ne l'ait d'abord dispute par l'epee. » Ganelon repond : « Vous dites vrai, je le sais bien. »
LX
QUAND Roland entend qu'il sera a l'arriere garde, il dit, irrite, a son paratre : « Ah ! truand, mechant homme de vile souche, l'avais-tu donc cru, que je laisserais choir le gant par terre, comme toi le baton, devant Charles ?
LXI
« DROIT empereur », dit Roland le baron, « donnez-moi l'arc que vous tenez au poing. Nul ne me reprochera, je crois, de l'avoir laisse choir, comme fit Ganelon du baton qu'avait recu sa main droite. » L'empereur tient la tete baissee. Il lisse sa barbe, tord sa moustache. Il pleure, il ne peut s'en tenir.
LXII
Alors vint Naimes : en la cour il n'y a pas meilleur vassal. Il dit au roi : « Vous l'avez entendu, le comte Roland est rempli de colere. Le voila marque pour l'arriere-garde : vous n'avez pas un baron qui puisse rien y changer. Donnez-lui l'arc que vous avez tendu, et trouvez-lui qui bien l'assiste ! » Le roi donne l'arc et Roland l'a recu.
LXIII
L'EMPEREUR dit a son neveu Roland : « Beau sire neveu, vous le savez bien, c'est la moitie de mes armees que je vous offre et vous laisserai. Gardez avec vous ces troupes, c'est votre salut. » Le comte dit : « Je n'en ferai rien. Dieu me confonde, si je demens mon lignage ! Je garderai avec moi vingt mille Francais bien vaillants. En toute assurance passez les ports. Vous auriez tort de craindre personne, moi vivant. »
LXIV
LE comte Roland est monte sur son destrier. Vers lui vient son compagnon, Olivier. Gerin vient et le preux comte Gerier, et Oton vient et Berengier vient, et Astor vient, et Anseis le fier, et Gerard de Roussillon le vieux, et le riche duc Gaifier est venu. L'archeveque dit : « Par mon chef, j'irai ! – Et moi avec vous », dit le comte Gautier ; « je suis homme de Roland, je ne dois pas lui faillir. » Ils choisissent entre eux vingt mille chevaliers.
LXV
LE comte Roland appelle Gautier de l'Hum : « Prenez mille Francais de France, notre terre, et tenez les defiles et les hauteurs, afin que l'empereur ne perde pas un seul des hommes qui sont avec lui. » Gautier repond : « Pour vous je le dois bien faire. » Avec mille Francais de France, qui est leur terre, Gautier sort des rangs et va par les defiles et les hauteurs. Pour les pires nouvelles il n'en redescendra pas avant que des epees sans nombre aient ete degainees. Ce jour-la meme, le roi Almaris, du pays de Belferne, leur livra une bataille dure.
LXVI
HAUTS sont les monts et tenebreux les vaux, les roches bises, sinistres les defiles. Ce jour-la meme, les Francais les passent a grande douleur. De quinze lieues on entend leur marche. Quand ils parviennent a la terre des Aieux et voient la Gascogne, domaine de leur seigneur, il leur souvient de leurs fiefs, et des filles de chez eux, et de leurs nobles femmes. Pas un qui n'en pleure de tendresse. Sur tous les autres Charles est plein d'angoisse : aux ports d'Espagne, il a laisse son neveu. Pitie lui en prend ; il pleure, il ne peut s'en tenir.