— Appelle-moi Larry. Il vaudrait mieux la laisser reposer pour l’instant. Elle s’eveillera d’elle-meme mais je ne promets pas qu’elle ait toute sa tete. Elle a une forte fievre.

— Il est tres important que je puisse lui parler. Les autres pourraient etre en danger.

— J’entends bien. Laissons-lui encore quelques heures et je verrai ce que je peux faire. »

Cirocco ne savait guere attendre. Certes, elle n’arpentait pas la piece, elle ne bavardait pas ; en fait elle demeura immobile et silencieuse sur sa chaise. Mais son impatience envahissait la piece, empechant Trini de se detendre. Larry, lui, savait attendre : il trompait le temps en bouquinant l’un des livres que Trini avait termines pendant sa longue garde.

Trini avait toujours aime faire la cuisine et le refuge etait rempli de vivres qu’elle n’aurait aucune chance d’epuiser. Robin n’avait pas ete capable d’absorber plus que quelques gorgees de potage. Pour s’occuper, elle leur prepara des ?ufs, du bacon et des crepes. Larry leur fit honneur mais Cirocco les repoussa d’un geste.

« Thea ! » s’exclama-t-elle a un moment, ce qui lui attira les regards des autres. « Qu’est-ce que je raconte, Thea ! Comment diable ont-ils pu aller plus loin que Tethys ? »

Ils attendirent la suite mais ce fut tout. Larry replongea dans son bouquin et Trini recommenca son rangement pour la dix-septieme fois. Sur sa couchette, Robin reposait paisiblement.

* * *

Lorsque Robin gemit, Cirocco fut en un instant a ses cotes, suivie de pres par Larry. Trini, qui regardait de derriere, dut se reculer precipitamment quand Cirocco s’ecarta pour laisser Larry prendre le pouls de la patiente.

Robin ouvrit les yeux lorsque Larry lui toucha le bras, tenta de se degager puis cligna lentement des paupieres. Quelque chose dans la voix de Larry l’apaisait. Elle le regarda puis regarda Cirocco. Elle ne pouvait distinguer Trini dans l’ombre.

« J’ai reve que…» commenca-t-elle puis elle hocha la tete.

« Comment te sens-tu, Robin ? » demanda Cirocco. Les yeux de la jeune fille se detournerent lentement :

« Ou etais-tu passee ? s’exclama-t-elle avec vehemence.

— Voila une excellente question. Peux-tu ecouter la reponse ? Comme ca, tu n’auras pas a parler tout le temps. »

Robin opina.

« Bon. Primo, j’ai renvoye Cornemuse a Titanville pour qu’il rassemble une equipe afin de degager l’acces a l’escalier. Si tu t’en souviens, il etait completement obstrue. »

Robin opina encore.

« Il fallut du temps pour rassembler tout le monde et plus encore que je ne l’aurais cru pour deblayer entierement. Les Titanides etaient desireuses de travailler mais elles se comportaient bizarrement sous le cable : elles se mettaient a vagabonder et quand on les retrouvait, elles n’avaient pas souvenance d’etre parties. Si bien que je fus obligee d’engager egalement quelques hommes, ce qui me fit perdre encore plus de temps.

« Mais nous avons pu degager le passage et faire descendre une equipe de sept hommes jusqu’a Tethys. La chambre etait submergee plus haut que je ne l’avais jamais vue. Tethys refusa de me parler et je n’ai rien pu y faire puisque Gaia elle-meme n’a aucune influence sur elle.

« Je suis alors venue ici… J’etais certaine que vous etiez tous morts mais je n’y croirais qu’apres avoir retrouve vos corps, aussi longtemps que cela me prenne. Si Tethys vous avait tues, je… je ne sais pas ce que j’aurais fait mais je lui aurais fait subir quelque chose qu’elle ne serait pas pres d’oublier. Malgre tout, subsistait la maigre chance que vous soyez parvenus a passer devant elle pour penetrer dans les catacombes.

— C’est bien ce qu’on a fait. Et Valiha…

— Ne parle pas tout de suite. Epargne tes forces. Bon. Autant que je sache, Gaby et moi sommes les seuls humains a jamais etre descendus la-dessous et j’ignore a peu pres tout des catacombes hormis qu’elles s’etendent a l’infini en formant un dedale inextricable. Je suis quand meme descendue voir Thea pour l’avertir que si l’un d’entre vous se pointait, elle le laisse passer sans faire de difficultes. Puis j’ai bien tente d’explorer le debouche oriental des catacombes mais je dus y renoncer au bout de quelques semaines. Je n’arrivais a rien. Je pris donc le risque d’abandonner provisoirement afin d’organiser une expedition de recherche correctement equipee qui descendrait explorer l’endroit metre par metre ; et pour ce faire, il me fallait commander sur Terre quantite de materiel. Je ne pensais pas vraiment qu’aucun de vous puisse jamais y arriver, tu vois, et je…

— Je comprends, dit Robin en reniflant. Mais Thea… oh, et puis merde. Moi qui croyais avoir… enfin, je pensais l’avoir eue toute seule. Alors qu’elle ne faisait que jouer avec moi. » Elle paraissait au bord des larmes mais finalement n’eut pas la force de pleurer.

Cirocco lui prit la main.

« Pardonne-moi. Tu m’as mal comprise. J’etais loin d’etre satisfaite de devoir donner des ordres a Thea sans pouvoir etre derriere pour la surveiller. L’intimite est son obsession. Je craignais que si l’un de vous venait a se montrer, elle ne le tue et ne se debarrasse du corps en faisant porter l’accusation sur Tethys puisque cette derniere me savait deja au courant de ce qu’il s’etait passe et savait que je n’y pouvais fichtrement rien a moins de rester camper plusieurs mois sur le pas de sa porte. C’est d’ailleurs peut-etre ce que j’aurais du faire, puisque…

— C’est tres bien, dit Robin avec un pale sourire. Je me suis debrouillee.

— Sur que oui, et un de ces jours, j’aimerais bien que tu me racontes comment t’as fait. Bref, j’ai fait mon possible – bien que je regrette aujourd’hui sacrement de ne pas en avoir fait plus – et je m’appretais a redescendre voir Thea sous trois ou quatre jours lorsque j’ai recu un appel de Trini pour m’annoncer que tu etais venue frapper a sa porte. Je suis arrivee aussi vite que possible. »

Robin opina en fermant les yeux.

« En tout cas, poursuivit Cirocco apres une pause, j’avais des tas de choses a te demander et si tu te sens d’attaque, je pourrais peut-etre le faire tout de suite. La premiere chose qui me tracasse, c’est de savoir pourquoi Gaby vous a laisses descendre voir Tethys. Je la connais et elle me connait, meme si on n’est pas toujours d’accord et elle aurait bien du se douter que je trouverais moyen d’eclaircir le passage pour vous retrouver. Puis quand je ne l’ai pas vue avec toi, je me suis demandee pourquoi et maintenant je commence a me demander si elle n’est pas blessee et n’a pas pu…» Sa voix resta en suspens. Robin avait ouvert les yeux et son air horrifie etait si explicite que Trini comprit instantanement ce qui etait arrive. Elle se detourna.

« J’avais cru qu’en deblayant les rochers…» gemit Robin.

Trini se retourna et vit que Cirocco s’etait figee comme une statue de pierre. Ses levres bougerent enfin mais sa voix etait sans vie.

« Nous n’avons rien trouve.

— Je ne sais pas quoi dire. On l’a laissee la-bas. On voulait l’ensevelir mais on n’avait meme pas de quoi…» Sa phrase s’acheva dans les larmes et Cirocco se redressa. Quand elle se tourna, ses yeux regardaient dans le vide et Trini sut qu’elle n’oublierait jamais ce regard mort qui la balayait comme si elle n’avait pas ete la, alors que la Sorciere allait ouvrir a tatons le verrou et s’avancait sur le porche etroit. Ils l’entendirent descendre l’echelle, puis il n’y eut plus aucun bruit sinon les sanglots de Robin.

* * *

Ils s’inquietaient pour elle mais en regardant dehors ils la virent a cent metres de la, leur tournant le dos, enfoncee dans la neige jusqu’aux genoux. Elle resta ainsi immobile plus d’une heure. Trini s’appretait a sortir la chercher mais Larry lui dit d’attendre. Puis Robin dit qu’elle avait a lui parler et il descendit l’echelle. Trini put les voir discuter. Cirocco ne tourna pas la tete mais le suivit quand meme lorsqu’il lui posa la main sur l’epaule.

Quand elle rentra, son visage etait toujours aussi depourvu d’emotion. Elle s’agenouilla pres de la couchette de Robin et attendit.

« Gaby nous a dit quelque chose, commenca-t-elle. Je suis desolee mais je crois qu’elle voulait que toi seule le saches et cette piece est trop petite pour se preter aux confidences.

— Larry, Trini. Voulez-vous attendre dans l’avion ? Je ferai clignoter les lampes lorsque vous pourrez revenir. »

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