III

SERAPHITA-SERAPHITUS

Apres une pause pendant laquelle le pasteur parut recueillir ses souvenirs, il reprit en ces termes :

Emmanuel de SWEDENBORG est ne a Upsal, en Suede, dans le mois de janvier 1688, suivant quelques auteurs, en 1689, suivant son epitaphe. Son pere etait eveque de Skara. Swedenborg vecut quatre-vingt-cinq annees, sa mort etant arrivee a Londres, le 29

mars 1772. Je me sers de cette expression pour exprimer un simple changement d’etat.

Selon ses disciples, Swedenborg aurait ete vu a Jarvis et a Paris posterieurement a cette date. Permettez, mon cher monsieur Wilfrid, dit monsieur Becker en faisant un geste pour prevenir toute interruption, je raconte des faits sans les affirmer, sans les nier.

Ecoutez, et apres, vous penserez de tout ceci ce que vous voudrez. Je vous previendrai lorsque je jugerai, critiquerai, discuterai les doctrines, afin de constater ma neutralite intelligentielle entre la raison et LUI !

La vie d’Emmanuel Swedenborg fut scindee en deux parts, reprit le pasteur. De 1688 a 1745, le baron Emmanuel de Swedenborg apparut dans le monde comme un homme du plus vaste savoir, estime, cheri pour ses vertus, toujours irreprochable, constamment utile. Tout en remplissant de hautes fonctions en Suede, il a publie de 1709

a 1740, sur la mineralogie, la physique, les mathematiques et l’astronomie, des livres nombreux et solides qui ont eclaire le monde savant. Il a invente la methode de batir des bassins propres a recevoir les vaisseaux. Il a ecrit sur les questions les plus importantes, depuis la hauteur des marees jusqu’a la position de la terre. Il a trouve tout a la fois les moyens de construire de meilleures ecluses pour les canaux, et des procedes plus simples pour l’extraction des metaux. Enfin, il ne s’est pas occupe d’une science sans lui faire faire un progres. Il etudia pendant sa jeunesse les langues hebraique, grecque, latine et les langues orientales dont la connaissance lui devint si familiere, que plusieurs professeurs celebres l’ont consulte souvent, et qu’il put reconnaitre dans la Tartarie les vestiges du plus ancien livre de la Parole, nomme LES GUERRES DE JEHOVAH, et LES ENONCES dont il est parle par Moise dans les NOMBRES (XXI, 14, 15, 27–30), par Josue, par Jeremie et par Samuel. LES GUERRES DE JEHOVAH seraient la partie historique, et LES ENONCES la partie prophetique de ce livre anterieur a la GENESE.

Swedenborg, a meme affirme que le JASCHAR ou LE LIVRE DU JUSTE, mentionne par Josue, existait dans la Tartarie-Orientale, avec le culte des Correspondances. Un Francais a, dit-on, recemment justifie les previsions de Swedenborg, en annoncant avoir trouve a Bagdad plusieurs parties de la Bible inconnues en Europe. Lors de la discussion presque europeenne que souleva le magnetisme animal a Paris, et a laquelle presque tous les savants prirent une part active, en 1785, monsieur le marquis de Thome vengea la memoire de Swedenborg en relevant des assertions echappees aux commissaires nommes par le roi de France pour examiner le magnetisme. Ces messieurs pretendaient qu’il n’existait aucune theorie de l’aimant, tandis que Swedenborg s’en etait occupe des l’an 1720. Monsieur de Thome saisit cette occasion pour demontrer les causes de l’oubli dans lequel les hommes les plus celebres laissaient le savant Suedois afin de pouvoir fouiller ses tresors et s’en aider pour leurs travaux. « Quelques-uns des plus illustres, dit monsieur de Thome en faisant allusion a la THEORIE DE LA TERRE par Buffon, ont la faiblesse de se parer des plumes du paon sans lui en faire hommage. » Enfin, il prouva par des citations victorieuses, tirees des ?uvres encyclopediques de Swedenborg, que ce grand prophete avait devance de plusieurs siecles la marche lente des sciences humaines : il suffit, en effet, de lire ses ?uvres philosophiques et mineralogiques, pour en etre convaincu. Dans tel passage, il se fait le precurseur de la chimie actuelle, en annoncant que les productions de la nature organisee sont toutes decomposables et aboutissent a deux principes purs ; que l’eau, l’air, le feu, ne sont pas des elements ; dans tel autre, il va par quelques mots au fond des mysteres magnetiques, il en ravit ainsi la premiere connaissance a Mesmer. — Enfin, voici de lui, dit monsieur Becker en montrant une longue planche attachee entre le poele et la croisee sur laquelle etaient des livres de toutes grandeurs, voici dix-sept ouvrages differents, dont un seul, ses ?uvres Philosophiques et Mineralogiques, publiees en 1734, ont trois volumes in-folio. Ces productions, qui attestent les connaissances positives de Swedenborg, m’ont ete donnees par monsieur Seraphitus, son cousin, pere de Seraphita. En 1740, Swedenborg tomba dans un silence absolu, d’ou il ne sortit que pour quitter ses occupations temporelles, et penser exclusivement au monde spirituel. Il recut les premiers ordres du Ciel en 1745.

Voici comment il a raconte sa vocation : Un soir, a Londres, apres avoir dine de grand appetit, un brouillard epais se repandit dans sa chambre. Quand les tenebres se dissiperent, une creature qui avait pris la forme humaine se leva du coin de sa chambre, et lui dit d’une voix terrible : Ne mange pas tant ! Il fit une diete absolue. La nuit suivante, le meme homme vint, rayonnant de lumiere, et lui dit : Je suis envoye par Dieu qui t’a choisi pour expliquer aux hommes le sens de sa parole et de ses creations. Je te dicterai ce que tu dois ecrire. La vision dura peu de moments. L’ANGE etait, disait-il, vetu de pourpre. Pendant cette nuit, les yeux de son homme interieur furent ouverts et disposes pour voir dans le Ciel, dans le monde des Esprits et dans les Enfers ; trois spheres differentes ou il rencontra des personnes de sa connaissance, qui avaient peri dans leur forme humaine, les unes depuis long- temps, les autres depuis peu. Des ce moment, Swedenborg a constamment vecu de la vie des Esprits, et resta dans ce monde comme Envoye de Dieu. Si sa mission lui fut contestee par les incredules, sa conduite fut evidemment celle d’un etre superieur a l’humanite. D’abord, quoique borne par sa fortune au strict necessaire, il a donne des sommes immenses, et notoirement releve, dans plusieurs villes de commerce, de grandes maisons tombees ou qui allaient faillir.

Aucun de ceux qui firent un appel a sa generosite ne s’en alla sans etre aussitot satisfait.

Un Anglais incredule s’est mis a sa poursuite, l’a rencontre dans Paris, et a raconte que chez lui les portes restaient constamment ouvertes. Un jour, son domestique s’etant plaint de cette negligence, qui l’exposait a etre soupconne des vols qui atteindraient l’argent de son maitre :

— Qu’il soit tranquille, dit Swedenborg en souriant, je lui pardonne sa defiance, il ne voit pas le gardien qui veille a ma porte. En effet, en quelque pays qu’il habitat, il ne ferma jamais ses portes, et rien ne fut perdu chez lui. A Gothembourg, ville situee a soixante milles de Stockholm, il annonca, trois jours avant l’arrivee du courrier, l’heure precise de l’incendie qui ravageait Stockholm en faisant observer que sa maison n’etait pas brulee : ce qui etait vrai. La reine de Suede dit a Berlin, au roi son frere, qu’une de ses dames etant assignee pour payer une somme qu’elle savait avoir ete rendue par son mari avant qu’il mourut, mais n’en trouvant pas la quittance, alla chez Swedenborg, et le pria de demander a son mari ou pouvait etre la preuve du paiement. Le lendemain, Swedenborg lui indiqua l’endroit ou etait la quittance ; mais comme, suivant le desir de cette dame, il avait prie le defunt d’apparaitre a sa femme, celle-ci vit en songe son mari vetu de la robe de chambre qu’il portait avant de mourir, et lui montra la quittance dans l’endroit designe par Swedenborg, et ou elle etait effectivement cachee. Un jour, en s’embarquant a Londres, dans le navire du capitaine Dixon, il entendit une dame qui demandait si l’on avait fait beaucoup de provisions :

— Il n’en faut pas tant, repondit-il. Dans huit jours, a deux heures, nous serons dans le port de Stockholm. Ce qui arriva. L’etat de vision dans lequel Swedenborg se mettait a son gre, relativement aux choses de la terre, et qui etonna tous ceux qui l’approcherent par des effets merveilleux, n’etait qu’une faible application de sa faculte de voir les cieux. Parmi ces visions, celles ou il raconte ses voyages dans les TERRES ASTRALES ne sont pas les moins curieuses, et ses descriptions doivent necessairement surprendre par la naivete des details. Un homme dont l’immense portee scientifique est incontestable, qui reunissait en lui la conception, la volonte, l’imagination, aurait certes invente mieux, s’il eut invente. La litterature fantastique des Orientaux n’offre d’ailleurs rien qui puisse donner une idee de cette ?uvre etourdissante et pleine de poesies en germe, s’il est permis de comparer une ?uvre de croyance aux ?uvres de la fantaisie arabe. L’enlevement de Swedenborg par l’ange qui lui servit de guide dans son premier voyage, est d’une sublimite qui depasse, de toute la distance que Dieu a mise entre la terre et le soleil, celle des epopees de Klopstock, de Milton, du Tasse et de Dante. Cette partie, qui sert de debut a son ouvrage sur les TERRES ASTRALES, n’a jamais ete publiee ; elle appartient aux traditions orales : laissees par Swedenborg aux trois disciples qui etaient au plus pres de son c?ur. Monsieur Silverichm la possede ecrite.

Monsieur Seraphitus a voulu m’en parler quelquefois ; mais le souvenir de la parole de son cousin etait si brulant, qu’il s’arretait aux premiers mots, et tombait dans une reverie d’ou rien ne le pouvait tirer. Le discours par

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