Chris avait suivi le conseil de l’Ambassadrice titanide et lu quelques ouvrages sur Gaia avant d’embarquer sur le vaisseau qui l’y conduirait. Il n’etait pas stupide mais l’organisation n’etait pas son fort : il avait si souvent vu ses plans reduits a neant par des crises de folie qu’il avait perdu l’habitude d’en faire.

Il decouvrit que Gaia etait loin d’etre en tete sur la liste des endroits a visiter dans le systeme solaire. Il y avait a cela de nombreuses raisons, depuis les procedures douanieres deshumanisantes jusqu’a l’absence de liaison en premiere classe. Il trouva une statistique interessante : cent cinquante personnes en moyenne debarquaient a Gaia tous les jours. En repartait un nombre legerement inferieur. Une partie de la difference correspondait a ceux qui restaient. L’emigration etait informelle et Gaia possedait une colonie humaine de quelques milliers de personnes. Mais une autre partie correspondait aux pertes.

Gaia avait tendance a attirer les jeunes et les intrepides. Y venaient des hommes et des femmes lasses de l’uniformite terrestre. Ils arrivaient souvent a la fin d’un circuit des etablissements humains dans le systeme solaire ou ils avaient pu decouvrir toujours la meme chose, mais sous des domes pressurises. Gaia offrait un climat terrestre. Ce qui signifiait l’absence de contraintes telles qu’on les trouvait sur des planetes plus hostiles, et un espace vital desormais impossible a trouver sur Terre.

Il apprit des tas de choses sur les Titans en general et sur les enfants de Gaia pres d’Ouranos – qui n’admettaient uniquement que les scientifiques accredites et parlaient avec condescendance de Gaia, le Titan toque. Il etudia la structure physique de Gaia, consulta des cartes de son interieur. C’etait une roue creuse en rotation munie de six rayons creux egalement. Meme pour des humains eleves dans les colonies spatiales des points de Lagrange, ses dimensions defiaient l’imagination. Son rayon etait de 650 kilometres, son perimetre de 6000. L’espace habitable de la couronne affectait la forme d’un tube creux de 250 kilometres sur 200 en hauteur. Entre chacun des six rayons se developpait un miroir plat incline de maniere a deflechir la lumiere solaire vers les fenetres transparentes qui garnissaient le toit, si bien qu’une partie de la couronne etait en permanence eclairee tandis que les zones situees sous les rayons etaient plongees dans une perpetuelle obscurite. Gaia etait habitable sur tout son pourtour ; jusqu’aux rayons qui abritaient la vie, agrippee aux flancs de cylindres hauts de 400 kilometres. Les cartes de Gaia etaient peu maniables car seize fois plus longues d’est en ouest que du nord au sud. Pour les consulter convenablement, il etait necessaire d’en raccorder les extremites pour en faire une boucle, poser le tout sur la tranche et s’asseoir au milieu.

Il etait content d’y avoir passe son temps, car Gaia etait pratiquement invisible depuis l’espace. Meme en s’entassant avec les autres aux hublots du vaisseau, tandis que celui-ci etait happe par les filaments d’abordage, il ne pouvait distinguer grand-chose. A l’exception des miroirs deflecteurs, la surface exterieure etait noir mat afin d’absorber le mieux possible la lumiere disponible.

* * *

Il avait donc fait ses devoirs et ne s’attendait a aucune surprise. Il apparut qu’il n’en restait qu’une seule ; mais ce fut un desastre.

Comme prevu, son groupe fut reuni avec les autres arrivages de touristes de la journee pour commencer leurs quarante-huit heures de quarantaine et de decontamination. Ces procedures expliquaient en partie pourquoi Gaia n’attirait ni les riches ni les oisifs. Les operations tenaient a la fois de l’hopital, d’Ellis Island[6] et d’Auschwitz. Des officiers d’immigration en uniforme demanderent a tout le monde de se debarrasser de tout vetement et objet personnel. Y compris, dans le cas de Chris, ses medicaments. Ses protestations ne rencontrerent qu’un refus definitif. Aucune exception n’etait toleree en aucune circonstance et s’il ne souhaitait pas se dessaisir de ses pilules il etait libre de retourner sur Terre immediatement.

La decontamination etait une affaire serieuse, et conduite avec une deshumanisante efficacite. Les corps nus, sans distinction de sexe, etaient embarques sur des tapis roulants qui les menaient d’un poste a l’autre. On les lavait et on les irradiait. Il fallait prendre des emetiques et des diuretiques, subir des lavements. Apres une periode d’attente, l’ensemble du processus etait reconduit. Les employes ne faisaient aucune concession a l’intimite : tous les examens etaient menes dans d’immenses salles blanches meublees de tables par douzaines, ou s’entassait et pietinait une foule de gens nus. Tout le monde dormait dans une salle commune et mangeait une nourriture insipide servie sur des plateaux d’acier.

Chris ne s’etait jamais senti a l’aise nu, meme en la compagnie d’autres hommes. Il avait quelque chose a cacher. Alors que ce n’etait certainement pas visible sur son corps, il eprouvait une crainte irraisonnee de voir exhibee sa difference s’il otait son armure de vetements. Il evitait les situations ou la nudite etait une coutume sociale. Le resultat etait qu’il attirait finalement les regards : dans un ocean de peaux noires, brunes et bronzees, il etait aussi blanc que du lait.

L’attaque vint des le debut du premier jour. Le principe actif des pilules n’etait pas en cause car il devait encore etre present dans son sang. Mais l’effet placebo avait disparu. Meme si sa condition n’etait pas psychologique, elle etait en fait desormais encore plus complexe : il etait sujet a de l’anxiete provoquee par son inquietude concernant ce probleme psycho chimique et le point critique etait que cette crise d’anxiete pouvait declencher l’attaque proprement dite. Lorsqu’il sentit ses paumes et sa nuque devenir moites, il comprit que la crise etait proche.

Il ne tarda pas a ressentir des distorsions visuelles accompagnees d’une augmentation de son acuite auditive. Il lui fallait a chaque instant se persuader que tout demeurait normal, qu’il n’etait pas au bord de l’infarctus, que les gens ne riaient pas de lui, qu’il n’etait pas en train de mourir d’une tumeur au cerveau. Ses pieds etaient devenus des objets froids, pales et distants. Tout etait devenu une charade complexe dans laquelle il lui fallait jouer son role, faire semblant d’etre normal alors que tout le monde savait pertinemment le contraire. C’etait franchement marrant. Il fit semblant de rire. Puis il fit semblant de pleurer, riant en secret et sachant qu’il pouvait a tout moment cesser de pleurer ; et c’est a cet instant qu’un homme lui tapa sur l’epaule : Chris lui ecrasa le poing sur le nez.

Apres ca, il se sentit mieux. Il rit en voyant l’homme tenter de se relever. Ils etaient dans les douches – il songea qu’ils y passaient le plus clair de leur temps, ce qui le laissa quelque peu perplexe. Mais cette contrariete disparut. L’homme sur le sol poussait des cris mais Chris s’en fichait completement. Il etait beaucoup plus interesse par l’erection qu’il commencait a ressentir. Il se dit que c’etait vraiment chouette et savait que toutes les femmes seraient d’accord avec lui. Il entendit un plouf derriere lui, se tourna et vit que l’homme qu’il avait frappe etait retombe par terre. En essayant de lui envoyer un crochet par-derriere, cette espece d’abruti avait glisse dans une flaque d’eau.

Il se sentait une envie de baiser. N’importe quoi, n’importe qui. Un desir qui n’avait rien d’obsessionnel : on aurait pu sans difficulte le divertir de son projet. Mais l’idee lui semblait marrante.

« Qui veut baiser ? » gueula-t-il. Une grande partie des occupants des douches se tournerent vers lui. Il ouvrit les bras, pour faire partager son ravissement. Quelques rires jaillirent. La plupart des gens detournerent leur regard. Cela ne le troubla pas.

Une blonde sculpturale croisa son regard. Il l’aima instantanement depuis les longs cheveux humides qui lui cascadaient dans le dos jusqu’a la fine courbure de son mollet. Il s’approcha d’elle et vint presser contre sa cuisse son amoureux hommage. Elle baissa les yeux, les releva rapidement, rencontra son sourire epanoui et lui flanqua sa main savonneuse sur la figure.

Il lui ecrasa la main sur le visage et poussa. Elle tomba par terre avec un bruit mou de fesses et un claquement de dents, trop ebaubie pour tenter de parer le coup de pied qu’il lui adressait mais, en fait, le coup ne porta pas car un homme avait saisi Chris par le bras et le retournait vers lui : tous deux glisserent et churent dans une grande confusion. Mais deja de nombreux hommes arrivaient de partout pour defendre la blonde. La situation devint tres embrouillee.

Chris s’en foutait. A vrai dire, des le debut du pugilat il s’etait retrouve sur les bords si bien qu’il se joignit a la majorite des gens pour fuir au plus vite le lieu du combat. En fin de compte tout le monde s’ecrasa contre un mur tandis que les pommes de douche continuaient de deverser leur eau chaude sur des metres carres de peau nue en majorite feminine. Chris embrassait ses voisines au hasard et il ne tarda pas a recevoir un sourire en reponse. La femme etait petite et brune, ce qui etait super parce qu’il en avait soupe des grosses blondes, et elle gloussa lorsqu’il la mit sur son epaule pour l’emporter vers les grands dortoirs deserts et la jeter sur une couchette. Ils ne tarderent pas a forniquer joyeusement.

Et ce n’etait vraiment pas juste, c’etait meme une terrible injustice parce qu’il se sentait capable de continuer toute la journee sauf que cette fasciste d’employee se pointa et leur dit qu’ils devaient se rendre dans la

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