Rachel trouva le site encore eclaire. L’equipe des physiciens venait de terminer sa journee et etait en train de charger la jeep. Elle echangea quelques mots avec eux, se fit une tasse de cafe tandis qu’ils s’eloignaient, prit son sac a dos et s’avanca sur le sentier qui menait au Sphinx en une vingtaine de minutes.
Pour la centieme fois, elle se demanda qui avait bien pu edifier ces Tombeaux, et dans quel but. La datation des materiaux n’avait rien revele en raison des effets exerces par les champs anentropiques. Seule l’analyse des Tombeaux, en relation avec l’erosion du canyon et avec les autres formations geologiques environnantes, avait pu suggerer un age d’un demi-million d’annees au moins. Le sentiment general etait que les architectes des Tombeaux du Temps appartenaient a une espece humanoide, bien que rien d’autre que l’echelle globale des constructions ne suggerat une telle chose. Les galeries du Sphinx ne revelaient rien de particulier a cet egard. Si certaines etaient de forme et de taille a peu pres humaines, le meme couloir, quelques metres plus loin, pouvait tres bien se resserrer au point de n’etre plus qu’un tube de la taille d’une canalisation d’egout, puis s’elargir soudain aux dimensions d’une caverne qui n’avait rien de naturel. Les entrees, si toutefois elles pouvaient etre appelees ainsi, car elles ne s’ouvraient sur rien de particulier, avaient parfois la forme d’un triangle, parfois celle d’un trapeze ou d’un decagone, quand ce n’etait pas celle d’un simple rectangle.
Rachel descendit les vingt derniers metres de pente abrupte en rampant et en faisant glisser son sac a dos devant elle. Les globes lumineux sans emission de chaleur donnaient a la roche et a sa peau une coloration exsangue et bleutee. La « caverne », lorsqu’elle l’atteignit enfin, lui apparut comme un havre d’odeurs et de desordre humains. Plusieurs fauteuils pliants occupaient le petit espace libre central tandis que des detecteurs, oscilloscopes et autres appareils s’alignaient sur la table etroite adossee a la paroi nord. Une planche sur des chevalets, le long du mur oppose, etait garnie de tasses a cafe, d’un jeu d’echecs, d’un beignet a moitie mange, de deux livres a couverture souple et d’une sorte de jouet de plastique representant un chien dans l’herbe.
Rachel s’installa, posa son thermos pres de la garniture de plastique et regarda les detecteurs de rayonnement cosmique. Les releves semblaient inchanges. Pas la moindre caverne ni le moindre passage secret. Tout au plus quelques cavites que le radar avait negligees. Des le lendemain matin, Melio et Stefan avaient l’intention de mettre en place une sonde munie d’un filament imageur, puis de faire un prelevement d’air avant d’explorer ces cavites avec le micromanipulateur. Jusqu’a present, ils avaient decouvert une dizaine de crevasses du meme genre, et leur exploration n’avait rien revele d’extraordinaire. La plaisanterie qui circulait au camp etait que la prochaine cavite, pas plus grosse que le poing, recelerait des mini-sarcophages, des urnes en miniature et une toute petite momie ou, comme disait Melio, un « Toutankhamon lilliputien ».
Machinalement, Rachel essaya les canaux de communication de son persoc. Rien ne passait. Normal, sous quarante metres de pierre. Il avait ete question de tirer une ligne telephonique a partir de la surface, mais l’urgence ne s’en etait jamais vraiment fait ressentir, et leur sejour arrivait maintenant a sa fin. Elle ajusta les reglages de reception du persoc sur les emissions des capteurs, et se prepara a une longue nuit d’ennui.
Elle songea a cette merveilleuse histoire du pharaon de l’Ancienne Terre – Kheops, si son souvenir etait bien exact – qui, apres avoir autorise la construction de son enorme pyramide et accepte que la chambre sepulcrale soit profondement enterree sous le centre de l’edifice, etait demeure ensuite eveille toute la nuit, durant des annees, en proie a une panique claustrophobique a l’idee des centaines de milliers de tonnes de pierre qui seraient au-dessus de sa tete pour l’eternite. Finalement, le pharaon avait ordonne que la salle sepulcrale soit placee aux deux tiers de la hauteur de la Grande Pyramide. Solution peu orthodoxe. Mais Rachel comprenait la position du roi. Et elle esperait, ou qu’il soit maintenant, qu’il dormait mieux ainsi.
Elle avait presque succombe elle-meme au sommeil lorsque son persoc se mit brusquement a bourdonner. Il etait exactement 2 h 15. Les detecteurs hurlerent, et elle bondit sur ses pieds. D’apres les instruments, le Sphinx avait maintenant une douzaine de nouvelles salles, dont certaines etaient plus grandes que la structure totale. Rachel regla febrilement l’affichage des moniteurs, et l’air devint flou tandis que les modeles changeaient de forme sous ses yeux. Les dessins des corridors s’enroulaient sur eux-memes comme des rubans de Mobius en rotation. Les capteurs exterieurs indiquaient que le sommet du Sphinx se courbait et s’agitait comme du polyflexe au vent – ou bien comme des ailes.
Rachel ne doutait pas qu’elle eut affaire a une forme de defaillance multiple du materiel, mais elle s’acharnait a recalibrer les donnees et a les retraiter sur son persoc lorsque plusieurs choses se produisirent en meme temps.
Elle entendit un lourd bruit de pas dans le corridor au-dessus d’elle.
Tous les systemes de visualisation s’eteignirent.
Quelque part, dans le dedale des couloirs, un signal d’alarme branche sur les marees du temps retentit.
Toutes les lumieres s’eteignirent.
Ce dernier evenement etait insense. Les appareils avaient tous une alimentation autonome, et meme une explosion nucleaire n’aurait pas pu avoir d’effet sur eux. Les eclairages qu’ils utilisaient dans la caverne avaient des batteries d’une duree de vie de dix ans. Quant aux globes qui eclairaient les galeries, ils etaient bioluminescents et ne necessitaient aucune source d’energie.
Toutes les lumieres s’etaient quand meme eteintes. Rachel sortit une torche laser de la poche du genou de sa combinaison et l’actionna. Il ne se passa rien.
Pour la premiere fois de sa vie, Rachel Weintraub sentit la terreur l’agripper comme une main se refermant sur son c?ur. Elle ne pouvait plus respirer. Durant trente secondes, elle se forca a demeurer parfaitement immobile, sans meme ecouter, attendant simplement que la panique reflue. Lorsqu’elle put enfin respirer sans haleter, elle se dirigea en tatonnant vers les instruments et essaya de les faire fonctionner. En vain. Soulevant son persoc, elle fit tourner le disque du pouce. Rien ne se passa non plus. Tout cela etait absolument impossible, bien entendu. L’objet etait pratiquement indestructible, et son alimentation a toute epreuve.
Elle entendait ses propres pulsations, mais elle maitrisait mieux la panique et commenca a se diriger, toujours a tatons, vers la seule issue de la caverne. L’idee qu’il lui faudrait retrouver son chemin, a travers le dedale des galeries, dans l’obscurite totale, la rendait folle. Mais elle ne voyait aucun autre moyen de proceder.
Une seconde… Il y avait des lumieres un peu partout a l’interieur du Sphinx, mais l’equipe de recherches a laquelle elle appartenait avait
Parfait.
Elle sentit sous ses doigts, en se rapprochant de la sortie, la froideur de la roche. Etait-elle si froide que cela a son arrivee ?
C’est alors qu’elle entendit, tres distinctement, le bruit de quelque chose qui raclait la galerie en pente.
— Melio ? cria-t-elle dans l’obscurite. Tanya ? Kurt ?
Le frottement se rapprochait d’elle. Elle recula, renversant dans le noir un fauteuil et un appareil. Elle sentit quelque chose qui lui touchait les cheveux. Elle poussa un cri etouffe et leva la main.
Le plafond etait plus bas qu’avant. La dalle de pierre massive, de cinq metres carres environ, descendit encore au moment meme ou elle levait l’autre main pour la toucher. L’ouverture de la galerie etait a mi-hauteur de la paroi. Elle avanca vers elle en titubant, les mains tendues en avant, comme une aveugle. Elle trebucha sur un fauteuil pliant, trouva la tablette aux instruments, la suivit jusqu’a la paroi et… sentit le bord inferieur de la galerie disparaitre tandis que le plafond continuait de descendre. Elle dut retirer promptement ses doigts avant qu’ils ne fussent sectionnes.
Elle s’assit par terre dans le noir. Le haut d’un oscilloscope entra en contact avec le plafond. La table se mit a craquer, puis s’effondra dans un grand bruit. Rachel ne cessait de bouger la tete d’un cote puis de l’autre, par petits mouvements courts et desesperes. Il y eut un grincement metallique rauque, presque un bruit de respiration, a moins d’un metre d’elle. Elle recula lentement, en se trainant par terre au milieu des debris des appareils. La respiration se fit plus forte.
Quelque chose d’acere, d’une froideur extreme, lui saisit le poignet.
A la fin, elle hurla.
Il n’y avait pas de megatransmetteur sur Hyperion a cette epoque, et le vaisseau de spin