Quand Husdent entend sa voix, il fait voler sa laisse des mains de Brangien, court a son maitre, se roule a ses pieds, leche ses mains, aboie de joie.
« Husdent, s'ecrie le fou, benie soit, Husdent, la peine que j'ai mise a te nourrir ! Tu m'as fait meilleur accueil que celle que j'aimais tant. Elle ne veut pas me reconnaitre : reconnaitra-t-elle seulement cet anneau qu'elle me donna jadis, avec des pleurs et des baisers, au jour de la separation ? Ce petit anneau de jaspe ne m'a guere quitte : souvent je lui ai demande conseil dans mes tourments, souvent j'ai mouille ce jaspe vert de mes chaudes larmes. »
Iseut a vu l'anneau. Elle ouvre ses bras tout grands :
« Me voici ! Prends-moi, Tristan ! »
Alors Tristan cessa de contrefaire sa voix :
« Amie, comment m'as-tu si longtemps pu meconnaitre, plus longtemps que ce chien ? Qu'importe cet anneau ? Ne sens-tu pas qu'il m'aurait ete plus doux d'etre reconnu au seul rappel de nos amours passees ? Qu'importe le son de ma voix ? C'est le son de mon c?ur que tu devais entendre.
– Ami, dit Iseut, peut-etre l'ai-je entendu plus tot que tu ne penses ; mais nous sommes enveloppes de ruses : devais-je, comme ce chien, suivre mon desir, au risque de te faire prendre et tuer sous mes yeux ? Je me gardais et je te gardais. Ni le rappel de ta vie passee, ni le son de ta voix, ni cet anneau meme ne me prouvent rien, car ce peuvent etre les jeux mechants d'un enchanteur. Je me rends pourtant, a la vue de l'anneau : n'ai-je pas jure que, sitot que je le reverrais, dusse-je me perdre, je ferais toujours ce que tu me manderais, que ce fut sagesse ou folie ? Sagesse ou folie, me voici ; prends-moi, Tristan ! »
Elle tomba pamee sur la poitrine de son ami. Quand elle revint a elle, Tristan la tenait embrassee et baisait ses yeux et sa face. II entre avec elle sous la courtine. Entre ses bras il tient la reine.
Pour s'amuser du fou, les valets l'hebergerent sous les degres de la salle, comme un chien dans un chenil. Il endurait doucement leurs railleries et leurs coups, car parfois, reprennent sa forme et sa beaute, il passait de son taudis a la chambre de la reine.
Mais, apres quelques jours ecoules, deux chambrieres soupconnerent la fraude ; elles avertirent Andret, qui aposta devant les chambres des femmes trois espions bien armes. Quand Tristan voulut franchir la porte :
« Arriere, fou, crierent-ils, retourne te coucher sur ta botte de paille !
– Eh quoi ! beaux seigneurs, dit le fou, faut-il pas que j'aille ce soir embrasser la reine ? Ne savez-vous pas qu'elle m'aime et qu'elle m'attend ? »
Tristan brandit sa massue ; ils eurent peur et le laisserent entrer. Il prit Iseut entre ses bras :
« Amie, il me faut fuir deja, car bientot je serais decouvert. Il me faut fuir et jamais sans doute je ne reviendrai. Ma mort est prochaine : loin de vous, je mourrai de mon desir.
– Ami, ferme tes bras et accole-moi si etroitement que, dans cet embrassement, nos deux c?urs se rompent et nos ames s'en aillent ! Emmene-moi au pays fortune dont tu parlais jadis : au pays dont nul ne retourne, ou des musiciens insignes chantent des chants sans fin. Emmene-moi !
– Oui, je t'emmenerai au pays fortune des Vivants. Le temps approche ; n'avons-nous pas bu deja toute misere et toute joie ? Le temps approche ; quand il sera tout accompli, si je t'appelle, Iseut, viendras-tu ?
– Ami, appelle-moi, tu le sais bien que je viendrai !
– Amie ! que Dieu t'en recompense ! »
Lorsqu'il franchit le seuil, les espions se jeterent contre lui. Mais le fou eclata de rire, fit tourner sa massue et dit :
« Vous me chassez, beaux seigneurs ; a quoi bon ? Je n'ai plus que faire ceans, puisque ma dame m'envoie au loin preparer la maison claire que je lui ai promise, la maison de cristal, fleurie de roses, lumineuse au matin quand