— He ! s’ecria Martin Silenus. Ne me dites pas que nous avons le cul pose sur un putain d’objectif militaire ?
— Qu’est-ce que vous croyez ? lui dit le consul. Si les Extros lancent une attaque sur Hyperion pour empecher l’ouverture des Tombeaux, comme le laisse prevoir le recit de H. Lamia, toute cette zone constituera un objectif primaire.
— Pour des armes nucleaires ? demanda Silenus d’une voix tendue.
— Il y a toutes les chances, oui, lui repondit Kassad.
— Mais je croyais qu’il y avait quelque chose, dans les champs anentropiques, qui empechait les vaisseaux de s’approcher de ce secteur, murmura le pere Hoyt.
— Les vaisseaux
— Mais ce n’est pas ce qu’ils veulent, objecta Brawne Lamia. Ils cherchent a s’emparer d’Hyperion, et non pas a detruire cette planete !
— Je ne jouerais pas ma vie la-dessus, lui dit Kassad.
Elle sourit.
— C’est pourtant bien ce que nous sommes en train de faire, n’est-ce pas, colonel ?
Au-dessus d’eux, une etincelle se separa du bouquet continu d’explosions, grossit jusqu’a la taille d’un brandon orange et poursuivit sa trajectoire comme une comete a travers le ciel. Du balcon, le groupe apercut distinctement les flammes et entendit la plainte de l’atmosphere dechiree. Puis la boule de feu disparut derriere les montagnes.
Un peu moins d’une minute plus tard, le consul s’apercut qu’il etait en train de retenir sa respiration, les mains crispees sur la balustrade. Il laissa sortir bruyamment l’air de ses poumons. Les autres aussi semblaient avoir retenu leur souffle. Il n’y avait pas eu d’explosion ni d’onde de choc se propageant a travers la roche.
— Un tir manque ? demanda Hoyt.
— Plutot un appareil endommage de la Force qui essayait d’atteindre le perimetre orbital ou de se poser sur le port spatial de Keats, fit le colonel Kassad.
— Il n’y a pas reussi, n’est-ce pas ? demanda Lamia.
Kassad ne repondit pas. Martin Silenus reprit les jumelles et fouilla la plaine de plus en plus obscure a la recherche du Templier.
— Je ne le vois plus, dit-il. Ce brave commandant est maintenant de l’autre cote de la colline que voila, a moins qu’il n’ait encore utilise ses talents de magicien pour disparaitre comme la derniere fois.
— Dommage que nous ne puissions entendre son recit, dit le pere Hoyt avant de se tourner vers le consul. Mais nous aurons le votre, n’est-ce pas ?
Le consul essuya ses mains moites sur les jambes de son pantalon. Son c?ur battait a une vitesse acceleree.
— Oui, dit-il. Je vous raconterai mon histoire.
Il avait parle avant meme de savoir consciemment qu’il avait pris sa decision.
Le vent rugissait sur les pentes des montagnes exposees a l’est et sifflait le long des escarpements de la forteresse de Chronos. Les explosions dans le ciel semblaient avoir diminue legerement en nombre, mais l’obscurite tombante rendait les eclairs de plus en plus intenses.
— Rentrons, proposa Lamia d’une voix que le vent couvrait presque. Il commence a faire froid.
Ils avaient eteint l’unique lampe, et l’interieur de la piece n’etait plus eclaire que par les pulsations multicolores qui descendaient du ciel. Les ombres surgissaient, se defaisaient et se refaisaient au gre des tirs de barrage. Quelquefois, l’obscurite durait plusieurs secondes.
Le consul se pencha sur son sac de voyage et en sortit un etrange objet, qui ressemblait a un persoc, mais en plus volumineux, avec des enjolivures bizarres. Il deploya une sorte de disque a cristaux liquides qui faisait penser a certains holofilms d’epoque.
— Un megatrans ultrasecret ? demanda sarcastiquement Lamia.
Le sourire du consul etait totalement depourvu d’humour.
— C’est un persoc antique, dit-il. Il remonte a l’hegire.
Il sortit une microdisquette standard d’une pochette passee a sa ceinture et l’insera dans la fente du persoc.
— Tout comme le pere Hoyt, annonca-t-il, il est indispensable que je vous fasse entendre le temoignage de quelqu’un d’autre avant de vous faire part du mien.
— Jesus a bequilles ! s’exclama Martin Silenus. Il n’y a que moi dans cette putain de bande qui suis capable de raconter ma propre histoire ? Combien de temps faut-il que nous supportions…
Le consul lui-meme fut surpris de sa reaction. Il se leva, saisit le petit homme par sa cape et par le col de sa chemise, le projeta contre le mur, le renversa sur une caisse avec un genou au milieu du bas-ventre et l’avant-bras en travers de la gorge.
— Encore un mot, poete, souffla-t-il, et c’est moi qui vous tue !
Silenus chercha a se debattre, mais la pression sur sa gorge ainsi que le regard du consul le firent renoncer. Il devint bleme.
Le colonel Kassad, sans se presser et sans faire de bruit, les separa.
— Il n’y aura plus d’interruption, promit-il en touchant le baton de la mort passe a sa ceinture.
Martin Silenus recula jusqu’au dernier rang du groupe, en se massant la gorge, et se laissa tomber sans un mot sur une malle. Le consul marcha jusqu’a la porte-fenetre, respira a fond a plusieurs reprises, puis revint vers le groupe.
— Excusez-moi, dit-il en s’adressant a tout le monde a l’exception du poete. Je… Je ne m’attendais pas a partager un jour cette experience avec d’autres.
La lumiere de l’exterieur vira au rouge, puis au blanc. Un eclat bleu suivit, qui fit progressivement place a une obscurite presque totale.
— Nous comprenons ce que vous ressentez, lui dit Lamia. Nous avons presque tous ete dans le meme cas.
Le consul se toucha la levre inferieure, hocha la tete, s’eclaircit rapidement la voix et s’assit pres de son persoc.
— L’enregistrement n’est pas aussi ancien que l’instrument, murmura-t-il. Il date d’une cinquantaine d’annees standard. J’aurai autre chose a dire quand vous l’aurez entendu.
Il marqua un temps d’arret, comme s’il voulait ajouter quelque chose, mais secoua la tete et appuya sur une touche de l’antique appareil.
Il n’y avait pas d’image. La voix etait celle d’un jeune homme. A l’arriere-plan, on entendait le vent qui soufflait a travers des branches ou des hautes herbes. Plus distant encore, le bruit regulier du ressac ponctuait le recit tandis qu’au-dehors, les eclairs fantasmagoriques suivaient le rythme insense d’une lointaine bataille spatiale. A un moment, le consul se raidit, sur que l’impact allait etre tout proche. Mais rien ne se passa, et il continua d’ecouter avec les autres.
Le recit du consul :
« Je me souviens de Siri ».
Je gravis la colline escarpee jusqu’a la tombe de Siri le jour meme ou les iles commencent a retourner vers les mers peu profondes de l’archipel Equatorial. Il fait une journee parfaite, que je deteste pour cette raison meme. Le ciel est aussi serein que dans les recits qui se deroulent sur les oceans de l’Ancienne Terre. Les hauts- fonds sont moires de teintes outremer, et une brise tiede venue de l’ocean fait ondoyer les capillaires sur le versant ou je marche.