que, depuis le debut, j’avais toujours soupconnee : C’etait Gaia qui lui avait dit que je devais etre tuee et Cirocco epargnee. C’est pourquoi, lorsque Psalterion est mort, je n’ai pu m’empecher de gueuler contre elle. Elle a du m’entendre et dire a Gene de poursuivre ses efforts. Elle lui a procure une source de napalm et des explosifs.

— Gene etait aussi derriere cette attaque ?

— Tu te rappelles comment ca s’est passe ? Chris a vu le bombourdon et m’a desarconne de Psalterion. S’il ne l’avait pas fait, on etait morts tous les deux. Apres cela, Gene se voyait contraint de faire semblant de nous attaquer tous parce qu’il fallait absolument que Rocky continue d’ignorer qu’ils n’en voulaient qu’a moi seule. » Elle toussa encore puis, saisissant Chris par le col, elle se hissa en faisant preuve d’une force hysterique. « Voila ce que tu devras dire a Rocky lorsqu’elle sera parvenue ici. Il faut qu’elle sache que c’est Gaia qui est derriere tout ca. Si je suis endormie lorsqu’elle arrive, dis-le-lui, toutes affaires cessantes. Promets-moi de le faire. Si je delire ou si je suis trop faible pour parler, tu dois le faire a ma place.

— Je lui dirai, c’est promis », dit Chris. Il lorgna Robin ; il pensait qu’elle delirait deja et Robin opina. Cirocco etait probablement morte et meme si ce n’etait pas le cas, il y avait peu de chances qu’elle eut pu deplacer la montagne de caillasse qui obstruait l’acces de l’escalier au-dessus d’eux.

« Vous ne comprenez pas, reprit Gaby en se laissant retomber. Fort bien. Je vais vous dire ce que nous preparions reellement tout en faisant semblant de vous balader gentiment dans les bois.

« Nous complotions pour renverser Gaia. »

* * *

Ce qu’avaient fait Gaby et Cirocco tenait plus du recensement des moyens disponibles que d’un complot a proprement parler. Ni l’une ni l’autre n’etait certaine qu’il fut physiquement possible de renverser Gaia ou qu’on put effectivement se debarrasser de la creature portant ce nom sans en meme temps detruire Gaia le corps, corps dont dependait la survie d’eux tous.

Comme c’etait souvent le cas en Gaia, la situation trouvait son origine dans des evenements fort lointains. Gaby avait senti la demangeaison du changement au moins trente ans plus tot. Assise a ses cotes dans l’ombre papillotante, Robin l’ecouta raconter des choses qu’elle n’avait confiees a nulle autre qu’a Cirocco.

« Rocky ne voulut meme pas en entendre parler pendant un bon bout de temps. Je ne lui en fais pas reproche. Elle avait plus d’une raison de se satisfaire du statu quo. Moi aussi, d’ailleurs. Je ne trouvais pas si terrible que ca l’existence en Gaia : de temps a autre, je trouvais bien quelque chose de desagreable mais, que diantre, c’etait bien pire sur la Terre. L’univers est injuste et il est moche, qu’il soit ou non regente par un Dieu vivant. Je crois honnetement que si le Dieu des chretiens existait, je le hairais plus encore que Gaia. Et elle ne fait meme pas partie de son equipe.

« Malgre tout, le simple fait de pouvoir parler a cette divinite-la, parce qu’elle etait la en personne, de lui avoir parle et de la savoir responsable, de savoir que chaque injustice et chaque mort gratuite etait le resultat d’une decision consciente… voila qui rendait la chose encore plus dure a admettre. Pour moi, le cancer est une chose acceptable si j’ai l’impression qu’il s’est developpe comme ca et non que quelqu’un l’a invente pour l’infliger ensuite aux gens. Sur Terre, c’est ainsi que ca se passait : quand se produisait un seisme, on souffrait, on pansait ses blessures et on ramassait les morceaux en attendant ce que l’univers allait bien pouvoir vous balancer la fois suivante.

« On n’invectivait pas Dieu pour autant – du moins parmi la majorite des gens que je frequentais.

« Mais si jamais le gouvernement faisait voter une loi qui ne plaisait pas, on faisait un foin du diable. Soit en essayant de foutre ces salauds a la porte lors de l’election suivante, soit en s’organisant pour leur oter le pouvoir par d’autres moyens. Parce que ces injustices venaient des hommes et non d’un cosmos indifferent, on avait l’impression de pouvoir y faire quelque chose.

« Il me fallut longtemps pour comprendre que c’etait ici la meme chose mais j’ai fini par y arriver : l’obstacle venait de ce qu’on assimile Gaia a un dieu – et, que vous me croyiez ou non, c’est bien ce que j’ai fait pendant un bout de temps ; les points communs sont si nombreux. Mais elle, elle n’opere pas par magie. Tous ses actes sont, en theorie, a la portee de creatures de notre espece. Si bien qu’a la longue, je finis par considerer Gaia non comme une divinite mais plutot comme une notabilite. Et, bon sang, je crois bien que je ne peux me retenir de combattre les notables. »

Elle dut s’interrompre, prise d’une quinte de toux. Robin porta l’outre a ses levres ; elle y but puis, penchant la tete, des larmes plein les yeux, elle constata :

« Vous voyez ou ca m’a menee. »

Valiha lui epongea doucement le front.

« Vous devriez vous reposer maintenant, Gaby. Il faut economiser vos forces.

— Je vais me reposer. Je veux juste savoir d’abord. »

Sa respiration se fit pesante puis Robin vit ses yeux s’agrandir. Elle essaya de se relever mais Valiha la retint couchee en evitant soigneusement de toucher la peau brulee. Robin vit la comprehension gagner peu a peu l’autre femme tandis que son regard errait de l’une a l’autre. Lorsqu’elle reparla, ce fut d’une voix d’enfant :

« Je vais mourir maintenant, n’est-ce pas ?

— Non, tu devrais juste…

— Oui », coupa Valiha avec cette franchise des Titanides face a la mort. « Il ne reste desormais que bien peu d’espoir. »

Gaby inspira avec un sanglot etrangle.

« Je ne veux pas mourir », gemit-elle. A nouveau, elle essayait de s’asseoir. Elle se debattit avec une energie decuplee par l’hysterie. « Je ne suis pas encore prete. S’il vous plait, ne me laissez pas mourir ! Je veux pas mourir ! Je… je veux pas… ne me laissez pas mourir ! » Elle cessa soudainement de resister et s’effondra. Elle pleura des larmes ameres un long moment ; si long que lorsqu’elle voulut parler a nouveau, son debit etait hache et presque incomprehensible. Robin se pencha pour coller l’oreille tout contre sa bouche.

« Je veux pas… mourir », disait Gaby. Et bien plus tard, alors que Robin avait espere qu’elle dormait, elle dit : « Je ne savais pas que ca pouvait faire aussi mal. »

Finalement, elle s’endormit.

* * *

Il avait pu s’ecouler huit heures lorsqu’elle parla a nouveau. Ou bien seize. Robin l’ignorait. Personne ne s’etait attendu a la voir jamais se reveiller.

Durant les quelques heures qui suivirent, elle leur raconta le reste de l’histoire. Ses forces avaient decru de maniere alarmante : a peine etait-elle encore capable de lever la tete pour avaler les gorgees d’eau qu’il lui fallait de plus en plus souvent absorber si elle voulait simplement etre en etat de parler. Elle avait inhale des flammes. Ses poumons s’engorgeaient et sa respiration devenait gargouillante. Elle divaguait au seuil du reve, parlait a sa mere et a d’autres gens, morts sans doute depuis longtemps ; elle reclamait souvent Cirocco. Mais sans cesse, elle revenait au recit de son heresie personnelle, de cette mission donquichottesque a l’issue fatale : renverser le pouvoir arbitraire aux mains duquel se trouvaient son existence et celle de tous ceux qui lui etaient chers.

Elle leur parla d’injustices petites et grandes et souvent c’etaient les petites choses, les injustices au niveau individuel qui pesaient plus que les grands maux. Elle leur parla de l’institution des epreuves, des quetes et de son degout croissant a mesure que passaient les annees et qu’elle voyait tous ces malheureux pousses a lutter et mourir pour le bon Plaisir d’un dieu blase par des passions plus modestes. Elle leur detailla la plaisanterie cruelle de la Sorciere et des titanides et parcourut l’inventaire des jouets macabres de Gaia : une liste aussi longue qu’infame qui trouvait son couronnement avec les immondes bombourdons.

A un moment, elle avait ose se demander si les choses devaient bien etre ainsi. Et cette pensee l’avait inexorablement conduite a chercher une eventuelle solution de remplacement. Au debut, elle ne pouvait en parler a personne, pas meme a Cirocco. Plus tard, lorsque Cirocco eut soudain trouve matiere a protester contre les machinations de Gaia, elle avait aborde le sujet avec precaution, s’etait vu rabrouer et avait prefere laisser les choses se tasser quelque temps. Mais Cirocco avait fait montre d’un interet croissant. Au debut, c’etait simplement un probleme d’ecole : quelque chose, ou quelqu’un, pouvait-il se substituer a Gaia ? Et si oui, quoi ?

Elles en discuterent et eliminerent les ordinateurs terrestres ; aucun n’avait la capacite ou la complexite

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