Le roi, pour toute reponse, hocha lentement la tete, ce qui fit neanmoins vibrer sans fin ses bajoues et son triple menton.

— Et le garcon qui etait avec elle ?

— Il n’y avait plus aucune trace de lui quand on a decouvert le corps de Sira. Personne ne s’est apercu de sa disparition avant qu’on ne retrouve ce disque. On l’a identifie comme un professionnel des arts recreatifs d’Endymion.

— Vous venez de trouver cet enregistrement holo ?

— Hier. Les agents de la securite ont trouve l’imageur en examinant le plafond. Moins d’un millimetre de diametre. Sira possedait toute une discotheque de ce genre d’enregistrements. Apparemment, elle ne se servait de sa camera que pour… euh…

— Ses ebats prives, suggerai-je.

— Precisement.

Je me levai pour me rapprocher de l’image flottante de la creature. Ma main passa a travers son front, ses epines, ses machoires. L’ordinateur l’avait reconstituee grandeur nature. A en juger par cette image, notre Grendel local ne devait pas mesurer plus de trois metres de haut.

— Le gritche, repetai-je, plus pour le saluer que pour l’identifier.

— Que pouvez-vous me dire sur lui, Martin ? me demanda le roi.

— Que voudriez-vous que je vous dise ? Je suis un poete et non un mythologiste.

— Vous avez demande a l’ordinateur du vaisseau d’ensemencement des renseignements sur l’origine et la nature du gritche.

Je haussai les sourcils. L’acces aux ordinateurs etait cense etre aussi secret et anonyme que l’acces a l’infosphere de l’Hegemonie.

— Et alors ? demandai-je. Des centaines de personnes ont du vouloir se renseigner sur cette legende depuis le debut des massacres. Des milliers, peut-etre. C’est le seul putain de monstre que nous ayons dans nos legendes.

Des vagues se propagerent de haut en bas dans les replis adipeux de Billy le Triste.

— Je sais cela, Silenus. Mais vous avez commence ces recherches seulement trois mois avant les premieres disparitions.

Je haussai les epaules et me laissai tomber en soupirant sur les coussins de la fosse holo.

— D’accord. Vous avez raison. Et alors ? Je voulais me servir de cette putain de legende dans le putain de poeme que je suis en train d’ecrire. C’est un crime ? Arretez-moi.

— Qu’avez-vous appris ?

La rage commencait a monter en moi. J’enfoncai plusieurs fois mes sabots de satyre dans la moquette.

— Rien d’autre que ce qui se trouve dans ce foutu fichier, Billy, eclatai-je. Qu’est-ce que vous me voulez, enfin ?

Le roi s’epongea le front du plat de la main et grimaca quand il se mit accidentellement le petit doigt dans l’?il.

— Je ne sais pas trop, me dit-il. Les gens de la securite voulaient vous conduire au vaisseau pour vous brancher sur une interface d’interrogatoire total, mais j’ai prefere vous parler plutot.

Je battis des paupieres, sentant deja une etrange pression sous gravite zero sur mon ventre. Interrogatoire total signifiait derivation corticale et plots dans le crane. La plupart des gens interroges de cette maniere ne gardaient pas de sequelles. La plupart…

— Pourriez-vous m’expliquer quels aspects de la legende du gritche vous comptiez utiliser dans votre poeme ? me demanda le roi Billy d’une voix douce.

— Bien sur, Majeste. D’apres l’Evangile gritchteque des indigenes, le gritche est le Seigneur de la Douleur et l’Ange de l’Expiation Finale. Venu d’un endroit situe hors du temps, il annonce la fin de la race humaine. C’est un concept que j’aime bien.

— La fin de la race humaine, repeta lentement le roi Billy.

— Oui. C’est l’archange Michael, Moroni, Satan, le Masque de l’Entropie et le monstre de Frankenstein emballes dans le meme paquet. Il rode autour des Tombeaux du Temps en attendant le moment de sortir pour se livrer a ses massacres quand l’humanite sera prete a rejoindre le dodo, le gorille et le grand cachalot au palmares de l’extinction des especes.

— Le monstre de Frankenstein… murmura le petit homme adipeux a la cape froissee. Pourquoi pensez- vous a lui ?

Je pris une profonde inspiration.

— Parce que l’Eglise gritchteque est persuadee que c’est l’humanite qui, d’une maniere ou d’une autre, a cree ce monstre, repliquai-je, bien certain que le roi en savait autant, sinon plus que moi sur la question.

— Est-ce qu’elle sait aussi comment il faut faire pour le tuer ? me demanda-t-il.

— Pas a ma connaissance. Il est cense etre immortel, en dehors du temps.

— Comme un dieu ?

J’hesitai.

— Pas vraiment, declarai-je enfin. Plutot comme l’un des pires cauchemars de l’univers devenu reel. Comme la Faucheuse, si vous voulez, mais avec un penchant morbide pour les ames accrochees comme des pendeloques aux epines d’un arbre geant… avec leur corps autour.

Le roi Billy hocha tristement la tete.

— Ecoutez, lui dis-je, si vous tenez a dissequer les theologies primitives, pourquoi n’allez-vous pas a Jackson poser directement la question aux pretres gritchteques ?

— J’y ai deja pense, me repondit le roi d’un ton distrait en posant son menton mou sur son poing dodu. Certains sont deja a bord du vaisseau pour interrogatoire. Mais tout cela n’est pas facile a demeler.

Je me levai pour m’en aller, sans savoir si j’en avais encore le droit.

— Martin ?

— Ouais ?

— Avant de partir, ne savez-vous reellement rien d’autre qui puisse nous aider a comprendre cette creature ?

Je m’immobilisai sur le seuil, sentant les battements de mon c?ur contre ma cage thoracique comme s’il cherchait a s’envoler.

— Ouais, murmurai-je d’une voix qui ne tremblait que sur les bords. Je peux vous dire qui il est et ce qu’il est, si vous voulez.

— Ah ?

— C’est la muse que je cherchais.

Je lui tournai le dos et rentrai dans ma chambre pour me remettre a ecrire.

Naturellement, c’etait moi qui avais provoque l’apparition du gritche. Je le savais. Je l’avais attire en commencant a rediger mon poeme epique sur lui. Au commencement etait vraiment le Verbe.

Je reintitulai mon poeme Les Chants d’Hyperion. Le sujet n’etait pas seulement la planete, mais la fin des Titans qui se faisaient appeler humains. C’etait aussi l’hubris sans souci d’une race qui avait ose assassiner sa planete natale par pure negligence et qui avait transporte sa dangereuse arrogance dans les etoiles. La, elle affrontait le courroux d’un dieu que l’humanite avait en partie enfante. Hyperion etait la premiere ?uvre serieuse a laquelle je m’attaquais depuis des annees, et ce serait la plus grande que je produirais jamais. Ce qui avait commence sous la forme d’un hommage mi-comique, mi-serieux aux manes de John Keats devenait ma derniere raison d’etre, un tour de force epique a une epoque de farce mediocre. Les Chants d’Hyperion furent ecrits avec un talent auquel je n’aurais jamais pu pretendre et une maitrise a laquelle je n’aurais jamais accede. Ils furent interpretes par une voix qui n’etait pas la mienne. Mon sujet etait la fin de l’humanite. Ma muse etait le gritche.

Une vingtaine de personnes moururent encore avant que le roi Billy n’evacue la Cite des Poetes. Un certain nombre de refugies s’installerent a Keats, a Endymion ou dans l’une des autres cites nouvelles, mais la plupart prefererent prendre les vaisseaux d’ensemencement pour retourner dans le Retz. Le reve du roi Billy le Triste de fonder une Utopie creative s’etait effondre, bien que Billy lui-meme continuat a vivre dans le sinistre palais de

Вы читаете Hyperion
Добавить отзыв
ВСЕ ОТЗЫВЫ О КНИГЕ В ИЗБРАННОЕ

0

Вы можете отметить интересные вам фрагменты текста, которые будут доступны по уникальной ссылке в адресной строке браузера.

Отметить Добавить цитату