« Je ne comprends pas comment…
— Ca s’est fait tres adroitement : Lorsque Rocky accepta le poste, elle venait juste de convaincre Gaia de faire cesser une guerre entre les Titanides et les Anges. L’animosite entre les deux races etait, je suppose, inscrite dans leurs genes. Gaia avait du faire revenir tous les individus pour operer sur eux la modification. Simultanement, Rocky et moi nous nous soumettions a un transfert telepathique de quantites d’informations detenues par Gaia. A notre reveil, nous etions l’une et l’autre capables de chanter le titanide et de parler un tas d’autres langues et nous en savions un paquet sur l’interieur de Gaia. Mais surtout, les glandes salivaires de Rocky avaient ete modifiees pour secreter une hormone desormais necessaire au cycle de reproduction des Titanides.
« Elle ne s’est pas mise a boire tout de suite. Quand elle etait jeune, elle avait l’habitude de priser de la cocaine mais depuis des annees elle n’en avait plus repris. Elle s’y est remise durant quelque temps. Puis elle a fini par passer a la gnole parce que ca lui faisait plus d’effet. Quand approche l’epoque du Carnaval, elle fait tout son possible pour decrocher. En vain. »
Gaby se releva et fit un signe a Psalterion dont le bateau progressait parallelement au leur a dix metres de distance. Il vira vers eux.
« Mais tout cela n’est que secondaire, bien sur, reprit-elle, avec entrain. L’important lorsqu’on embarque une poivrote dans un voyage pareil, ce n’est pas de se demander pourquoi elle boit mais de savoir si elle sera d’une quelconque utilite a quiconque – elle la premiere –, si jamais les choses tournaient mal. Et la, je peux vous rassurer sur ce point : sinon je ne vous aurais jamais suggere de nous accompagner.
— Je suis heureux que tu me l’aies dit. Et je suis desole. »
Elle eut un sourire en coin. « Pas de quoi. Tu as tes problemes. On a les notres. Rocky et moi, on n’a eu que ce qu’on demandait. Tant pis pour nous si nous n’avons pas accompli ce que nous demandions. »
17. Reconnaissance
La pluie que Gaby attendait finit par tomber a leur cinquieme heure de navigation. Elle sortit les cires et en tendit un a Psalterion. Les autres l’imitaient, a l’exception de Cirocco qui continuait de dormir a l’avant du canoe de Cornemuse. Gaby faillit demander a Psalterion d’approcher son embarcation pour qu’elle puisse abriter la Sorciere de la pluie puis elle se ravisa. Elle avait toujours tendance a dorloter Rocky lorsqu’elle etait dans cet etat. Il fallait qu’elle se rappelle ce qu’elle avait dit a Chris : Cirocco n’avait qu’a se debrouiller toute seule.
D’ailleurs, la Sorciere levait justement la tete et contemplait la pluie comme s’il n’y avait rien de plus inexplicable que cette eau qui se deversait du ciel. Elle essaya de s’asseoir puis se pencha par-dessus le plat-bord et vomit dans l’eau brune. C’etait beaucoup d’efforts pour un maigre resultat.
Lorsqu’elle fut soulagee, elle rampa vers le milieu du canoe, repoussa la bache rouge et se mit a fouiner dans les bagages, avec une frenesie de plus en plus grande. A l’arriere, Cornemuse ne disait rien et continuait de pagayer comme si de rien n’etait. Finalement, la Sorciere s’assit a croupetons et s’essuya le front du plat de la main.
Elle leva brusquement la tete.
« GaaaaBY ! » Ayant repere celle-ci a quelque vingt metres de la, elle enjamba le plat-bord pour traverser les eaux.
Un instant on put croire qu’elle allait vraiment y parvenir. Mais c’etait uniquement en raison de la faible pesanteur car des son second pas elle s’enfoncait jusqu’aux genoux et elle n’avait pas accompli le troisieme que deja les eaux se refermaient sur son visage legerement etonne.
« C’est peut-etre une Sorciere, gloussa Chris, mais ce n’est pas Jesus.
— Qui est Jesus ? »
Robin ecouta quelque temps son explication : juste assez pour constater que le sujet ne l’interessait guere. Jesus etait un personnage du mythe chretien, apparemment le fondateur de la secte. Il etait mort depuis plus de deux mille ans, ce qui pour Robin lui semblait sa plus grande qualite. Elle resta dans l’expectative, attendant de pouvoir demander a Chris s’il croyait le moindre mot de tout ca. Lorsqu’il lui repondit que non, elle considera la question comme reglee.
Ils etaient assis l’un et l’autre sur un rondin, a bonne distance du reste du groupe qui encerclait une Cirocco frissonnante sous sa couverture pres d’un feu ronflant. Accrochee sous un trepied metallique, une grosse cafetiere noircissait lentement dans les flammes.
Robin se sentait amere. Elle se demandait ce qu’au nom de la Grande Mere elle pouvait bien faire dans cette galere sous les ordres d’une Sorciere qu’elle soupconnait d’etre incapable de lacer convenablement ses propres souliers. Et Gaby. Mieux valait ne pas en parler. Plus quatre Titanides… A vrai dire, elle les aimait plutot. Hautbois s’etait revelee une remarquable conteuse. Robin avait passe la premiere partie du voyage a l’ecouter, lancant de temps a autre une histoire de son cru, afin de la tater et de tester sa credulite. Hautbois se serait fort bien debrouillee au Covent : on ne l’avait pas si facilement.
Enfin, il y avait Chris.
Elle avait le plus possible retarde le moment de faire connaissance car elle apprehendait ce premier contact en societe avec un male. Pourtant, elle savait maintenant qu’une grande partie de ce qu’on lui avait enseigne sur les hommes etait fausse. Elle avait pu constater que la legende s’etait grossie d’elle-meme. Elle ne s’imaginait pas capable d’etre a l’aise un jour en sa compagnie mais s’ils devaient faire ce voyage ensemble, du moins essaierait-elle de le comprendre mieux.
Cela n’etait pas facile, ce dont elle se morigena. Il n’y etait pour rien. Il semblait effectivement ouvert. Mais elle se sentait tout bonnement incapable de lui parler. C’etait tellement plus facile avec les Titanides. Elles n’avaient pas l’air aussi
Si bien qu’au lieu de lui parler, elle regardait l’eau degoutter du bord de la toile de tente qu’ils avaient tendue entre deux arbres. Il n’y avait pas un souffle de vent. La pluie tombait dru, verticalement, mais leur abri de fortune suffisait a les tenir au sec. Le feu n’etait la que pour le cafe et la Sorciere ; il faisait meme chaud, mais ce n’etait pas desagreable.
« Quand le temps est couvert, il fait bien plus sombre ici qu’en Californie, nota Chris.
— Pas possible ? Je n’avais pas remarque. »
Il lui sourit mais sans aucune condescendance. Lui aussi avait l’air de vouloir parler.
« La lumiere est trompeuse : le temps parait clair mais c’est parce que tes yeux s’ouvrent pour accommoder. Saturne ne recoit qu’un centieme de la lumiere recue par la Terre. Des qu’un obstacle s’interpose, tu remarques la difference.
— J’ignorais cela. Nous procedons differemment au Covent : on laisse les fenetres ouvertes des semaines durant pour favoriser les cultures.
— Sans blague ? Ca m’interesserait d’en savoir plus. »
Alors elle lui raconta la vie dans l’Arche et decouvrit encore une qualite commune aux hommes et aux femmes : on parlait plus facilement a celui ou celle qui savait bien ecouter. Robin s’en savait incapable ; elle n’en avait pas honte mais elle respectait qui savait, a l’instar de Chris, lui donner l’impression qu’on l’ecoutait avec attention ; et Chris semblait litteralement boire ses paroles. Au debut, ce respect, accorde a contrec?ur, l’avait rendue nerveuse : apres tout, c’etait un
Elle voyait bien qu’il trouvait a l’Arche plus d’un trait bizarre, meme s’il evitait d’en parler. De prime abord, elle en fut preoccupee : comment un membre de la societe des sauteurs pouvait-il trouver bizarre
« Alors ces… ces tatouages ? Tout le monde en porte, au Covent !
— C’est exact. Certaines en ont plus que moi, d’autres moins. Mais tout le monde porte le Pentasme. »
Elle inclina la tete pour lui montrer le motif qui lui cernait l’oreille. « En general, il est centre sur la marque