ma jambe gauche pour continuer.

En haut de l’escalier, le groupe de pretres en robe rouge et noir s’ecarta pour me laisser passer. Le portail etait tres haut et tres sombre. Je ne me retournai pas, mais je savais, d’apres le bruit qui montait jusqu’a nous de l’avenue, que la foule etait devenue enorme. L’eveque franchit le seuil a mes cotes, et nous nous retrouvames dans la penombre.

Je deposai Johnny sur les dalles de pierre froide. Il y eut des froissements de robes autour de nous.

J’otai mon armure la ou la chose etait encore possible. Puis je tirai sur celle de Johnny. Elle etait soudee a la chair en plusieurs endroits. De ma main valide, j’effleurai sa joue brulee.

— Je suis vraiment…

Sa tete remua legerement, et son ?il s’entrouvrit. Il souleva sa main gauche nue pour me toucher la joue, les cheveux, la nuque.

— Fanny…

C’est a ce moment-la que je le sentis mourir. Je percus egalement le choc de la decharge neurale au moment ou ses doigts trouvaient l’orifice de derivation. La chaleur blanche de la connexion avec la boucle de Schron, representant tout ce que Johnny Keats avait jamais ete ou serait jamais, explosa en moi presque – je dis presque – comme son orgasme de l’avant-veille, avec ensuite le meme silence et la meme sensation de communion et de plenitude.

Je posai doucement sa tete par terre et laissai les acolytes l’emporter pour le montrer a la foule, aux autorites et a ceux qui attendaient de savoir.

Puis je les laissai m’emporter.

Je passai quinze jours dans une creche de convalescence du Temple gritchteque. Mes brulures se cicatriserent, mes cicatrices furent rabotees, le metal fut extrait, la peau greffee, la chair remodelee, les nerfs recables. Mais je souffre toujours.

Tout le monde, a l’exception des pretres gritchteques, m’oublia.

Le TechnoCentre s’assura que Johnny etait bien mort, que son passage dans l’infoplan n’avait laisse aucune trace et que son cybride etait detruit.

Les autorites prirent note de ma deposition, me retirerent ma licence et etoufferent l’affaire comme elles le purent. La presse du Retz raconta qu’un reglement de comptes entre gangs du Rucher de la Poisse avait mis le quartier marchand a feu et a sang. De nombreux membres des gangs avaient ete tues ainsi que des passants innocents. La police avait maitrise tout le monde.

Une semaine avant l’annonce que l’Hegemonie autoriserait l’Yggdrasill a emporter des pelerins dans la zone de guerre aux alentours d’Hyperion, j’utilisai l’une des portes distrans du Temple pour me rendre sur le Vecteur Renaissance, ou je passai une heure toute seule dans la section des archives.

Les parchemins etaient dans une presse sous vide, et je ne pouvais pas les toucher, mais c’etait bien l’ecriture de Johnny, celle que je connaissais. Le papier etait racorni et jauni par le temps. Il y avait deux fragments. Le premier disait :

Ce jour a disparu, et avec lui toutes ses delices ! Delices de la voix, delices des levres, douce main Et gorge plus douce encore, Souffle tiede, murmure d’extase, doux chuchotements, Eclat des yeux, forme parfaite et taille langoureuse ! Fanees, la fleur et les promesses de ses charmants boutons, Fanee, la belle image echappee a mes yeux, Fanee, la forme belle echappee a mes bras, Fanes, la voix, la chaleur, la blancheur et le paradis ! Tout s’est evanoui trop tot a la nuit close, Au crepuscule, quand le jour, ou plutot la nuit de fete Commence, de l’amour aux courtines embaumees, a tisser La trame d’ombre ou cacher les plaisirs. Mais, comme j’ai lu d’un bout a l’autre aujourd’hui Le missel de l’amour, Il me laissera du moins dormir en me voyant Qui jeune et prie.

Le second fragment etait d’une ecriture plus large, sur du papier plus grossier, comme si les mots avaient ete jetes a la hate sur une feuille de calepin.

Ma main que voici vivante, chaude, et capable D’etreindre passionnement, viendrait, si elle etait raidie Et emprisonnee au silence glacial du tombeau, A ce point hanter tes jours et transir les reves de tes nuits, Que tu voudrais pouvoir exprimer de ton propre c?ur Jusqu’a la derniere goutte de sang, Pour que dans mes veines le flot rouge De nouveau fasse couler la vie Et que ta conscience s’apaise. Regarde, la voici, je la tends vers toi.

Je suis enceinte. Je crois que Johnny le savait, mais je n’en suis pas certaine. Et je suis doublement enceinte. Du bebe de Johnny, mais aussi de son souvenir tel qu’il demeure grave dans la boucle de Schron. J’ignore si les deux etaient predestines a aller ensemble. L’enfant ne naitra que dans plusieurs mois, mais je pense affronter le gritche dans quelques jours seulement.

Je me souviens tres bien des minutes qui ont suivi les instants ou le corps meurtri de Johnny a ete exhibe devant la foule et ou les pretres m’ont emmenee pour me soigner. Ils etaient tous la dans la penombre, des centaines de pretres, d’acolytes, d’assesseurs, d’exorcistes et de fideles. Et dans cette obscurite teintee de rouge,

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