son compte, c’est qu’on n’a pas la retraite comme un salarie. Si jamais Gaia ne trouve plus rien a me donner, je suis foutue. Je serai probablement ratatinee en l’espace d’une journee.

— Tu n’es pas serieuse.

— Non. Je suppose que je commencerai simplement a vieillir. Il se pourrait que ce soit plus rapide. Mais j’ai cette… eh, ou est Rocky ? »

Chris regarda derriere lui, puis comprit que Cornemuse etait alle de l’avant en eclaireur. Une brume s’etait abattue, reduisant encore la visibilite. C’est a peine s’il pouvait distinguer Robin et Hautbois ; quant a Cornemuse, le brouillard l’avait completement avale.

Psalterion surgit devant eux et Valiha pressa le pas pour rattraper Hautbois. Les deux equipages ne tarderent pas a rejoindre Gaby qui etait en vive discussion avec Cornemuse.

« Elle a dit qu’elle retournait en arriere vous parler et…

— En es-tu bien sur, Cornemuse ?

— Que voulez-vous… oh ! J’y suis pour rien, parole ! Elle a dit qu’elle allait faire un tour un moment avec vous. Elle est peut-etre blessee. Elle a pu tomber et…

— Ca risque pas, railla Gaby en se frottant le front. Tu n’as qu’a rester sur place, revenir un peu sur tes pas, voir si tu peux la trouver. Nous, on continue d’avancer. Je suis a peu pres certaine de savoir ou elle est. »

* * *

Le Machupichu tronait loin au-dessus du plafond cotonneux. Depuis le porche de l’Atelier de Musique qu’eclairait cet incroyable faisceau lumineux tombe du ciel, on dominait une vaste mer de nuages qui s’etirait du nord au sud entre les deux remparts des hauts plateaux. Elle s’ecoulait par la bouche invisible du rayon surmontant Ocean pour venir se deverser au-dessus d’Hyperion. Par endroits, des ascendants s’enroulaient en formant de gros tubes creux lorsque les nuages atteignaient les couches plus hautes et donc plus calmes de l’atmosphere. Ces tubes etaient des perturbations cycloniques, mais posees sur la tranche et devidees comme des tornades renversees. On les appelait des rouleaux de brume. Parfois, de violentes tempetes venaient d’Ocean et celles-ci, on les appelait des rouleaux a vapeur.

Chris resta contempler les nuages pendant que les autres entraient chercher Cirocco. Puis il entendit un bruit de verre brise et celui d’un lourd objet heurtant le sol. Quelqu’un cria. Un bruit de pieds grimpant precipitamment un escalier, suivi de celui, bizarre, des sabots d’une Titanide foulant un tapis. Au bout d’un moment une porte claqua et les bruits cesserent. Il continua de regarder la brume.

Gaby sortit, tenant un linge mouille contre son visage.

« Eh bien, j’ai comme l’impression qu’il va nous falloir un jour de plus pour la remettre sur pied. » Elle s’arreta pres de Chris, reprenant son souffle.

« Ca va pas ?

— Je suis bien, mentit Chris.

— C’etait sacrement malin, ce qu’elle a fait, dit Gaby. Elle a appele Titanville grace a une radio-graine dissimulee. Personne ne sait ce qu’elle a raconte ; sans doute qu’elle avait des ennuis car elle a demande a un ami de venir d’un coup de saucisse l’attendre pres de la route. Le brouillard etait son ?uvre. Elle a dit a Gaia qu’elle avait besoin d’une couverture. Elle s’est eclipsee pour rejoindre la Titanide qui l’a conduite ici. Elle y est depuis trois revs, ce qui est amplement suffisant pour boire un bon coup. Alors il va nous falloir… eh ! tu es sur que ca va bien ? »

Il n’avait plus le temps de lui repondre. La brume reculait comme une vague monstrueuse. En dessous se cachaient des betes immondes. Il pouvait les entendre. Lorsqu’il tendit le bras a l’aveuglette, sa main saisit le bras noirci d’un pale moribond gemissant dont la bouche grouillait de vers et qui cherchait a l’attirer…

Il se mit a hurler.

20. Reprise

Robin leva les yeux lorsque Gaby la rejoignit sous le porche. Elle s’etait assise sur les marches pour lire un manuscrit jaunissant decouvert dans le bureau de Cirocco. C’etait un travail fascinant, la description des interactions de la flore et de la faune et celle d’organismes a proprement parler indetermines et qui vivaient tous dans un rayon d’un kilometre autour de l’Atelier de Musique. Ce n’etait pas un traite scientifique et l’ecriture avait une economie de style que Robin trouvait merveilleusement lisible. Le manuscrit etait pose sur un bureau a cylindre pres d’une etagere contenant une douzaine d’ouvrages tous signes par C. Jones.

« Comment se portent les patients ? » demanda Robin. Gaby avait l’air hagard. Sans doute n’avait-elle pas dormi depuis leur halte pres du fleuve… Cela remontait a quand ? Deux decarevs ? Trois ? Peut-etre meme alors n’avait-elle pas dormi non plus.

« Erreur, dit Gaby en s’asseyant a ses cotes. C’est : comment se porte ta patience, qu’il faut demander. »

Robin haussa les epaules. « Je ne suis pas pressee. Je me cultive. Je n’imaginais pas que la Sorciere puisse ecrire si bien. »

Gaby ecarta de son visage une mouche imaginaire, l’air amer.

« J’aimerais que tu cesses de l’appeler la Sorciere. C’est lui donner trop de responsabilites. Elle n’est qu’un etre humain, comme toi.

— Je le sais… peut-etre que tu as raison. Je ne le ferai plus.

— Euh, je n’avais pas l’intention de t’engueuler. » Elle laissa son regard errer sur la pelouse. « Les patients se portent aussi bien que possible. Chris a cesse de hurler mais il est toujours recroqueville dans un coin. Valiha ne parvient pas a le faire manger. Rocky est bouclee dans sa chambre. Toute la gnole est passee par-dessus bord, autant que je sache. Evidemment, avec un ivrogne on n’est jamais sur : elle peut en avoir planque n’importe ou. » Elle mit son visage dans les mains, comme pour se reposer un moment. Mais Robin vit sa bouche se tordre et elle entendit un gemissement pitoyable. Gaby pleurait.

« Je l’ai fait enfermer dans sa chambre, parvint-elle a dire entre deux hoquets. Je n’arrive pas a y croire. Je n’arrive pas a croire que les choses en soient la. Lorsqu’elle me voit, elle m’injurie. Elle crache tripes et boyaux, tremble et transpire et je ne peux rien y faire. Je ne peux pas l’aider. »

Robin etait mortifiee. Elle ne savait que faire, tant la situation etait invraisemblable : etre assise aux cotes d’une femme universellement respectee et la voir ainsi fondre en larmes. Elle se sentait encombree par ses mains, et feuilletait les pages du manuscrit pose sur son ventre ; elle cessa lorsqu’elle s’apercut qu’elle etait en train de le dechiqueter.

Avec un choc, elle repensa au moment ou elle avait pleure devant Hautbois. Evidemment, ce n’etait pas pareil. D’ailleurs, Hautbois l’avait dit et elle n’avait pas tarde a s’en rendre compte. Mais la Titanide n’etait pas non plus restee a ne rien faire.

En hesitant, Robin passa le bras sur l’epaule de Gaby. Gaby reagit, apparemment sans honte, en enfouissant son visage au creux de l’epaule de la jeune fille.

« Ca va aller mieux, dit Robin.

— Je l’aimais tant, gemit Gaby. Je l’aime toujours. Quelle derision ! Au bout de soixante-quinze ans, je l’aime toujours. »

* * *

Gaby souleva la tete de Cirocco pour approcher un verre de ses levres.

« Bois ca. C’est bon pour ce que tu as.

— Qu’est-ce que c’est ?

— De l’eau, pure et fraiche. Il n’y a rien de meilleur au monde. »

Les levres de Cirocco etaient decolorees et son visage gris et moite. Gaby pouvait sentir l’humidite de ses cheveux emmeles tandis qu’elle la soutenait avec une main passee derriere la tete. Elle avait une bosse, qu’elle

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