Cirocco et Robin resterent immobiles tandis que les deux autres enfilaient manteaux et bottes puis sortaient, refermant doucement la porte derriere eux. Ils passerent une heure inconfortable dans l’avion, proteges du vent mais frigorifies tout de meme.

Ni l’un ni l’autre n’emit de plainte. Lorsque les lumieres clignoterent, ils rentrerent et si Trini ne lut pas tout de suite de difference sur le visage de Cirocco, elle etait bien la : ce visage faisait toujours mal a voir, il etait toujours sans vie, en un sens. Mais ce n’etait pas le visage mort d’un cadavre ; plutot celui d’une statue de granite.

Et ses yeux flamboyaient.

40. L’Heritage de nos peres

Il devait exister des taches plus faciles que de guider une Titanide enceinte et estropiee a travers un terrain sombre qui aurait decourage un mouflon. D’un autre cote, Chris n’avait pas de mal a imaginer deux ou trois activites sans doute plus difficiles et une foule d’autres bien moins plaisantes. Avoir une compagnie fournissait une compensation tout comme le fait que l’itineraire fut balise.

Tout s’equilibrait et il semblait bien que les choses etaient telles qu’elles devaient etre. Les bras de Valiha s’etaient muscles mais leur progression ne s’etait pas amelioree car elle avait pris du poids : Ils devaient redoubler de prudence de peur que sa maladresse croissante ne fut cause d’une chute dommageable pour ses anterieurs encore fragiles. Avec l’approche du terme de sa grossesse, les delices nouvelles des jeux sexuels anterieurs s’espacerent pour cesser enfin. Mais les rapports frontaux s’etaient ameliores encore, a mesure que ses jambes guerissaient. Chris perdit graduellement cette excitante et exotique sensation d’etrangete qu’il eprouvait naguere en sa presence, au point qu’il en venait a se demander parfois ce qu’il avait bien pu lui trouver de bizarre. Et pourtant, en meme temps que leur familiarite, s’etait developpee une tolerance mutuelle qui les rapprochait.

Valiha enflait comme un potiron murissant. Sa beaute devenait de plus en plus radieuse en meme temps que, curieusement, ses taches de rousseur se multipliaient.

Il y aurait peu de surprises : Chris etait au debut completement ignorant de l’obstetrique titanide mais quand Serpent fut pret a naitre, il en savait autant que Valiha. Nombre de ses suppositions l’avaient mene a de vaines craintes.

Il savait par exemple que Valiha n’utilisait pas au hasard le masculin lorsqu’elle parlait de l’enfant : son sexe avait ete decide en accord avec les deux autres parents. Il savait – mais ne pouvait toujours pas y croire – que Valiha etait en communication avec le f?tus, d’une facon qu’elle etait dans l’impossibilite d’expliquer de maniere convenable. Elle pretendait que c’etait ensemble qu’ils avaient decide de son nom quoiqu’elle l’eut influence par suite de circonstances independantes de sa volonte. Elle voulait parler de la coutume titanide de baptiser un enfant d’apres le premier instrument qu’il ou elle avait recu. La coutume n’etait plus repandue mais Valiha etait traditionaliste et depuis quelque temps elle travaillait sur le premier instrument de son fils : un serpent, ce sinueux tube de bois dont on jouait a la maniere du cor. Dans la caverne, le choix des materiaux de construction etait limite.

Il savait que l’accouchement ne serait ni long ni douloureux et que, des sa naissance, Serpent saurait parler et marcher. Mais lorsqu’elle lui annonca qu’elle esperait entendre son fils parler l’anglais, Chris pensa immediatement qu’elle etait completement ridicule. Il ne le lui dit pas mais exprima ses doutes.

« Je sais, repondit Valiha. La Sorciere en doute elle aussi. Ce ne sera pas la premiere fois qu’on tente de mettre au monde un enfant dote de deux langues maternelles. Et pourtant, meme la Sorciere ne dira pas que c’est impossible. Notre genetique n’est pas la votre. Bien des choses se passent en nous differemment.

— Par exemple ?

— J’ignore tout de l’aspect scientifique. Mais tu reconnaitras que nous sommes differentes. La Sorciere est parvenue a croiser avec succes des ?ufs de Titanide avec le materiel genetique de grenouilles, de poissons, de chiens et de singes en laboratoire.

— Cela va a l’encontre de tout ce que j’ai pu lire en matiere de genetique, admit Chris. Non que j’y connaisse grand-chose, moi non plus. Mais quel rapport avec le fait que Serpent parle anglais ? Meme s’il avait des parents humains – et tu m’as bien dit que non – tout ce qu’on sait faire a la naissance, c’est brailler.

— La Sorciere appelle ca l’effet Lyssenko. A sa plus grande satisfaction, elle est parvenue a demontrer que les Titanides sont capables d’heriter de caracteres acquis. Nous – je parle de celles d’entre nous qui postulent la possibilite de transmission de l’anglais – pensons que ce doit etre faisable a condition d’avoir un entrainement adequat. Tu m’as demande une fois si j’avais avale un dictionnaire. Eh bien, c’est presque vrai. L’experience necessite que tous les parents possedent entierement le vocabulaire anglais. C’est un objectif impossible a atteindre mais nous avons bonne memoire.

— Je peux en temoigner. » Quelque chose le chiffonnait dans tout ca et il lui fallut un bout de temps pour mettre le doigt dessus. Et meme quand il eut trouve, il ne savait pas au juste pourquoi ca le genait mais ca le genait manifestement.

« Ce que j’aimerais bien savoir, c’est pourquoi ? lui demanda-t-il bien plus tard. Pourquoi l’anglais, quand votre langue est si belle ? Ce n’est pas que je la comprenne et pourtant j’aimerais bien. D’apres ce que je sais, hormis Cirocco et Gaby qui l’ont eue implantee en elles, aucun humain n’a jamais pu depasser le stade du petit negre dans le chant titanide.

— C’est exact. Nous savons la langue d’instinct et les humains, malgre leurs connaissances intellectuelles souvent vastes, ne sont pas doues pour. Nos chants defient l’analyse et se repetent rarement meme pour exprimer des pensees identiques. La Sorciere a emis la supposition qu’interviendrait une composante telepathique.

— Quoi qu’il en soit, je voulais savoir – ou plutot : je voulais te demander – pourquoi vous y travaillez avec une telle ardeur ? Que reprochez-vous au titanide ? Je trouve qu’il est miraculeux de naitre en sachant une langue, quelle qu’elle soit. Pourquoi essayer l’anglais ?

— Tu m’as sans doute mal comprise : Serpent saura de toute maniere chanter. C’est une chose certaine. Je ne me vois pas essayer de le priver d’un tel don. J’aimerais mieux le voir plutot naitre avec deux jambes seulement, comme… oh ! cheri… Excuse-moi…»

Chris rit et lui dit que ca ne faisait rien.

« Je faisais simplement allusion a ce dicton, employe lorsqu’on rencontre de grandes difficultes ; nous disons dans ce cas : “aller sur deux pieds et qui plus est, deux pieds gauches”.

— Mais bien sur.

— Je te promets que… tu te moques encore de moi ! Je suppose que je finirai par m’y faire un jour.

— J’espere bien que non. Mais tu ne m’as toujours pas dit pourquoi tu faisais cela.

— J’aurais cru que c’etait evident.

— Pas pour moi. »

Elle soupira.

« Tres bien. Pour ce qui est de l’anglais, les premiers humains arrives a Gaia le parlaient et la langue a pris. Pour ce qui est d’un langage humain, quel qu’il soit… depuis le premier contact, le nombre des humains a vivre ici n’a cesse de s’accroitre. Vous ne venez peut-etre pas nombreux mais vous arrivez sans arret. Ca me semble une bonne idee de vouloir en savoir sur vous le plus possible.

— Les voisins desagreables qui s’incrustent, c’est ca ? »

Valiha reflechit. « Je ne voudrais pas donner l’impression de denigrer les hommes. En tant qu’individus, certains d’entre eux sont aussi charmants qu’on puisse le souhaiter…

— Mais pris en bloc, on est carrement chiants.

— Je n’ai pas a emettre de jugement.

— Et pourquoi pas ? Tu es aussi fondee a le faire que n’importe qui ! Et je partage ton opinion. Nous sommes franchement moches des que nous nous mettons a cogiter ensemble pour inventer des bombes atomiques ou ce genre de choses. Quant aux individus, pour la plupart… diable ! » Il faisait l’experience d’un acces de chauvinisme qu’il n’aimait guere mais ne pouvait eviter. Ca le fit reflechir, tenter de trouver quelque defense a lui opposer. En vain. « Tu sais, finit-il par lui dire. Je viens de me rendre compte que je n’ai jamais rencontre de Titanide que je n’aime pas.

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