lequel l’Ange prouve a Swedenborg que ces corps ne sont pas faits pour etre errants et deserts, ecrase, m’a dit le baron, toutes les sciences humaines sous le grandiose d’une logique divine. Selon le prophete, les habitants de Jupiter ne cultivent point les sciences qu’ils nomment des ombres ; ceux de Mercure detestent l’expression des idees par la parole qui leur semble trop materielle, ils ont un langage oculaire ; ceux de Saturne sont continuellement tentes par de mauvais esprits ; ceux de la Lune sont petits comme des enfants de six ans, leur voix part de l’abdomen, et ils rampent ; ceux de Venus sont d’une taille gigantesque, mais stupides, et vivent de brigandages ; neanmoins, une partie de cette planete a des habitants d’une grande douceur, qui vivent dans l’amour du bien. Enfin, il decrit les m?urs des peuples attaches a ces globes, et traduit le sens general de leur existence par rapport a l’univers, en des termes si precis ; il donne des explications qui concordent si bien aux effets de leurs revolutions apparentes dans le systeme general du monde, que peut-etre un jour les savants viendront-ils s’abreuver a ces sources lumineuses. Voici, dit monsieur Becker, apres avoir pris un livre, en l’ouvrant a l’endroit marque par le signet, voici par quelles paroles il a termine cette ?uvre : « Si l’on doute que j’aie ete transporte dans un grand nombre de Terres Astrales, qu’on se rappelle mes observations sur les distances dans l’autre vie ; elles n’existent que relativement a l’etat externe de l’homme ; or, ayant ete dispose interieurement comme les Esprits Angeliques de ces terres, j’ai pu les connaitre. » Les circonstances auxquelles nous avons du de posseder dans ce canton le baron Seraphitus, cousin bien-aime de Swedenborg, ne m’ont laisse etranger a aucun evenement de cette vie extraordinaire. Il fut accuse dernierement d’imposture dans quelques papiers publics de l’Europe, qui rapporterent le fait suivant, d’apres une lettre du chevalier Beylon. Swedenborg, disait-on,
Le pasteur chercha dans le tiroir de sa table parmi quelques papiers, finit par y trouver une gazette, et la tendit a Wilfrid qui lut a haute voix la lettre suivante :
« Stockholm, 13 mai 1788.
« J’ai lu avec etonnement la lettre qui rapporte l’entretien qu’a eu le fameux Swedenborg avec la reine Louise-Ulrique ; les circonstances en sont tout a fait fausses, et j’espere que l’auteur me pardonnera si, par un recit fidele qui peut etre atteste par plusieurs personnes de distinction qui etaient presentes et qui sont encore en vie, je lui montre combien il s’est trompe. En 1758, peu de temps apres la mort du prince de Prusse, Swedenborg vint a la cour : il avait coutume de s’y trouver regulierement. A peine eut-il ete apercu de la reine, qu’elle lui dit : « A propos, monsieur l’assesseur, avez-vous vu mon frere ? » Swedenborg repondit que non, et la reine lui repliqua : « Si vous le rencontrez, saluez-le de ma part. » En disant cela, elle n’avait d’autre intention que de plaisanter, et ne pensait nullement a lui demander la moindre instruction touchant son frere. Huit jours apres, et non pas vingt-quatre jours apres, ni dans une audience particuliere, Swedenborg vint de nouveau a la cour, mais de si bonne heure, que la reine n’avait pas encore quitte son appartement, appele la Chambre-Blanche, ou elle causait avec ses dames d’honneur et d’autres femmes de la cour. Swedenborg n’attend point que la reine sorte, il entre directement dans son appartement et lui parle bas a l’oreille. La reine, frappee d’etonnement, se trouva mal, et eut besoin de quelque temps pour se remettre. Revenue a elle-meme, elle dit aux personnes qui l’entouraient : « Il n’y a que Dieu et mon frere qui puissent savoir ce qu’il vient de me dire ! » Elle avoua qu’il lui avait parle de sa derniere correspondance avec ce prince, dont le sujet n’etait connu que d’eux seuls. Je ne puis expliquer comment Swedenborg eut connaissance de ce secret ; mais ce que je puis assurer sur mon honneur, c’est que ni le comte H…, comme le dit l’auteur de la lettre, ni personne, n’a intercepte ou lu les lettres de la reine. Le senat d’alors lui permettait d’ecrire a son frere dans la plus grande securite, et regardait cette correspondance comme tres- indifferente a l’etat. Il est evident que l’auteur de la susdite lettre n’a pas du tout connu le caractere du comte H… Ce seigneur respectable, qui a rendu les services les plus importants a sa patrie, reunit aux talents de l’esprit les qualites du c?ur, et son age avance n’affaiblit point en lui ces dons precieux. Il joignit toujours pendant toute son administration la politique la plus eclairee a la plus scrupuleuse integrite, et se declara l’ennemi des intrigues secretes et des menees sourdes, qu’il regardait comme des moyens indignes pour arriver a son but. L’auteur n’a pas mieux connu l’assesseur Swedenborg. La seule faiblesse de cet homme, vraiment honnete, etait de croire aux apparitions des esprits ; mais je l’ai connu pendant tres-long-temps, et je puis assurer qu’il etait aussi persuade de parler et de converser avec des esprits, que je le suis, moi, dans ce moment, d’ecrire ceci. Comme citoyen et comme ami, c’etait l’homme le plus integre, ayant en horreur l’imposture et menant une vie exemplaire. L’explication qu’a voulu donner de ce fait le chevalier Beylon est, par consequent, destituee de fondement ; et la visite faite pendant la nuit a Swedenborg, par les comtes H… et T…, est entierement controuvee. Au reste, l’auteur de la lettre peut etre assure que je ne suis rien moins que sectateur de Swedenborg ; l’amour seul de la verite m’a engage a rendre avec fidelite un fait qu’on a si souvent rapporte avec des details entierement faux, et j’affirme ce que je viens d’ecrire, en apposant la signature de mon nom. »
— Les temoignages que Swedenborg a donnes de sa mission aux familles de Suede et de Prusse ont sans doute fonde la croyance dans laquelle vivent plusieurs personnages de ces deux cours, reprit monsieur Becker en remettant la gazette dans son tiroir. — Neanmoins, dit-il en continuant, je ne vous dirai pas tous les faits de sa vie materielle et visible : ses m?urs s’opposaient a ce qu’ils fussent exactement connus. Il vivait cache, sans vouloir s’enrichir ou parvenir a la celebrite. Il se distinguait meme par une sorte de repugnance a faire des proselytes, s’ouvrait a peu de personnes, et ne communiquait ces dons exterieurs qu’a celles en qui eclataient la foi, la sagesse et l’amour. Il savait reconnaitre par un seul regard l’etat de l’ame de ceux qui l’approchaient, et changeait en Voyants ceux qu’il voulait toucher de sa parole interieure.
Ses disciples ne lui ont, depuis l’annee 1745, jamais rien vu faire pour aucun motif humain. Une seule personne, un pretre suedois, nomme Matthesius, l’accusa de folie. Par un hasard extraordinaire, ce Matthesius, ennemi de Swedenborg et de ses ecrits, devint fou peu de temps apres, et vivait encore il y a quelques annees a Stockholm avec une pension accordee par le roi de Suede. L’eloge de Swedenborg a d’ailleurs ete compose avec un soin minutieux quant aux evenements de sa vie, et prononce dans la grande salle de l’Academie royale des sciences a Stockholm par monsieur de Sandel, conseiller au college des Mines, en 1786. Enfin une declaration recue par le lord-maire, a Londres, constate les moindres details de la derniere maladie et de la mort de Swedenborg, qui fut alors assiste par Monsieur Ferelius, ecclesiastique suedois de la plus haute distinction.
Les personnes comparues attestent que, loin d’avoir dementi ses ecrits, Swedenborg en a constamment atteste la verite. — « Dans cent ans, dit-il a monsieur Ferelius, ma doctrine regira l’EGLISE. » Il a predit fort exactement le jour et l’heure de sa mort. Le jour meme, le dimanche 29 mars 1772, il demanda l’heure. — Cinq heures, lui repondit-on.
— Voila qui est fini, dit-il, Dieu vous benisse ! Puis, dix minutes apres, il expira de la maniere la plus tranquille en poussant un leger soupir. La simplicite, la mediocrite, la solitude, furent donc les traits de sa vie. Quand il avait acheve l’un de ses traites, il s’embarquait pour aller l’imprimer a Londres ou en Hollande, et n’en parlait jamais. Il publia successivement ainsi vingt-sept traites differents, tous ecrits, dit-il, sous la dictee des Anges. Que ce soit ou non vrai, peu d’hommes sont assez forts pour en soutenir les flammes orales. Les voici tous, dit monsieur Becker en montrant une seconde planche sur laquelle etaient une soixantaine de volumes. Les sept traites ou l’esprit de Dieu jette ses plus vives lueurs, sont : LES DELICES DE L’AMOUR CONJUGAL, — LE CIEL ET L’ENFER, — L’APOCALYPSE REVELEE, — L’EXPOSITlON DU SENS INTERNE, — L’AMOUR DIVIN, — LE VRAI CHRISTIANISME, — LA SAGESSE ANGELIQUE DE L’OMNIPOTENCE, OMNISCIENCE, OMNIPRESENCE DE CEUX QUI PARTAGENT L’ETERNITE, L’IMMENSITE DE DIEU.
Son explication de l’Apocalypse commence par ces paroles, dit monsieur Becker en prenant et ouvrant le premier volume qui se trouvait pres de lui : «
— Mon cher monsieur, dit le douteur en regardant Wilfrid, j’ai souvent tremble de tous mes membres pendant les nuits d’hiver, en lisant les ?uvres terribles ou cet homme declare avec une parfaite innocence les plus grandes merveilles. « J’ai vu, dit-il, les Cieux et les Anges. L’homme spirituel voit l’homme spirituel beaucoup mieux que l’homme terrestre ne voit l’homme terrestre. En decrivant les merveilles des cieux et au-dessous des cieux, j’obeis a l’ordre que le Seigneur m’a donne de le faire. On est le maitre de ne pas me croire, je ne puis mettre les autres dans l’etat ou Dieu m’a mis ; il ne depend pas de moi de les faire converser avec les Anges, ni