A peine avait-elle ouvert les robinets et recu une giclee glaciale qu’un puissant coup de belier se fit entendre et que les douches se tarirent. Sa voisine maugrea. Robin sauta apres la pomme qu’elle agrippa desesperement en la tordant comme le cou d’un volatile. Puis elle la lacha et se mit a hurler. Sa compagne la rejoignit puis au bout du compte la troisieme femme egalement. Robin y allait de bon c?ur, essayant, comme dans tous ses actes, de surpasser toutes les autres. Elles ne tarderent pas a tousser et a s’etrangler et Robin se rendit compte que quelqu’un etait en train de l’appeler.

« Ouais, qu’est-ce que c’est ? » Une femme qu’elle connaissait vaguement – son nom etait peut-etre Zynda – etait appuyee au chambranle.

« La navette vient de porter une lettre pour toi. »

Robin en resta bouche bee, completement confondue. Le courrier etait chose rare au Covent dont tous les membres confondus ne devaient pas connaitre plus de cent personnes a l’exterieur. En general il s’agissait de colis de vente par correspondance expedies en majorite depuis la Lune. Ce ne pouvait etre qu’une seule chose.

Elle piqua un sprint vers la porte.

* * *

C’etait la nervosite et non la maladie qui faisait trembler ses mains tandis qu’elle s’emparait de la fine enveloppe blanche. Le tampon sur le timbre figurant un kangourou indiquait Sydney et le pli etait adresse a « Robin-neuf-doigts, le Covent, Lagrange Deux ». L’adresse de l’expediteur etait imprimee : « Ambassade de Gaia, Ancien Opera, Sydney, Nouvelles-Galles du Sud, Australie, AS 109-348, Indopacifique. »

La lettre avait ete ecrite plus d’un an auparavant.

Elle parvint a l’ouvrir et a la deplier, et lut :

« Chere Robin,

« Desole d’avoir ete si long a vous repondre.

« Votre requete m’a touche, mais je ne devrais peut-etre pas le dire puisque vous indiquez clairement dans votre lettre que vous ne cherchez pas a provoquer la pitie. C’est aussi bien car Gaia n’offre jamais ses soins gratuitement.

« Gaia m’a informe de son desir de voir des emissaires des religions terrestres. Elle mentionnait un groupe de sorcieres en orbite. Cela semblait incongru et voila que votre lettre arrive, presque comme si quelque providence divine etait intervenue. Peut-etre votre divinite y est-elle pour quelque chose ; a y reflechir, j’en suis certain en ce qui concerne la mienne.

« Je vous engage a prendre le premier moyen de transport disponible. Repondez-moi si vous le voulez bien pour m’indiquer vos dispositions.

« Sincerement votre,

« Didjeridu (Duo hypoeolien) Fugue Ambassadeur. »

* * *

« Billea m’a dit que Nasu a mange son demon.

— Ce n’etait pas encore son demon, M’man. Juste un chaton. Et elle ne l’a pas mange. Elle l’a etouffe. Il etait trop gros a manger. »

Robin se depechait. Son sac de toile etait pose a moitie rempli sur la couchette et elle fourrageait dans les tiroirs de sa commode, jetant de droite et de gauche les articles indesirables, empilant dans un coin pres de sa mere les objets qu’elle comptait emporter.

« En tout cas, son chaton est mort. Billea veut un dedommagement.

— Je dirai que c’etait mon chat.

— Enfant ! » Robin reconnut ce ton : Constance etait la seule a pouvoir encore l’employer avec elle.

« Je ne parlais pas serieusement, conceda Robin. Occupe-toi de ca, veux-tu ? Donne-lui ce qu’elle veut parmi mes affaires.

— Attends voir un peu. Qu’est-ce que tu emportes la ?

— Ca ? » Robin se tourna en serrant le chemisier contre elle.

« Ce n’est qu’une demi-chemise, mon enfant. Range-la.

— Bien sur que c’en est une demie. Toutes mes affaires sont pratiquement comme ca, M’man. Est-ce que tu oublierais ton sacrement du sang ? » Et elle tendit son bras gauche sur lequel le tatouage d’un serpent s’enroulait du medius jusqu’a l’epaule.

« Tu ne crois pas que je vais aller sur Gaia sans le montrer » non ?

— Mais cela denude tes seins, mon enfant. Approche-toi. Il faut que nous discutions de certaines choses.

— Mais, M’man, je suis tres pres…

— Assieds-toi. » Elle donna une tape sur le lit. Robin traina les pieds mais elle s’assit. Constance attendit pour etre sure d’avoir toute son attention puis elle etreignit sa fille. Constance etait une grosse femme brune. Robin etait petite, meme pour le Covent. Pieds nus, elle atteignait un metre quarante-cinq pour un poids de trente-cinq kilos. Elle tenait bien peu de sa mere. Elle avait les traits et les cheveux de son pere anonyme.

« Robin, commenca Constance. Je n’avais jusqu’a present pas eu besoin de te parler de ces choses mais il le faut bien maintenant. Tu t’appretes a partir pour un monde fort different du notre. Il y a la-bas des creatures qu’on appelle des hommes. Elles sont… pas du tout comme nous. Entre leurs jambes se trouve…

— M’man, je sais deja tout ca. » Robin tenta de se degager de l’etreinte de sa mere. L’air absent, Constance lui serra l’epaule. Elle considera sa fille d’un air curieux.

« En es-tu sure ?

— J’ai vu une image. Je ne vois vraiment pas comment ils peuvent parvenir a faire entrer ca si on n’en a pas envie. »

Constance opina : « Moi-meme, je me suis souvent pose la question. » Elle detourna les yeux quelques instants, toussa nerveusement. « Mais qu’importe. Ce qu’il y a de vrai, c’est que la vie a l’exterieur est entierement fondee sur les desirs de ces hommes. Ils ne songent a rien d’autre qu’a inserer en toi leur penis. La chose grossit et peut atteindre la grosseur de ton avant-bras et le double en diametre. Ils te frappent sur la tete et te trainent dans une impasse… ou, j’imagine, dans une piece vide, enfin, bon, quelque chose comme ca. » Elle fronca les sourcils puis enchaina rapidement :

« Tu ne dois jamais leur tourner le dos, sinon ils te violent. Et ils peuvent t’occasionner des dommages irreparables. Sou-viens-toi simplement de ceci : tu n’es plus a la maison mais dehors, dans un monde de sauteurs. Ce sont tous des sauteurs ; tout le monde la saute, les hommes comme les femmes.

— J’m’en souviendrai, M’man.

— Et promets-moi de toujours couvrir tes seins et de porter des culottes en public.

— Ben, je suppose que j’en porterais de toute facon, au milieu d’etrangeres. » Elle eut un froncement de sourcils : cette idee d’etrangere ne lui etait pas familiere. Sans pour autant connaitre par leur nom toutes ses congeneres du Covent, elles etaient par definition toutes ses s?urs. Elle s’etait bien attendue a trouver des hommes dans Gaia mais certainement pas des femmes sauteuses. Quelle idee bizarre.

« Promets-moi.

— C’est promis, M’man. » Robin fut surprise de la force avec laquelle sa mere l’etreignit. Elles s’embrasserent puis Constance quitta la chambre en hate.

Robin contempla quelques instants le seuil desert. Puis elle se detourna et finit ses bagages.

5. Prince Charmant

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