s’etait faite en heurtant le montant de cuivre a la tete du lit.

Elle gouta du bout des levres, puis se mit a boire avec bruit.

« Eh, eh, pas trop a la fois ! Tu n’as pas pris grand-chose ces derniers temps.

— Mais j’ai soif, Gaby, gemit Cirocco. Ecoute, mon chou, je n’te crierai plus apres. Je regrette de l’avoir fait. » Sa voix prit un ton enjoleur. « Mais ecoute, cherie, je ferais a peu pres n’importe quoi pour boire un coup. Rien qu’en souvenir du bon vieux temps…»

Gaby prit entre ses deux mains serrees le visage de Cirocco, amenant sur ses levres une moue qui aurait pu etre comique en d’autres circonstances. Cirocco se debattit, les yeux rougis et terrorises. Elle etait de loin plus lourde que Gaby mais semblait avoir perdu toute velleite combative.

« Non, dit Gaby. Ni aujourd’hui, ni demain. Ne sachant pas si je serais capable de continuer a dire non, j’ai vide tout l’alcool qui etait dans la maison, alors ne te fatigue pas a m’en demander, vu ? »

Les larmes perlaient au coin des yeux de Cirocco mais, en y regardant de plus pres, Gaby y decouvrit avec horreur un soupcon de ruse. Ainsi donc elle avait une cachette, une reserve en cas d’urgence. En tout cas, elle n’etait pas dans cette piece. La porte devait rester verrouillee.

« D’accord. Je me sens mieux. Je serai sur pied sous peu et j’en ai termine avec la boisson. Tu verras.

— Ouais. » Gaby detourna le regard puis se contraignit a la regarder de nouveau. « Je ne suis pas montee pour entendre des promesses. Pas de cet acabit. Je voulais savoir si tu etais toujours avec nous. Avec moi.

— Avec… oh, tu veux dire… ce dont nous avons parle. » Elle balaya rapidement la piece du regard, comme pour y surprendre d’eventuels espions. Elle eut un fremissement et fit mine de s’asseoir. Gaby l’y aida. Cirocco resserra les couvertures autour d’elle. Le feu ronflait et crepitait dans l’atre en maintenant dans la chambre une temperature d’etuve de trente-cinq degres mais Cirocco ne parvenait pas a se rechauffer.

« J’ai… j’y ai pense », dit Cirocco et Gaby etait sure qu’elle mentait. Si elle avait pense, c’etait a se trouver a boire. Mais tant pis. Ses craintes s’exprimeraient librement maintenant, sans rien pour les censurer.

« J’avais pense que peut-etre… peut-etre on devrait y reflechir un peu plus. Je veux dire, ne nous precipitons surtout pas. C’est un grand pas a franchir. Je… bien sur, je viens toujours avec toi, mais on ne devrait pas… franchement, on ne devrait pas aller jusqu’au bout, tu vois ? On devrait pas vraiment aller leur parler, a Rhea, a Crios et…

— Vingt ans, on ne peut pas dire que ce soit de la precipitation, remarqua Gaby.

— Ben ouais, d’accord, mais ce que je dis…»

Elle hesita, a l’evidence incertaine de ce qu’elle voulait dire. « Si je pouvais avoir rien qu’un… euh, oh, non, je ne le dirai pas. Je ne demanderai rien. Je serai une gentille fille, d’accord ? » Elle eut un faible sourire, insinuant.

« Donc, tu laisses tomber ? »

Cirocco fronca les sourcils. « Je n’ai pas dit ca. Si ? Allons, Gaby, tu sais que c’est dangereux. Tu l’as dit toi-meme. Ce qu’il faut c’est prendre du recul, ne pas foncer, et d’ici quelque temps… eh ben, on verra nettement ce que…» A nouveau, elle avait perdu le fil de ses pensees.

« O. K., dit Gaby en se levant. Je ne sais pas si nous aurons le temps mais je m’attendais a ce que tu me dises quelque chose de ce genre. Je ne suis pas sure que Gene nous laisse le temps. Je crois qu’il manigancait quelque chose. Quoi, je l’ignore. Mais il faut s’y prendre maintenant, pas plus tard. Ce n’est qu’une simple etude de faisabilite, Rocky. Penses-y sous cet angle.

— Je ne sais pas si je peux… ben, le faire sans eveiller les soupcons.

— Bien sur que tu peux.

— Non. Non, c’est trop temeraire. J’y ai reflechi. Attends encore et je t’aiderai.

— Non. » Elle attendit que Cirocco l’ait comprise et vit l’esquisse de son sourire lentement s’effacer. « Il est peut-etre deja trop tard. Si tu ne le fais pas, je le ferai. Et je crois qu’il vaudrait mieux que j’annonce a ces deux pelerins qu’ils se debrouilleront mieux sans nous. »

Cirocco commenca a dire quelque chose mais Gaby n’avait pas envie de l’entendre. Elle quitta la piece aussi vite qu’elle put.

* * *

L’Atelier de Musique avait ete concu et edifie en fonction des Titanides. Les plafonds etaient hauts et les portes larges. Les rares tapis ne se trouvaient qu’aux endroits ou l’on avait dispose des sieges a taille humaine, une facon de rappeler aux Titanides de s’en ecarter. La plus grande partie du plancher de bois brut etait recouverte de sciure ou de paille. La grande table de la bibliotheque avait un cote humain, un cote titanide : une moitie avec des chaises, une moitie avec une litiere de paille. La piece avait de hautes fenetres donnant vers l’est sur la Mer de Minuit et une cheminee de pierre, presentement eteinte. Gaby y avait reuni tout le monde, a cause de la vue. Tandis qu’elle leur expliquait ce qu’elle avait a leur dire, ils avaient sous les yeux le territoire qu’il leur restait a parcourir : peut-etre ainsi pourraient-ils prendre une decision plus avisee.

« Je suppose qu’il n’est pas facile de vous annoncer ceci. Et c’est doublement difficile, compte tenu de ce que j’ai deja pu dire a certains d’entre vous. Mais a partir de maintenant, je dois annuler toutes mes promesses concernant Cirocco. Elle est beaucoup plus mal que je ne le pensais. J’ignore encore si elle va venir avec moi mais, dans un cas comme dans l’autre, il est temps pour vous de revoir des decisions prises sur la base d’informations erronees. Je vous avais dit que Rocky s’en sortirait, qu’elle serait utile et… qu’elle serait une aide plutot qu’un fardeau. Je ne peux plus soutenir cet avis. »

Elle scruta les six visages. A l’exception de Hautbois, elle savait deja ce que dirait chacune des Titanides. Pour Chris et Robin, elle n’etait pas sure. Chris avait ses propres problemes, peut-etre temporaires ; quant a Robin, elle ne se serait pas risquee a deviner son comportement.

« Ca se ramene a ceci : je continue le periple. Rocky se joint a moi peut-etre. Vous etes tous les bienvenus si vous avez envie de venir. Si Rocky est la, il se peut qu’elle nous laisse tomber d’une facon plus ou moins grave. Et en l’occurrence, je veux dire autre chose que le simple fait de devoir s’occuper d’elle si elle trouve encore moyen de se saouler. Ce n’est pas la le probleme. Que cela vous deplaise ou non, Chris et toi, Robin, vous pourriez l’un et l’autre nous mettre dans la meme situation et c’est probablement ce qui arrivera. En un sens, Rocky ne se controle pas mieux que vous. Cela, je veux bien l’accepter. Je suppose que je suis incapable de vous dire pourquoi mais je le ferai, pour chacun de vous trois. Je m’occuperai de vous lorsqu’il le faudra, tout comme le feront les Titanides.

— A vrai dire, nous considerons ces maux au meme titre que l’habitude humaine de s’endormir, sans plus, intervint Cornemuse, d’une voix hesitante. Pour nous, c’est la meme chose. Quand vous dormez, nous devons vous veiller.

— Il n’a pas tort, dit Gaby. En tout cas, mes craintes concernant Rocky sont qu’elle nous lache par depression nerveuse. Je n’aurais jamais cru etre obligee de le dire mais le fait est que je ne suis plus certaine qu’elle place la securite du groupe au-dessus de ses propres besoins personnels. J’ai l’impression de la connaitre a peine. Mais je dois la considerer comme peu digne de confiance.

« Comme je l’ai dit, je continue quand meme. Ce que je veux savoir, c’est quels sont vos plans. Cornemuse ?

— Je reste avec Cirocco. Si elle vient, parfait. »

Gaby opina. Elle leva un sourcil a l’adresse de Psalterion qui se contenta d’esquisser un signe de tete. Elle savait qu’il viendrait avec elle.

« Valiha ?

— Je voudrais bien continuer. Mais seulement si Chris vient aussi.

— Bien. Hautbois ?

— Il faut que je termine le circuit : je n’ai jamais ete arriere-mere et c’est ma meilleure chance.

— D’accord. Contente de t’avoir. Et toi, Chris ? »

Le simple fait de detacher son regard de la table semblait pour Chris un effort. Il s’etait remis de sa derniere attaque depuis des heures mais comme d’habitude lorsque la crise n’avait pas ete accompagnee d’amnesie, il etait psychologiquement epuise et n’avait pas plus d’amour-propre qu’un chien battu.

« Je crois que tu minimises le probleme, marmonna-t-il. Le mien, je veux dire. Pourquoi devrais-je demander plus a Cirocco qu’a moi-meme ? » Valiha voulut lui prendre la main mais il l’ecarta d’une bourrade. « Je viendrai, si vous voulez de moi.

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