temple auquel le ciel sert de toit. Saules, alignes le long de canaux soigneusement quadrilles ou de cours d’eau capricieux, dont les longues branches semblent lancer au vent d’antiques chants funebres.
La maison se dresse au sommet d’une basse colline ou, l’hiver, les courbes brunes du sol ressemblent aux flancs lisses de quelque animal femelle aux muscles puissants faits pour la course. La construction accuse le poids des siecles accumules. Une tour de jade, sur la cour de l’est, capte le premier rayon de l’aube. Une serie de pignons, au sommet de l’aile sud, projette des triangles d’ombre sur la serre de cristal, a l’heure du the, tandis que les terrasses et le dedale des escaliers exterieurs, le long des galeries a colonnades de la facade a l’est, jouent leurs jeux d’Escher avec les ombres de l’apres-midi.
C’etait apres la Grande Erreur, mais avant que tout ne devienne inhabitable. Nous occupions principalement le domaine durant ce que nous appelions, assez curieusement, les « periodes de remission », qui etaient des oasis de dix a dix-huit mois de tranquillite relative entre deux spasmes planetaires tandis que ce putain de mini-trou noir du Groupe de Kiev digerait des morceaux de choix du c?ur de la Terre en attendant le prochain festin. Pendant les periodes « chaudes », nous allions en villegiature chez l’oncle Kowa, dans la banlieue de la Lune, sur un asteroide terraforme amene la avant la migration extro.
Vous etes peut-etre en train de vous dire que je suis ne avec une putain de petite cuiller d’argent entre les miches. Je ne chercherai pas a me disculper. Apres trois mille ans de bricolage rate autour de la notion de democratie, les familles survivantes de l’Ancienne Terre en etaient arrivees a la conclusion que la seule maniere de mettre un terme a la proliferation de toute cette racaille, c’etait de l’empecher de se reproduire ou, plutot, de financer la creation de flottes d’ensemencement ou d’exploration par vaisseaux a effet de spin, d’encourager l’emigration distrans – tous les themes hegiriens apportes par le vent de panique qui soufflait sur la planete. Qu’ils se reproduisent tant qu’ils veulent, pourvu qu’ils laissent la Terre tranquille. Et le fait que la planete mere etait une vieille pute malade qui puait de la bouche n’etait pas de nature a arreter ladite racaille dans son elan. Elle n’etait pas si bete.
Comme Bouddha, j’avais presque atteint l’age adulte lorsque je connus les premieres atteintes de la pauvrete. J’etais age de seize annees standard, en pleine
Mon enfance fut privilegiee, mais pas outrancierement. Je conserve un plaisant souvenir de la « grande dame » Sybil (c’etait ma grand-tante du cote de ma mere) et de ses fastueuses receptions. Je me rappelle une certaine viree de trois jours dans l’archipel de Manhattan, ou les invites furent amenes d’Orbit City et des arcologies europeennes par vaisseau de descente. Je me rappelle l’Empire State Building se dressant sur l’eau avec ses innombrables lumieres refletees dans les lagunes et les canaux bordes de fougeres tandis que les VEM deversaient leurs passagers sur la plate-forme panoramique d’ou l’on apercevait les foyers allumes, tout en bas, sur les iles surpeuplees des gratte-ciel environnants.
La Grande Reserve d’Amerique du Nord etait pour nous, en ce temps-la, un vaste terrain de jeux. On dit qu’il restait encore huit mille habitants sur ce mysterieux continent, mais une moitie etait composee de vagabonds tandis que l’autre comprenait des ARNistes renegats qui exercaient leur art en ressuscitant des especes vegetales et animales depuis longtemps disparues de leur habitat nord-americain antediluvien, des ingenieurs ecologistes, des primitifs patentes tels les Sioux Ogalalla ou la confrerie des Hell’s Angels, sans compter, bien sur, les touristes occasionnels. J’avais un cousin qui pretendait parcourir la reserve sac au dos, d’une zone panoramique a l’autre, mais ses deplacements se limitaient en realite au Middle West, ou ces zones etaient relativement plus proches les unes des autres et ou les hordes de dinosaures etaient beaucoup moins nombreuses.
Durant le premier siecle qui suivit la Grande Erreur, Gaia, grievement blessee, fut neanmoins lente a mourir. L’effet de devastation etait plus prononce durant les periodes chaudes, qui revenaient regulierement en spasmes precisement programmes, suivis de remissions de plus en plus courtes et de consequences de plus en plus terribles. Cependant, chaque fois, la planete tenait bon et se reparait du mieux qu’elle pouvait.
Comme je l’ai dit, la Grande Reserve etait notre terrain de jeux, mais la Terre agonisante l’etait aussi, au sens propre. Ma mere m’avait offert mon premier VEM lorsque j’avais sept ans, et aucun endroit du globe ne se trouvait a plus d’une heure de vol de chez nous. Mon meilleur copain, Amalfi Schwartz, habitait dans le Grand Ensemble du Mont Erebus, sur le territoire de l’ancienne Republique de l’Antarctique. Nous nous retrouvions tous les jours. Le fait que les transports distrans fussent prohibes par les lois de l’Ancienne Terre ne nous genait pas le moins du monde. Etendus cote a cote, la nuit, sur le versant de quelque colline, contemplant dans le ciel les dix mille Lumieres en Orbite, les vingt mille feux de la Ceinture et les deux ou trois mille etoiles visibles, nous ne ressentions aucune jalousie, aucun desir de rejoindre l’hegire qui, en ce moment meme, tissait la toile distrans du Retz. Nous etions tout simplement heureux.
Les souvenirs que je conserve de ma mere sont etrangement stylises, comme si elle n’etait qu’un personnage issu de mon cycle de romans de
Des que j’ai ete en age de penser par moi-meme, j’ai su que je serais – qu’il fallait que je sois – poete. Ce n’etait pas comme si j’avais eu vraiment le choix. C’etait plutot comme si toute cette beaute agonisante qui m’entourait rendait en moi son dernier soupir et m’ordonnait, me condamnait a passer le restant de mes jours a jouer avec les mots, en expiation, peut-etre, du massacre irreflechi de son propre monde-berceau par notre race. Poete je devins donc, pour le meilleur et pour le pire.
J’avais un precepteur du nom de Balthazar, humain mais decrepit, rescape des antiques ruelles odoriferantes d’Alexandrie, d’une paleur presque bleue a force d’avoir subi tous ces traitements Poulsen. On aurait dit une momie irradiee incluse dans du plastique liquide. Et avec ca, aussi lubrique que le bouc proverbial. Des siecles plus tard, dans ma periode de satyre, je pense que j’ai fini par comprendre les pulsions priapiques de ce pauvre don Balthazar. Mais, a cette epoque, c’etait plutot embarrassant pour les petites filles qui faisaient partie du personnel du domaine. Humaines ou androides, Balthazar ne faisait pas le detail, elles y passaient toutes.
Heureusement pour moi et pour mon education, le gout prononce de don Balthazar pour les tendrons n’avait aucune composante homosexuelle. Ses frasques ne se traduisaient pour moi que par des absences a nos seances de repetition ou par une propension excessive a me faire apprendre par c?ur des vers d’Ovide, de Senesh ou de Wu.
Ce fut, au demeurant, un excellent precepteur. J’etudiai avec lui les classiques de la derniere periode et les Anciens, il me montra les ruines d’Athenes, de Rome, de Londres et d’Hannibal, dans le Missouri. Je n’avais jamais d’interrogations de controle ni d’examens. Il voulait que je retienne tout par c?ur des le premier contact, et je ne l’ai jamais decu sur ce point. Il parvint a convaincre ma mere que les traquenards de l’« education progressive » n’etaient pas pour une famille de l’Ancienne Terre, de sorte que je ne connus jamais les raccourcis mentaux acrobatiques de la therapie ARN, de l’immersion totale dans l’infosphere, du flash-back systemique, des groupes transcendantaux, de la « pensee elevee » aux depens des faits, ou encore de la programmation prescolaire. La consequence de toutes ces lacunes fut que, des l’age de six ans, j’etais capable de reciter par c?ur toute la traduction donnee par Fitzgerald de
Mon education scientifique, par contre, manqua quelque peu de rigueur. Don Balthazar n’eprouvait qu’un interet limite pour ce qu’il nommait le « cote mecanique de l’univers ». J’atteignis vingt-deux ans avant de m’apercevoir que les ordinateurs, les UMT et les systemes de vie de l’asteroide de mon oncle Kowa etaient des