Il lui jeta un regard soupconneux. « Tu n’as pas quelque…»
Elle tendit les mains et fit un signe de denegation. « Pas moi, l’ami. Je ne t’embeterai pas. Avec moi, c’est une fois tous les trente-six du mois, et en general avec des filles. Et puis, je ne suis pas pour les aventures. Je veux que mes relations soient durables. Toutes les dix-sept. » Elle fit une grimace.
« Je suppose que tu dois voir les choses d’une facon differente, hasarda Chris. Avec l’age que tu as.
— C’est ce qu’on croirait, pas vrai ? Faux. Ca fait toujours mal. Je voudrais que ca dure toujours et ce n’est jamais le cas. Et c’est de ma faute. Je finis toujours par les comparer a Cirocco et personne ne soutient la comparaison. » Elle toussa nerveusement. « Bon, ecoute-moi. Je n’avais pas l’intention d’entrer la-dedans. Je suis venue fourrer mon nez dans tes affaires. Tu n’as pas a avoir peur de Valiha. Pas du point de vue affectif, si c’est cela qui te trouble. Elle ne serait ni jalouse, ni possessive, elle ne s’attendrait pas a ce que ca dure. Les Titanides n’ont aucune notion de l’exclusivite.
— C’est elle qui t’a demande de me dire ca ?
— Elle serait furieuse si elle le savait. Les Titanides s’occupent de leurs propres affaires et n’aiment pas qu’on s’y immisce. C’est Gaby-je-sais-tout qui la ramene. Et je te dirai encore une chose avant de degager. Si tes reserves sont d’ordre moral – la bestialite, peut-etre ? –, alors, rassure-toi, l’ami. Tu n’es pas au courant ? Meme l’Eglise catholique a donne son accord. Tous les papes s’accordent : les Titanides ont une ame meme si ce sont des paiennes.
— Et si mon objection est d’ordre physique ? »
Gaby rit de bon c?ur en lui donnant une tape sur la joue. « Oh, mon garcon, mais c’est que tu nous reserves d’agreables surprises ! »
22. L’?il de l’Idole
La sub n’avait aucune envie d’interrompre sa beatitude post-coitale pour remorquer le radeau vers Minerve. Cirocco vint a la proue et tenta de la courtiser en un langage qui melait cris, toux et chuchotements d’asthmatique mais la lumiere du gros bathyzoote se fit de plus en plus faible a mesure qu’il plongeait vers les abysses. La saucisse qui aurait pu les aider quelque temps retourna vers ses affaires dans l’ouest. Les saucisses sont toujours pretes a vous prendre, a la seule condition que votre destination soit la leur.
Ce n’etait pas grave. Quelques heures plus tard, une brise s’etait levee de l’ouest. Bientot ils etaient a la base du cable vertical central de Rhea.
Robin l’etudia durant leur approche. Cirocco n’avait pas exagere. Minerve n’etait pas vraiment une ile. C’etait plutot une corniche, formee par l’accumulation des siecles durant de bernacloides, pseudo-patelles, crypto-coraux et autres equivalents gaiens des mollusques sessiles et des crustaces. Le probleme etait que le niveau des eaux etait bas – il n’avait en fait pas cesse de decroitre depuis un million d’annees a mesure que les cables s’etiraient et que Gaia s’elargissait lentement en vieillissant. Cela s’ajoutait aux basses eaux saisonnieres qui comprenaient un cycle court de dix-sept jours et un long, de trente ans. Ils etaient arrives a l’approche du creux de la longue fluctuation, si bien que le corps meme de cette « ile » ceinturait le cable a cinquante metres au-dessus du niveau de la mer. L’epaisseur de la corniche etait variable. Par endroits, elle debordait en surplomb de plus de cent metres ; ailleurs, la masse de sable et de coquillages s’etait effondree, soit sous l’action des vagues, soit sous son propre poids et le cable s’elevait verticalement. Mais aussi loin qu’elle put distinguer, Robin remarqua qu’il etait incruste de fossiles. Deux kilometres au-dessus d’elle se trouvaient les cadavres d’organismes qui avaient vecu durant le pliocene terrestre.
Elle se demanda comment ils comptaient amarrer la
La
Etrange rivage que celui-ci, adosse a la paroi verticale sans limites du cable. Des arbres squelettiques croissaient dans les depots de sable et pres du centre s’etendait un etang d’eau claire. La zone etait litteralement jonchee de bois fossilise blanc comme l’os.
« Nous resterons ici un jour ou deux », dit Hautbois en passant devant Robin avec un enorme fardeau de toiles de tente. « Ca va mieux ?
— Ca va, merci. » Elle sourit a la Titanide mais pour dire vrai, elle etait encore sous le coup de sa derniere crise d’epilepsie. Hautbois s’etait bien occupee d’elle : si elle ne l’avait pas contenue, elle se serait certainement blessee.
Elle tira le bras de Gaby qui passait a sa hauteur, lui emboita le pas.
« Pourquoi nous arretons-nous ici ?
— C’est le verger de Rhea », dit Gaby en faisant un large mouvement de bras. Mais la plaisanterie semblait forcee.
« En fait, Rocky a des choses a faire. Mieux vaudrait compter deux jours. Trois peut-etre. T’en as marre de nous ?
— Non. Simple curiosite. Je devrais ?
— Vaudrait mieux pas. Elle a quelque chose a faire et je ne peux pas te dire quoi. C’est pour notre bien, que tu le croies ou non. » Gaby se hata, retournant au radeau.
Robin s’assit sur une buche et regarda les Titanides et Chris installer le camp. Un mois plus tot, elle se serait forcee a se lever pour les aider. L’honneur l’aurait exige, car rester assise etait un aveu de faiblesse. Eh bien, tant pis, elle etait faible.
C’est Hautbois qu’elle devait remercier pour etre capable de s’avouer pareille chose. La Titanide lui avait chante tout du long de sa crise recente, en anglais comme en titanide. Elle n’avait pas laisse Robin ignorer son impuissance, l’avait forcee a commencer a chercher des moyens de l’affronter au-dela du simple cran. Lorsque Robin eut commence de reprendre ses moyens, elle s’apercut qu’elle etait incapable d’en vouloir a la Titanide pour ses paroles. Elle avait appris que Hautbois etait une guerisseuse. C’est-a-dire, a la fois, medecin, psychiatre, conseillere et consolatrice et sans doute encore d’autres choses. Robin avait l’impression que Hautbois lui aurait volontiers fait l’amour sur le mode frontal, celui de l’intimite, si cela avait pu aider. Quoi qu’elle ait fait, Hautbois avait procure a Robin une tranquillite d’esprit comme elle n’en avait pas connue depuis… elle etait incapable de se rappeler. Comme si elle avait surgi du sein de sa mere, prete a affronter l’univers entier.
Nasu s’agitait pour sortir. Robin ouvrit son sac et la laissa se tordre sur le sable ; elle ne risquait pas d’aller loin. Elle puisa dans sa poche un morceau de caramel dur emballe dans une feuille, l’eplucha et le suca. Le sable etait trop froid au gout de Nasu qui se lova autour de la cheville de Robin.
Cirocco etait debout pres du mur, seule, immobile et elle considerait une large fissure. Robin la suivit des yeux et vit qu’il s’agissait de l’espace entre deux brins du cable. Trois d’entre eux longeaient cette ile qui avait ete un brin elle-meme et faisaient de la petite baie un demi-cercle. Une faille identique separait le brin central de celui de gauche. Sous la mer, les brins se separaient en eventail. Elle se rememora l’image d’une montagne conique avec sa foret de brins dans Hyperion. Ici, l’espace entre chaque brin faisait au plus dix metres et il etait partiellement comble par des bernacles.
Elle vit Gaby revenir du radeau munie d’une lampe a huile. Gaby se hata vers Cirocco pour la lui donner. Elles se parlaient mais le bruit constant de la mer recouvrait leurs paroles avant qu’elles n’aient pu atteindre Robin. Cirocco ne disait pas grand-chose ; Gaby faisait les frais de la conversation, qui semblait animee. Elle n’avait pas l’air heureuse. Cirocco ne cessait de hocher la tete.
Gaby finit par renoncer. Elle resta face a Cirocco un moment. Puis les deux femmes s’etreignirent, Gaby debout sur la pointe des pieds pour embrasser sa vieille compagne. Cirocco la serra contre elle une fois encore puis elle penetra dans la faille entre les deux cables. La lumieres de sa lanterne resta visible un bref instant puis disparut.
Gaby marcha jusqu’au bout de l’anse circulaire, aussi loin que possible de tous les autres. Elle s’assit et mit