permasoudes a un squelette en fibres composites armees, de la gravure d’Escher, avec ses perspectives truquees et ses angles impossibles, et du cauchemar a la Jerome Bosch, avec ses entrees de tunnel, ses chambres secretes, ses jardins sombres et ses secteurs interdits. Mais, par-dessous tout, cet edifice appartenait au passe mysterieux d’Hyperion.

Il ne restait plus rien de tout cela a present. Seuls des tas de pierres noircies rappelaient la splendeur passee du lieu. Des poutrelles de metal a moitie fondu sortaient des ruines comme les cotes de quelque gigantesque carcasse. La grande masse des decombres avait ete engloutie par les souterrains, catacombes et galeries qui se trouvaient au-dessous de l’edifice age de trois cents ans. Le consul s’avanca au bord d’une fosse et se demanda si, comme le disait la legende, les sous-sols etaient veritablement relies a l’un des labyrinthes de la planete.

— On dirait qu’ils ont utilise des claps pour raser cet endroit, fit Martin Silenus en se servant d’un terme archaique designant tout type de canon laser a amplification de puissance.

Le poete, qui semblait subitement degrise, rejoignit le consul devant la fosse.

— Je me souviens d’une epoque ou il n’y avait rien d’autre ici que le Temple et une petite partie de la Vieille ville, dit-il. Apres la catastrophe au voisinage des Tombeaux, Billy a decide de reconstruire Jacktown ici, a cause du Temple. Et maintenant, il ne reste plus rien. Bon Dieu !

— Non, declara Kassad.

Les autres se tournerent vers lui.

Le colonel se redressa a l’endroit ou il s’etait accroupi pour examiner les decombres.

— Pas des claps, dit-il, mais des charges creuses au plasma. Il y en a eu plusieurs.

— Et maintenant, tu veux toujours rester ici pour entreprendre cet inutile pelerinage ? demanda Theo. Pourquoi ne pas venir plutot avec moi au consulat ?

Il s’adressait au consul, mais avait etendu l’invitation a tout le monde.

Le consul se tourna vers lui. Pour la premiere fois, il voyait sous les traits de son ex-adjoint le gouverneur general d’une planete assiegee de l’Hegemonie.

— C’est impossible, Votre Excellence, dit-il. Pour moi, tout au moins. Je ne sais pas ce que decideront les autres.

Les quatre hommes et la femme secouerent negativement la tete. Silenus et Kassad commencerent a decharger les bagages. La pluie recommencait a tomber, sous la forme d’une legere bruine issue de nulle part. En cet instant, le consul remarqua la presence de deux glisseurs de combat de la Force qui tournaient au-dessus des toitures avoisinantes. L’obscurite grandissante et leur coque revetue d’un polymere-cameleon les avaient tres bien caches jusqu’ici, mais la pluie revelait leurs contours.

Naturellement, songea le consul. Le gouverneur general ne se deplace pas sans escorte.

— Est-ce que les pretres ont pu se mettre a l’abri ? demanda Brawne Lamia. Y a-t-il eu des survivants quand le Temple a ete detruit ?

— Oui, repondit Theo.

Le dictateur de facto de cinq millions d’ames condamnees ota ses verres pour les essuyer sur un pan de sa chemise.

— Tous les pretres du culte gritchteque, avec leurs acolytes, ont pu s’echapper par les galeries. La foule assiegeait cet endroit depuis des mois. Son chef, une femme nommee Cammon, qui vient de quelque part a l’est de la mer des Hautes Herbes, a donne tout ce qu’il fallait comme avertissements a ceux du Temple avant de lancer ses DL-20.

— Que faisait la police ? demanda le consul. Et les FT ? La Force ?

Theo Lane sourit. En cet instant, il semblait avoir des dizaines d’annees de plus que le jeune homme qu’avait connu le consul.

— Vous etes tous restes en transit pendant trois ans, dit-il. L’univers a change depuis. Les fideles du gritche se font tabasser et immoler par le feu dans le Retz tout entier. Imaginez ce que cela peut donner ici. La police de Keats s’occupe uniquement de faire respecter la loi martiale que j’ai decretee depuis quatorze mois. Les FT et elle ont assiste sans intervenir a la destruction du Temple. J’y etais moi aussi. Il y avait cinq cent mille personnes ici ce soir-la.

Sol Weintraub fit un pas en avant.

— Est-ce qu’ils sont au courant, pour nous ? demanda-t-il. Le pelerinage…

— S’ils l’etaient, vous seriez deja tous morts. On pourrait croire qu’ils accueilleraient favorablement tout ce qui serait de nature a apaiser le gritche, mais la seule chose qu’une foule dechainee se dirait, c’est que vous avez ete designes par l’Eglise gritchteque. Pour tout vous dire, il a fallu que j’use de mon droit de veto contre mon propre Conseil. Il s’etait prononce en faveur de la destruction de votre vaisseau avant meme son entree dans notre atmosphere.

— Pourquoi as-tu fait ca ? demanda le consul. Je veux dire, pourquoi as-tu mis ton veto ?

En soupirant, Theo rajusta ses lunettes.

— Hyperion a encore besoin de l’Hegemonie, et Gladstone beneficie toujours du vote de confiance de la Pangermie, sinon de celui du Senat. Sans compter que j’ai besoin de toi.

Le consul contempla sans rien dire les ruines du Temple gritchteque.

— Ce pelerinage etait deja termine avant que vous ne soyez annonces, reprit le gouverneur general Theo Lane. Veux-tu revenir au consulat avec moi, au moins en qualite de conseiller special ?

— Desole, declara le consul. C’est impossible.

Theo tourna abruptement les talons et, sans un mot de plus, grimpa dans son glisseur et decolla, suivi de son escorte a peine visible dans la bruine.

La pluie se mit a tomber plus fort tandis que le groupe se resserrait dans l’obscurite. Weintraub avait improvise une capuche pour abriter Rachel, et le crepitement des gouttes d’eau sur le plastique faisait de nouveau pleurer le bebe.

— Que faisons-nous ? demanda le consul en regardant autour de lui dans la nuit a peine eclairee par les lumieres des ruelles avoisinantes.

Leurs bagages etaient entasses en une montagne ruisselante. Il emanait du monde une odeur de cendre. Martin Silenus repondit, decouvrant ses dents dans un large sourire :

— Je connais un bistrot…

Il se trouva que le consul connaissait aussi ce bistrot, Chez Ciceron. Il avait meme vecu la pendant la plus grande partie de son sejour de onze ans sur Hyperion.

Contrairement a la plupart des appellations en vigueur sur cette planete, Ciceron n’etait pas une allusion a un quelconque produit litteraire de l’epoque prehegirienne. On disait que l’etablissement portait le nom d’un quartier d’une ancienne ville de la Terre – certains parlaient de Chicago, USA, d’autres de Calcutta, AIS – mais Stan Leweski, le proprietaire, arriere-petit-fils du fondateur, pretendait etre le seul a en connaitre la veritable origine, et il n’avait jamais voulu reveler son secret a personne. Le local proprement dit, au cours de ses cent cinquante ans d’existence, avait eclate, passant d’une simple salle au dernier etage sans ascenseur de l’un des immeubles les plus vieux et les plus croulants de Jacktown, en bordure du fleuve Hoolie, a quatre vieux immeubles de huit etages sur la berge du meme fleuve. Les seuls elements de Chez Ciceron qui n’avaient pas change au fil des decennies etaient les plafonds bas, l’atmosphere enfumee et le brouhaha constant des conversations, qui donnaient une impression d’intimite au milieu d’un tourbillon de bruit et d’agitation.

Ce soir-la, pourtant, tout sentiment d’intimite etait absent. Le consul et son groupe s’arreterent avec leurs bagages a l’entree qui donnait sur le chemin de Marsh.

— Par les larmes de Jesus ! s’ecria Martin Silenus.

Chez Ciceron presentait l’aspect d’un champ de bataille occupe par des hordes barbares. Il n’y avait pas une seule table de libre, pas le moindre siege. C’etaient surtout des hommes qui etaient presents, et le sol etait jonche de paquetages, d’armes, de rouleaux de couchage, de materiel de communication suranne, de rations et de toutes sortes d’objets heteroclites accompagnant une armee de refugies… Une armee en deroute, peut-etre. L’atmosphere de Chez Ciceron, riche, autrefois, des parfums meles des grillades, du vin, de la biere, des stims et du tabac detaxe, etait a present lourdement saturee d’un melange d’odeurs corporelles, d’urine acre et de desespoir.

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