— Bien sur que si. » Haussement d’epaules. « Comme c’est bizarre. Je ne m’etais pas rendu compte, mais tu as une odeur differente. Pas vraiment desagreable mais differente. » Elle se detourna et plongea maladroitement en direction de la plage. Elle moulinait des bras et battait des jambes sans vraiment avancer et elle ne tarda pas a se redresser en recrachant de l’eau.
Chris se laissa couler jusqu’a ce que l’eau lui leche le menton. C’etait bien la premiere fois qu’il essuyait pareille rebuffade. Il savait bien qu’elle n’avait pas eu conscience de le repousser mais c’etait neanmoins deprimant.
« Je suis tombee dans le fleuve en arrivant ici », lui dit-elle tandis qu’ils pataugeaient dans les hauts-fonds pour regagner la plage. « J’ai fait quelque chose pour atteindre la rive parce que je savais que je n’avais pas le choix. Mais impossible de refaire pareil, a present.
— Probablement la distance n’etait-elle pas grande ou bien le courant t’a aidee.
— Tu peux me montrer, maintenant ?
— Plus tard, peut-etre. »
Sur la plage, il lui relanca le savon. Les pieds dans l’eau, elle se lava le bas du corps. Il l’observa, en souhaitant qu’il y eut plus de lumiere afin de mieux pouvoir distinguer ses tatouages. Brusquement, il decida qu’il valait mieux qu’il s’asseye.
« Qu’y a-t-il ?
— Rien.
— J’ai bien vu ce qu’il s’est passe. » Elle froncait les sourcils. « Ne me dis pas que tu croyais pouvoir…
— On appelle ca le reflexe galant, vu ? » Chris etait aussi embarrasse qu’embete. « Un reflexe. Je n’avais pas l’intention de te violer ou je ne sais quoi. Simplement, tu as l’air tres, tres chouette et… qui pourrait l’eviter ?
— Tu veux dire que rien qu’a me regarder…» Elle se couvrit d’une main et de l’avant-bras. Pour Chris, cela ne fit que la rendre plus mignonne que jamais. « Je n’avais pas saisi que c’etait ce que voulait dire ma mere ou bien j’avais pris cela pour une nouvelle erreur.
— Qu’est-ce que tu n’avais pas saisi ? Tu as l’air de nous croire vraiment differents. Je suis comme toi. Tu n’es pas excitee en voyant quelqu’un de sexuellement desirable ?
— Ben, naturellement, mais il ne m’etait pas venu a l’idee qu’un homme…
— Ne va pas chercher des differences aussi radicales. Nous avons des tas de choses en commun, que ca te plaise ou non. Les erections, les orgasmes…
— Je tacherai de ne pas l’oublier », dit-elle et elle lui lanca le savon, ramassa ses vetements et se depecha de remonter la Plage.
Chris etait desole d’avoir peut-etre tue une amitie naissante. Il l’aimait
Un peu plus tard, il se demanda si elle etait partie parce qu’elle etait fachee. Puis, en repensant a leur conversation, il s’apercut que le moment qu’elle avait choisi pour s’en aller Pouvait laisser place a une autre interpretation.
Il n’avait pas l’impression que Robin apprecie outre mesure l’idee qu’il soit comme elle. Ou, inversement, qu’elle soit comme lui.
Le radeau termine n’aurait pas gagne un prix de beaute dans un salon nautique mais c’etait une merveille rien que par sa taille, compte tenu du temps mis pour sa construction. Il glissa sur la rampe qui lui avait tenu lieu de cale de montage et toucha l’eau avec force eclaboussures. Chris se joignit aux vivats des Titanides. Robin criait, elle aussi. L’une et l’autre avaient mis la main pour les finitions. Les Titanides leur avaient montre comment manier la colle et les avaient laisse poser les planches du pont tandis qu’elles installaient les bastingages.
La place etait amplement suffisante pour les huit membres de l’expedition. Il y avait une petite cabine pres de la proue, assez vaste pour abriter tous les humains tandis qu’une bache pouvait en cas de pluie proteger les Titanides. A mi-longueur, un mat soutenait une voile de mylar argente, avec un minimum de haubanage. Un long gouvernail permettait de barrer. Juste devant le mat, un cercle de pierres rendait possible la cuisine sur le feu.
Gaby, Chris et Robin se reunirent pres de la passerelle d’embarquement tandis que les Titanides embarquaient les sacoches, les provisions reunies a proximite de la plage et des brassees de bois a bruler. Cirocco etait deja montee a bord et s’etait installee a l’avant, le regard perdu dans le vague.
« Elles veulent que je le baptise, expliqua Gaby a Robin. En quelque sorte, je me suis fait dans le coin une reputation de baptiseuse. J’ai bien fait remarquer que ce radeau ne nous servirait tout au plus que huit jours mais elles estiment que chaque navire doit avoir un nom.
— Cela me semble judicieux, dit Robin.
— Oh, tu crois ? Dans ce cas, baptise-le. »
Robin reflechit un moment puis dit enfin : «
— C’est parfait. En tout cas bien meilleur que pour le premier bateau sur lequel j’ai navigue ici[12]. »
Les premiers kilometres, il fut possible de propulser la
A ce moment, on fixa quatre avirons et les rameurs se relayerent comme des galeriens. C’etait encore plus dur qu’a la perche. Apres deux heures de nage, Robin fut prise d’une crise violente et dut etre emmenee dans la cabine.
Durant l’une de ses periodes de repos, Chris contourna la cabine et decouvrit que Cirocco avait abandonne son poste, sans doute pour dormir. Il s’allongea sur le dos et sentit ses muscles protester.
Le ciel nocturne de Rhea depassait tout ce qu’il avait pu imaginer.
Dans Hyperion, par temps clair, le ciel n’etait qu’une brume jaune uniforme d’une hauteur indefinissable. Il fallait suivre des yeux la courbure du cable central jusqu’a l’endroit ou, simple fil, il penetrait dans la fenetre d’Hyperion pour reperer avec precision ou se trouvait le ciel solide. Et meme alors, il fallait bien garder a l’esprit que ce cable avait cinq kilometres de diametre et n’etait pas ce mince fil que la perspective et l’illusion visuelle voulaient juste laisser voir.
Rhea etait different. En premier lieu, Chris etait beaucoup plus proche du cable vertical central qu’il ne l’avait ete de la grande colonne d’Hyperion. Ombre obscure qui jaillissait de la mer, il s’etrecissait rapidement tout en continuant de monter jusqu’a disparaitre totalement. De part et d’autre se trouvaient les verticaux nord et sud, improprement nommes car ils s’inclinaient vers le centre, quoique pas autant que les cables qui passaient derriere lui, vers l’ouest. Les cables s’evanouissaient a cause de l’obscurite mais surtout parce que Rhea n’etait pas surmonte de la voute d’une fenetre : Rhea vivait dans l’ombre de la vaste embouchure en forme de trompe connue sous le nom de Rayon de Rhea.
S’il n’avait pas eu connaissance de sa forme et de ses dimensions par des gravures, Chris n’aurait jamais pu discerner sa veritable geometrie. Tout ce qu’il pouvait en voir, c’etait un vaste ovale obscur loin au-dessus de lui. En realite, l’ouverture se trouvait a trois cents kilometres au-dessus de la mer. En bordure de cette bouche se trouvait une valve susceptible de se clore a la maniere d’un iris, ce qui isolait le rayon de la couronne. Elle etait presentement grande ouverte et Chris pouvait plonger le regard au sein d’un sombre cylindre aplati dont il savait que l’autre extremite se trouvait encore trois cents kilometres plus haut, la ou une nouvelle valve communiquait avec le moyeu. L’epaisseur de l’atmosphere ne lui permettait pas de voir aussi loin. Mais ce qu’il en distinguait ressemblait au canon d’un fusil qui aurait employe des asteroides en guise de plombs. Il etait braque droit sur lui mais la menace semblait tellement disproportionnee qu’il ne pouvait la prendre au serieux.
Il savait que du bord inferieur de la valve a la courbure de la fenetre d’Hyperion – une distance verticale d’environ cent kilometres – le rayon s’evasait comme le pavillon d’une trompette pour se raccorder a l’arche relativement fine qui formait le toit des regions diurnes entourant Rhea. Malgre ses efforts, il etait incapable de