* * *

En arrivant sur la plage, les Titanides se debarrasserent de leurs sacoches pour en sortir de brillantes pieces d’acier qui devaient se reveler des lames de hache. Entrees dans la foret munies de leur couteau, elles eurent tot fait de se tailler des manches et bientot elles commencaient a abattre les arbres par douzaines. Chris les observait a bonne distance apres avoir propose ses services et, comme de juste, essuye un refus poli.

Ces arbres etaient remarquables : Hauts de quinze metres, rectilignes et d’un diametre de cinquante centimetres, ils etaient depourvus de branches mais s’ornaient en leur sommet d’un gigantesque plumet diaphane. Ils evoquaient pour Chris des flechettes plantees sur une cible.

« Ces arbres te paraitraient-ils curieux ? » Gaby l’avait rejoint a son poste d’observation.

« Comment s’appellent-ils ?

— La, tu me poses une colle. J’ai entendu plusieurs noms. Aucun ne s’est maintenu officiellement. Pour ma part, j’avais coutume de les appeler des poteaux telegraphiques mais ca me faisait paraitre trop demodee. Dans les bois, ceux qui construisent des cabanes les nomment des cabaniers. Au bord de la mer, ce sont des radeauteurs. Dans chaque cas, il s’agit toujours de la meme plante. Autant vaudrait les baptiser “arbres-a- rondins”. »

Chris rit. « N’importe quel arbre est un arbre a rondins, une fois abattu.

— Mais aucun arbre ne remplit aussi bien cette tache. C’est un exemple du cote cooperatif de Gaia. Elle rend parfois les choses presque trop faciles. Tiens, regarde. »

Elle se dirigea vers la cime d’un arbre abattu, sortit son couteau et l’eteta d’un geste precis. Chris vit que le tube mince etait creux. Elle y insera alors sa lame et la fit remonter. L’ecorce tendre se dechira et commenca de se detacher. Elle se decolla en s’enroulant sur toute la longueur du tronc, decouvrant un c?ur humide dont le bois jaune semblait avoir ete travaille au tour.

« Je suis impressionne.

— Et ce n’est pas tout. Valiha, puis-je t’emprunter ca une minute ? » La Titanide confia sa hache a Gaby. Chris s’agenouilla tandis qu’elle examinait la surface parfaitement plate revelee par l’ecorce en se detachant. Un reseau de lignes s’y dessinait. Gaby donna un coup de hache sur l’une de ces lignes. Cela fit un toc sourd.

« Je ne suis pas aussi bonne qu’elles », marmonna Gaby. Elle degagea la lame et fit une nouvelle tentative. Avec un claquement sec le rondin se fendit en une douzaine de planches regulieres. Elle posa le pied sur la pile, mit l’outil sur son epaule et sourit a belles dents en gonflant le biceps comme un bucheron modele reduit.

« Je suis vraiment impressionne.

— Ce n’etait rien. D’ailleurs, tu n’es pas au bout des Merveilles etonnantes. On peut detailler l’ecorce en lanieres aussi resistantes que des lames d’acier. On peut les utiliser Pour assembler les rondins en un radeau. Pendant les deux prochaines revs les souches vont laisser suinter une resine epoxy. Un arbre sur vingt environ se fractionne en planches. Les rondins ordinaires nous serviront pour le fond du radeau et les planches pour confectionner le pont. De cette maniere une lame de travers ne risquera pas de transformer le tout en gros tas de buches. D’ici quatre ou cinq revs le radeau devrait etre pare a lancer. Fin de la conference.

— Pas tout a fait, dit Chris. Tu as indique que cela faisait partie de l’esprit cooperatif de Gaia. Ces arbres sont-ils recents ? Je veux dire…

— Recents comme le sont les Titanides ? Non, je ne le pense pas. Ils sont plus probablement tres anciens. Plus vieux meme que Gaia. Ils font partie de ces especes creees par ceux-la meme qui construisirent les ancetres de Gaia, il y a des milliards d’annees. Ces gens-la avaient l’air d’aimer les choses pratiques. Ainsi trouve-t-on les plantes sur lesquelles poussent des transistors a un bout de l’echelle et a l’autre, des elements de base tels que ces arbres ou bien les sourieurs – cet hyperbetail dont on peut recolter la viande sans avoir besoin de le tuer. Soit les createurs avaient prevu les periodes d’effondrement de la civilisation soit ils n’aimaient pas les usines bruyantes. »

* * *

Chris arpentait la plage, seul, vaguement trouble. Il savait qu’il aurait du se sentir reconnaissant de la compagnie de Cirocco et de Gaby grace auxquelles il apprenait toutes ces choses qui pourraient etre utiles au cas ou il devrait se debrouiller seul. Et au lieu de cela, il se sentait accable par sa propre inutilite dans l’ordre des choses. Tout semblait parfaitement ordonne. Il ne pouvait pas cuisiner, construire un radeau, pagayer dans un canoe. Il n’etait meme pas capable de suivre quand on lui demandait de marcher. Et il etait cense chercher l’aventure et trouver le moyen de devenir un heros. En fait, il etait en balade. Il ne croyait vraiment plus desormais que la situation puisse jamais echapper a Gaby et aux Titanides.

Le sable de la plage etait tres fin. Il etincelait meme dans l’obscurite de Rhea. A la lisiere des arbres, la progression etait epuisante, aussi s’approcha-t-il du rivage ou l’humidite avait rendu le sable plus ferme. Nox etait calme pour une etendue d’eau de cette taille. De petites vagues ondulaient et moutonnaient au ralenti, avec un bruit plus proche du chuintement que d’un grondement. L’ecume lui lechait les pieds avant de se fondre dans le sable.

Il etait parti avec l’intention de se laver. Deux jours d’escalade et de chevauchees sur des pistes boueuses l’avaient laisse crasseux. Lorsque ne lui parvint plus le bruit des Titanides au travail, il s’estima assez eloigne. C’est alors qu’il trebucha sur un objet presque invisible sur le sable noir : c’etait un tas de vetements.

« T’as apporte du savon ? »

Il cligna des yeux en direction de la voix et decouvrit un cercle sombre au milieu de l’eau. Robin se redressa de sa position accroupie. Elle avait de l’eau jusqu’a la taille. Des anneaux argentes concentriques s’etalaient autour d’elle.

« Une chance, j’en ai justement. » Il fourragea dans sa poche pour y querir le bloc doux et rond. « La Sorc… Cirocco disait que l’eau etait froide.

— C’est supportable. Apporte-le-moi, veux-tu ? » Elle se rassit, de l’eau jusqu’au cou.

Chris quitta ses vetements et s’aventura prudemment dans l’eau. Elle etait glaciale mais il avait vu pire. La plage etait en pente douce. Il n’y avait pas de creatures gluantes sous ses pieds, pas meme de coquillages. Ce n’etait qu’un sable uniforme et lisse, parfait pour emplir un sablier.

Il parcourut les derniers metres a la nage puis se mit debout a cote d’elle et lui tendit la boule de savon. Elle commenca a s’en frotter le haut du corps.

« Le fais pas tomber. On pourrait plus le retrouver.

— Je ferai attention. Ou as-tu appris a faire ca ?

— Faire quoi ? Nager, tu veux dire ? J’etais si jeune que je ne m’en souviens plus. Presque tous les gens que je connais savent nager. Pas toi ?

— Non, et personne parmi mes connaissances. Tu voudrais m’apprendre ?

— Bien sur, si nous avons le temps.

— Merci. Tu veux bien me savonner le dos ? » Elle lui tendit le savon.

Cette requete le surprit mais il y acceda bien volontiers. Peut-etre laissa-t-il ses mains trainer plus que necessaire mais comme elle ne protestait pas, il lui etreignit les epaules. Il sentait jouer ses muscles fermes sous la peau froide. Elle lui rendit la pareille et dut lever les bras pour atteindre ses epaules. Il savait qu’il etait encore loin de commencer meme a la comprendre et souhaitait que cela continue. Avec n’importe quelle autre femme, il se serait senti a l’aise. Il l’aurait embrassee en lui laissant a partir de la l’initiative des operations. Que ce soit oui ou non, il aurait accepte sa reponse. Avec Robin, il ne se voyait meme pas oser lui poser la question.

Mais pourquoi pas, au fait ? Est-ce que tout devait se faire selon ses criteres a elle. La d’ou il venait, il etait parfaitement legitime de faire les propositions, des lors qu’on etait pret a se voir rabroue. Il n’avait aucune idee de la facon dont on procedait au Covent, sinon qu’une telle situation ne pouvait en aucun cas se produire entre un homme et une femme. Peut-etre qu’elle etait aussi perplexe que lui.

Aussi lorsqu’elle eut cesse de lui frotter le dos se tourna-t-il et, lui posant doucement une main sur la joue, la baisa sur les levres. Lorsqu’il s’ecarta, son regard etait intrigue.

« Pour quoi etait-ce ?

— Parce que je t’aime bien. On ne s’embrasse pas, au Covent ?

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