du genie affectee a la construction de la porte distrans. Expedier les techniciens au point de singularite ou ils etaient affectes, a quelque cent soixante-trois mille kilometres d’Alliance-Maui, etait pour nous quelque chose de bien moins glorieux que le decalage de quatre mois par rapport a l’espace hegemonien. Pendant la section C+ du voyage, nous etions des maitres specialistes. Quarante-neuf experts stellaires aiguillant deux cents passagers guere rassures. Mais maintenant, les passagers avaient leur combinaison autonome, et nous, les Navigants, nous en etions reduits au role de glorieux camionneur tandis que les equipes du genie mettaient en place la lourde sphere de confinement de la singularite.

— Probabilite zero, repetai-je. A moins que les rampants n’aient ajoute un bordel a cette ile de quarantaine qu’ils nous ont louee.

— Ils n’ont rien fait du tout, grogna Mike.

Nous avions bientot droit, lui et moi, a nos trois jours de repos et de recuperation au sol, mais nous savions, d’apres ce que nous avait dit le Maitre-Navigant Singh et d’apres les protestations des autres Navigants, que cette permission a terre se passerait en fait sur une ile de quatre kilometres sur sept administree par l’Hegemonie. Et ce n’etait meme pas l’une des iles mobiles dont nous avions entendu parler. C’etait un simple piton volcanique pres de l’equateur. Une fois la, nous aurions sous nos pieds une vraie gravite, nous respirerions de l’air non filtre et nous pourrions probablement nous procurer une nourriture non synthetique, mais les seuls rapports que nous aurions avec les habitants d’Alliance-Maui se limiteraient a l’achat de quelques produits d’artisanat local a la boutique hors taxes. Et encore, ils nous seraient vendus par des commercants de l’Hegemonie. C’etait pour cela que beaucoup de Navigants preferaient passer leurs permissions a bord du Los Angeles.

— Ou est-ce que tu voudrais tirer un petit coup, Mike ? Les mondes coloniaux sont inaccessibles jusqu’a ce que la porte distrans commence a fonctionner. Dans soixante ans a peu pres, en temps local. A moins que tu ne veuilles parler de la vieille Meg, dans le systeme de bord ?

— Fais-moi confiance, gamin. Il suffit de vouloir, et on trouve toujours un moyen.

Je lui ai fait confiance. Nous n’etions que cinq dans le vaisseau de descente. C’etait toujours pour moi une aventure que de descendre d’une orbite haute dans l’atmosphere d’un vrai monde. Particulierement d’un monde qui ressemblait autant qu’Alliance-Maui a la Terre. Je contemplai le limbe bleu et blanc de la planete jusqu’a ce que les oceans fussent en bas et que l’atmosphere nous porte. Nous approchames du terminateur dans un long glissement d’ailes, a la vitesse de trois fois notre propre son.

Nous etions des dieux. Mais meme les dieux, a l’occasion, sont parfois obliges de descendre de leur piedestal.

Le corps de Siri ne cessait jamais de m’etonner. Par exemple pendant notre sejour sur l’archipel. Trois semaines dans cette enorme maison-arbre qui oscillait sous les voiles gonflees, avec les dauphins qui nous escortaient comme des eclaireurs, les couchers de soleil tropicaux qui baignaient la soiree de leur merveilleuse lumiere, la voute des etoiles la nuit, et notre propre sillage, marque par mille petits tourbillons phosphorescents qui refletaient les constellations au-dessus de nous. Mais c’est surtout le corps de Siri que je me rappelle. Pour une raison ou pour une autre – peut-etre par timidite, ou encore a cause des annees qui nous avaient separes – elle portait, les premiers jours, un leger maillot deux-pieces qui empechait ses seins blancs et le bas de son ventre de brunir en meme temps que le reste.

La premiere fois, le clair de lune illuminait des triangles de peau tandis que nous etions etendus dans l’herbe au-dessus du port du Site n°1. Sa petite culotte de soie s’etait accrochee a un capillaire. Il y avait alors en elle une sorte de retenue enfantine. Comme une legere hesitation devant quelque chose qu’elle donnait prematurement. Mais il y avait aussi de la fierte. Cette meme fierte qui, plus tard, lui avait permis de faire face a la foule furieuse des separatistes, sur les marches du consulat de l’Hegemonie, dans les quartiers sud de Sterne, et de les renvoyer, honteux, chez eux.

Je me souviens aussi de ma cinquieme descente planetaire, notre quatrieme reunion. C’est l’une des rares fois ou je l’ai vue pleurer. Elle etait alors quasi royale dans sa sagesse et sa renommee. Elle avait ete elue quatre fois a l’Assemblee de la Pangermie, et le Conseil de l’Hegemonie la consultait souvent pour lui demander son avis sur des questions delicates. Elle portait son independance sur les epaules comme un manteau royal, et jamais son orgueil n’avait brille d’un feu si ardent. Mais lorsque nous etions seuls dans la villa de pierre au sud de Fevarone, c’etait elle qui baissait les yeux. J’etais nerveux, intimide par cette puissante femme qui m’etait devenue etrangere, mais c’etait Siri, Siri a la demarche droite et au regard d’acier, qui detournait la tete et murmurait a travers ses larmes :

— Va-t’en… Laisse-moi, Merin. Je ne veux pas que tu me voies ainsi. Je suis une vieille femme hideuse et toute flasque. Va-t’en !

J’avoue que j’ai ete un peu brutal, alors, avec elle. J’ai saisi ses poignets dans ma main gauche, avec une force qui m’a surpris moi-meme, et j’ai dechire de l’autre main le devant de sa robe de soie, d’un seul mouvement. J’ai embrasse ses epaules, son cou, les traces de vergetures sur son ventre tendu, la cicatrice sur sa cuisse gauche, remontant a un accident de glisseur survenu quarante de ses annees plus tot. J’ai embrasse ses cheveux gris et les rides gravees dans ses joues autrefois si lisses. J’ai embrasse ses larmes.

— Bon Dieu, Mike, tu ne vas pas me dire qu’on a le droit de faire ca ! m’ecriai-je tandis que mon copain deroulait le tapis hawking qu’il venait de sortir de son paquetage.

Nous etions sur l’ile n°241, comme les commercants de l’Hegemonie avaient romantiquement baptise le rocher volcanique et desert sur lequel on avait choisi de nous envoyer passer nos permissions. L’ile n°241 se trouvait a moins de cinquante kilometres des colonies anciennes les plus proches, mais cela n’aurait fait aucune difference pour nous si elle avait ete a cinquante annees-lumiere de la. Aucun bateau autochtone ne devait s’approcher de cette ile tant que les hommes d’equipage et les poseurs distrans du Los Angeles etaient presents. Les colons possedaient un certain nombre de vieux glisseurs en etat de marche, mais ils s’abstenaient, d’un commun accord, de survoler l’ile. Exception faite des baraquements, de la plage et de la boutique hors taxes, il n’y avait rien sur ce rocher qui put nous interesser, nous autres les Navigants. Plus tard, peut-etre, lorsque les derniers composants auraient ete incorpores par le Los Angeles au systeme et que la porte distrans serait achevee, les autorites de l’Hegemonie feraient de l’ile n°241 un centre de commerce et de tourisme. En attendant, c’etait un endroit primitif, avec sa grille pour les vaisseaux de descente, ses batiments blancs a peine finis en pierre locale et quelques agents de maintenance a l’air blase.

Mike avait demande l’autorisation d’aller marcher sac au dos pendant trois jours a l’extremite la plus escarpee et la plus inaccessible de la petite ile.

— J’ai pas envie d’aller crapahuter comme un con ! avais-je proteste. Je prefere rester a bord et me brancher sur une simstim.

— Ferme-la et viens avec moi !

Tel un membre mineur du pantheon suivant une divinite plus sage et plus ancienne, je l’avais suivi en la bouclant. Deux heures de marche ardue sur les pentes volcaniques, a travers des epineux qui s’accrochaient aux jambes, nous menerent, comme une coulee de lave sur la rocaille, a plusieurs centaines de metres d’altitude au- dessus des vagues bouillonnantes qui s’ecrasaient sur les brisants de la cote. Nous n’etions pas loin de l’equateur, sur une planete au climat essentiellement tropical ; mais sur cette falaise exposee, le vent mugissait comme pas possible et mes dents claquaient litteralement de froid. Le soleil couchant, a l’ouest, etait une trainee rouge sale entre des cumulus d’un noir menacant, et j’avais peur de me retrouver en plein air lorsque la nuit descendrait pour de bon sur nous.

— Ne restons pas la, dis-je a Mike. Il y a trop de vent. Allons faire un bon feu. Je ne sais pas comment nous allons faire pour planter la tente sur cette rocaille.

Mike s’assit et alluma tranquillement un joint de cannabis.

— Regarde un peu ce qu’il y a dans ton paquetage, fiston.

J’eus un instant d’hesitation. Il avait dit cela d’une voix neutre, mais c’etait le ton de quelqu’un qui vous a prepare un seau d’eau au-dessus de la porte. Je m’accroupis pour sortir les affaires du sac en nylon. Il n’etait bourre de rien d’autre que de cubes d’emballage en mousse lovee. Il y avait aussi une sorte de costume d’Arlequin au complet, avec masque et grelots au bout des orteils.

— Tu n’es pas… Qu’est-ce que ca… Tu es completement dingue ou quoi ?

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