resister.
Il resta parti pres de deux heures. Elle s’appretait a le ramener lorsqu’il revint de lui-meme, l’air eperdu. Tout le monde etait rassemble autour du feu : on finissait encore un repas plantureux. Gaby et Cirocco leverent un regard surpris lorsqu’il s’assit et se pencha vers le plat.
« Je croyais que tu etais dans ta tente, dit Cirocco.
— Moi aussi, dit Gaby avant de considerer Robin d’un air pensif. Mais maintenant que j’y repense, ce n’est pas exactement ce que Robin m’a raconte : elle s’est contentee de me le faire croire.
— Je suis desolee », dit Robin a l’adresse de Chris.
Il haussa les epaules puis parvint a sourire.
« Sur que tu m’as eu. Je me suis brusquement rappele une chose que tu m’avais racontee ; a propos du gout des sorcieres pour la galejade. »
Elle etait heureuse de voir qu’il n’etait pas amer. Il etait chagrine, c’etait inevitable, mais apparemment, les humains terrestres se sentaient, a l’instar des sorcieres, obliges de faire bonne figure devant une amicale plaisanterie. C’etait du moins le cas pour Chris.
On reconstitua l’histoire graduellement : Robin ne pouvait honorablement s’en vanter et Chris n’etait pas presse d’admettre sa credulite. Tandis qu’elle s’expliquait, Hautbois jeta un coup d’?il a Robin en lui faisant un signe d’avertissement : elle n’avait cesse d’observer Cirocco avec attention. A son brusque signal, Robin bondit au-dessus du rocher sur lequel elle etait assise et detala en courant.
« Un poulet geant ! rugit Cirocco. Un poulet geant ? Je vais t’en servir, moi, du poulet geant. Tu ne pourras plus t’asseoir d’un mois ! »
Cirocco avait les foulees les plus longues, Robin les mouvements les plus vifs. On ne sut jamais si la Sorciere aurait pu la rattraper, toutefois, car tout le monde se joignit a la chasse et bientot on acculait une Robin qui riait de maniere hysterique. Elle se debattit avec energie mais il ne fut pas difficile de la jeter dans le fleuve.
Le lendemain, ils recueillirent un auto-stoppeur. C’etait le premier humain qu’ils voyaient depuis leur depart d’Hyperion. Un petit homme nu a la barbe noire et fournie. Il les hela depuis la berge puis nagea jusqu’au canoe de Cirocco lorsqu’elle lui eut accorde la permission d’embarquer. Chris fit approcher son bateau pour le voir de plus pres. A voir sa peau flasque, pale et ridee, il devait avoir la soixantaine. Il s’exprimait dans un anglais argotique et hache, avec un accent chantonnant de titanide. Il les invita a manger dans la colonie ou il vivait et Cirocco accepta l’offre pour le groupe.
L’endroit s’appelait Brazelton ; il consistait en plusieurs domes au milieu d’une zone de champs cultives. Tandis qu’ils abordaient, Chris put observer un homme nu derriere une charrue tiree par un attelage de Titanides.
Il y avait une vingtaine de Brazeltoniens. C’etaient des nudistes par religion. Tout le monde portait la barbe, les hommes comme les femmes. Sur Terre, la pilosite faciale pour les femmes avait ete plus d’une fois a la mode au XXIe siecle. C’etait rare aujourd’hui mais la vision d’une femme a barbe rappelait a Chris sa propre enfance, du temps ou sa mere avait elle-meme porte un petit bouc. Il ne detestait pas.
Gaby ne connaissait pas grand-chose sur cette colonie mais lui dit que le groupe pratiquait l’inceste. L’homme qu’ils avaient recueilli s’appelait Papy et ce n’etait pas un surnom : D’autres avaient des noms du genre de Mere 2 ou Fils 3. Il y avait une arriere-mamie mais aucun male de sa generation. A mesure que naissaient les enfants, chacun empruntait un nom different.
Robin jugeait la coutume des plus bizarres et Chris l’entendit le dire a Gaby.
« Je suis bien d’accord, repondit celle-ci, mais ils ne sont pas plus lunatiques qu’un tas d’autres petits groupes d’exiles essaimes dans tout Gaia. Et tu ferais bien de te rappeler que ton propre Covent a du paraitre passablement bizarre a son origine. Et, bon sang, meme aujourd’hui, si on s’avisait de demander l’opinion d’un Terrien. Tes meres etaient parties pour le triangle des Bermudes ; aujourd’hui, c’est ici que viennent les marginaux, s’ils sont assez peu nombreux pour obtenir l’agrement de Gaia. »
Les coutumes de ce groupe n’etaient pas leur trait le plus etrange : Il y avait parmi eux quelques individus bizarres. C’est ainsi que Chris eut l’occasion de voir ses premiers hybrides humain-Titanide. Une femme, par ailleurs sans trait remarquable, avait les longues oreilles d’une Titanide et une queue glabre qui lui descendait jusqu’aux genoux. Il y avait deux Titanides munies de jambes et de pieds humains. Quand il les vit, Chris avait eu suffisamment le temps de s’accoutumer aux jambes titanides pour trouver que c’etaient les hybrides qui etaient difformes.
Il s’en ouvrit a Cirocco mais ses connaissances en genetique etaient insuffisantes pour lui permettre de comprendre ce qu’elle lui expliqua. Il la soupconna de ne pas en savoir peut-etre autant qu’elle le laissait entendre. Le fait est que Gaia n’avait autorise aucune recherche humaine sur les genes titanides ni laisse aucun hybride quitter la roue. Comment deux animaux aussi dissemblables pouvaient se croiser avec succes demeurait un mystere.
Inglesina etait une ile basse de huit kilometres sur trois, situee dans les marches orientales de Crios, pres de Phebe, la Mer du Crepuscule. Pres de son centre se trouvait un cercle parfait d’arbres soigneusement entretenus, d’un diametre de deux kilometres. La zone exterieure au cercle etait entierement recouverte par les tentes des celebrants.
On gagnait l’ile par six larges ponts de bois, presentement decores de rubans et de bannieres. Au nord et au sud, des appontements permettaient aux larges barges titanides d’accoster. A proximite se trouvaient des plages ou pouvaient atterrir les navires de taille plus modeste. Le fleuve en etait recouvert : les Titanides criontes passaient plus de temps sur l’eau que leurs cousines d’Hyperion. Il en arrivait largement autant par la voie des eaux que par les routes terrestres.
Ils resteraient la les deux hectorevs traditionnels – neuf jours terrestres. Valiha planta pour Chris une tente derriere la toile blanche et legere reservee a la Sorciere ; les tentes de Robin et de Gaby furent montees a cote de la sienne. Il sortit faire un tour des festivites.
Les Criontes etaient surement aussi hospitalieres que l’avaient ete les Hyperionites mais Chris avait du mal a y prendre plaisir. Il craignait toujours de tomber sur Siilihi. Il avait l’obsedante impression que le recit de sa tentative de viol avait circule partout, que tout le monde le connaissait et que chacun avait pris ses dispositions dans l’eventualite d’une recidive de sa part. Personne ne parlait ou ne se comportait de maniere a justifier ses craintes, nul n’etait moins que completement amical. C’etait a n’en pas douter sa peur qui parlait, et celle de nul autre ; mais le savoir ne l’aidait guere. Il restait sur la reserve et n’y pouvait rien.
Robin continuait de passer de nombreuses nuits avec lui, bien qu’on eut maintenant remplace sa tente perdue. Il n’etait pas sur de comprendre pourquoi elle agissait ainsi. Il appreciait sa compagnie mais c’etait parfois delicat. Elle prenait soin de ne pas se devetir devant lui depuis sa decouverte sur la plage de Nox. Cela l’ennuyait car ses efforts pour rester pudique lorsqu’ils partageaient une tente soulignaient son indisponibilite. Plus d’une fois il songea a lui demander de partir. Puis il se dit qu’elle voulait ainsi lui prouver qu’elle n’avait pas peur et que donc elle le considerait comme un ami. C’etait un geste qu’il n’avait aucune envie de decourager tant et si bien qu’il passait la nuit a se tourner et a se retourner tandis qu’elle dormait comme un ange.
La cinquieme nuit, ce fut pis que jamais : impossible de dormir, malgre tous ses efforts. Les mains croisees derriere la tete, il contemplait la pale lumiere qui filtrait par le toit de la tente tout en broyant des idees noires. Demain, il la foutrait dehors, d’une maniere ou de l’autre. Il y avait des limites.
« Qu’est-ce qui ne va pas ? »
Il la regarda, surpris de decouvrir qu’elle ne dormait pas.
« Peux pas dormir.
— Qu’est-ce qu’il y a ? »
Il leva les bras, chercha ses mots puis se dit : « Au diable la pudibonderie. »
« J’ai la trique. On reste trop longtemps sans faire l’amour, on est entoure a longueur de journee par des femmes seduisantes… ca s’accumule, voila tout.