L’homme qui concoit l’Infini par son intelligence, ne saurait le manier dans son entier ; sans quoi, il serait Dieu. Votre Numeration, appliquee aux choses finies et non a l’Infini, est donc vraie par rapport aux details que vous percevez, mais fausse par rapport a l’ensemble que vous ne percevez point. Si la nature est semblable a elle-meme dans les forces organisantes ou dans ses principes qui sont infinis, elle ne l’est jamais dans ses effets finis ; ainsi, vous ne rencontrez nulle part dans la nature deux objets identiques : dans l’Ordre Naturel, deux et deux ne peuvent donc jamais faire quatre, car il faudrait assembler des unites exactement pareilles, et vous savez qu’il est impossible de trouver deux feuilles semblables sur un meme arbre, ni deux sujets semblables dans la meme espece d’arbre. Cet axiome de votre numeration, faux dans la nature visible, est egalement faux dans l’univers invisible de vos abstractions, ou la meme variete a lieu dans vos idees, qui sont les choses du monde visible, mais etendues par leurs rapports ; ainsi, les differences sont encore plus tranchees la que partout ailleurs. En effet, tout y etant relatif au temperament, a la force, aux m?urs, aux habitudes des individus qui ne se ressemblent jamais entre eux, les moindres objets y representent des sentiments personnels. Assurement, si l’homme a pu creer des unites, n’est-ce pas en donnant un poids et un titre egal a des morceaux d’or ? Eh ! bien, vous pouvez ajouter le ducat du pauvre au ducat du riche, et vous dire au tresor public que ce sont deux quantites egales ; mais aux yeux du penseur, l’un est certes moralement plus considerable que l’autre ; l’un represente un mois de bonheur, l’autre represente le plus ephemere caprice. Deux et deux ne font donc quatre que par une abstraction fausse et monstrueuse. La fraction n’existe pas non plus dans la Nature, ou ce que vous nommez un fragment est une chose finie en soi ; mais n’arrive-t-il pas souvent, et vous en avez des preuves, que le centieme d’une substance soit plus fort que ce que vous appelleriez l’entier ? Si la fraction n’existe pas dans l’Ordre Naturel, elle existe encore bien moins dans l’Ordre Moral, ou les idees et les sentiments peuvent etre varies comme les especes de l’Ordre Vegetal, mais sont toujours entiers. La theorie des fractions est donc encore une insigne complaisance de votre esprit. Le Nombre, avec ses Infiniment petits et ses Totalites infinies, est donc une puissance dont une faible partie vous est connue, et dont la portee vous echappe. Vous vous etes construit une chaumiere dans l’Infini des nombres, vous l’avez ornee d’hieroglyphes savamment ranges et peints, et vous avez crie :
— Tout est la ! Du Nombre pur, passons au Nombre corporise. Votre geometrie etablit que la ligne droite est le chemin le plus court d’un point a un autre, mais votre astronomie vous demontre que Dieu n’a procede que par des courbes. Voici donc dans la meme science deux verites egalement prouvees : l’une par le temoignage de vos sens agrandis du telescope, l’autre par le temoignage de votre esprit, mais dont l’une contredit l’autre. L’homme sujet a erreur affirme l’une, et l’ouvrier des mondes, que vous n’avez encore pris nulle part en faute, la dement. Qui prononcera donc entre la geometrie rectiligne et la geometrie curviligne ? entre la theorie de la droite et la theorie de la courbe ? Si, dans son ?uvre, le mysterieux artiste qui sait arriver miraculeusement vite a ses fins, n’emploie la ligne droite que pour la couper a angle droit afin d’obtenir une courbe, l’homme lui-meme ne peut jamais y compter : le boulet, que l’homme veut diriger en droite ligne, marche par la courbe, et quand vous voulez surement atteindre un point dans l’espace, vous ordonnez a la bombe de suivre sa cruelle parabole. Aucun de vos savants n’a tire cette simple induction que la Courbe est la loi des mondes materiels, que la Droite est celle des mondes spirituels : l’une est la theorie des creations finies, l’autre est la theorie de l’infini. L’homme, ayant seul ici bas la connaissance de l’infini, peut seul connaitre la ligne droite ; lui seul a le sentiment de la verticalite place dans un organe special.
L’attachement pour les creations de la courbe ne serait-il pas chez certains hommes l’indice d’une impurete de leur nature, encore mariee aux substances materielles qui nous engendrent ; et l’amour des grands esprits pour la ligne droite n’accuserait-il pas en eux un pressentiment du ciel ? Entre ces deux lignes est un abime, comme entre le fini et l’infini, comme entre la matiere et l’esprit, comme entre l’homme et l’idee, entre le mouvement et l’objet mu, entre la creature et Dieu. Demandez a l’amour divin ses ailes, et vous franchirez cet abime ! Au dela commence la Revelation du Verbe. Nulle part les choses que vous nommez materielles ne sont sans profondeur ; les lignes sont les terminaisons de solidites qui comportent une force d’action que vous supprimez dans vos theoremes, ce qui les rend faux par rapport aux corps pris dans leur entier ; de la cette constante destruction de tous les monuments humains que vous armez, a votre insu, de proprietes agissantes. La nature n’a que des corps, votre science n’en combine que les apparences. Aussi la nature donne-t-elle a chaque pas des dementis a toutes vos lois : trouvez-en une seule qui ne soit desapprouvee par un fait ? Les lois de votre Statique sont souffletees par mille accidents de la physique, car un fluide renverse les plus pesantes montagnes, et vous prouve ainsi que les substances les plus lourdes peuvent etre soulevees par des substances imponderables. Vos lois sur l’Acoustique et l’Optique sont annulees par les sons que vous entendez en vous- memes pendant le sommeil et par la lumiere d’un soleil electrique dont les rayons vous accablent souvent. Vous ne savez pas plus comment la lumiere se fait intelligence en vous que vous ne connaissez le procede simple et naturel qui la change en rubis, en saphir, en opale, en emeraude au cou d’un oiseau des Indes, tandis qu’elle reste grise et brune sur celui du meme oiseau vivant sous le ciel nuageux de l’Europe, ni comment elle reste blanche ici au sein de la nature polaire. Vous ne pouvez decider si la couleur est une faculte dont sont doues les corps, ou si elle est un effet produit par l’affusion de la lumiere. Vous admettez l’amertume de la mer sans avoir verifie si la mer est salee dans toute sa profondeur. Vous avez reconnu l’existence de plusieurs substances qui traversent ce que vous croyez etre le vide ; substances qui ne sont saisissables sous aucune des formes affectees par la matiere, et qui se mettent en harmonie avec elle malgre tous les obstacles. Cela etant, vous croyez aux resultats obtenus par la Chimie, quoiqu’elle ne sache encore aucun moyen d’evaluer les changements operes par le flux ou par le reflux de ces substances qui s’en vont ou viennent a travers vos cristaux et vos machines sur les filons insaisissables de la chaleur ou de la lumiere, conduites, exportees par les affinites du metal ou du silex vitrifie. Vous n’obtenez que des substances mortes d’ou vous avez chasse la force inconnue qui s’oppose a ce que tout se decompose ici-bas, et dont l’attraction, la vibration, la cohesion et la polarite ne sont que des phenomenes. La vie est la pensee des corps ; ils ne sont, eux, qu’un moyen de la fixer, de la contenir dans sa route ; si les corps etaient des etres vivants par eux-memes, ils seraient
Vous en voyez les effets, mais qu’est-ce ? ou est-elle ? quelle est son essence, sa vie ? a-t-elle des limites ? Et vous niez Dieu !…
Ainsi, la plupart de vos axiomes scientifiques, vrais par rapport a l’homme, sont faux par rapport a l’ensemble. La science est une, et vous l’avez partagee. Pour savoir le sens vrai des lois phenomenales, ne faudrait-il pas connaitre les correlations qui existent entre les phenomenes et la loi d’ensemble ? En toute chose, il est une apparence qui frappe vos sens ; sous cette apparence, il se meut une ame : il y a le corps et la faculte.
Ou enseignez-vous l’etude des rapports qui lient les choses entre elles ? Nulle part. Vous n’avez donc rien d’absolu ? Vos themes les plus certains reposent sur l’analyse des Formes materielles dont l’Esprit est sans cesse neglige par vous. Il est une science elevee que certains hommes entrevoient trop tard, sans oser l’avouer. Ces hommes ont compris la necessite de considerer les corps, non-seulement dans leurs proprietes mathematiques, mais encore dans leur ensemble, dans leurs affinites occultes. Le plus grand d’entre vous a devine, sur la fin de ses jours, que tout etait cause et effet reciproquement ; que les mondes visibles etaient coordonnes entre eux et soumis a des mondes invisibles. Il a gemi d’avoir essaye d’etablir des preceptes absolus ! En comptant ses mondes, comme des grains de raisin semes dans l’ether, il en avait explique la coherence par les lois de l’attraction planetaire et moleculaire ; vous avez salue cet homme ! Eh ! bien, je vous le dis, il est mort au