LXXIII

UN almacour est la, de Moriane : il n'y a pas plus felon sur la terre d'Espagne. Devant Marsile il fait sa vanterie : « A Roncevaux je conduirai ma gent, vingt mille hommes, portant ecus et lances. Si je trouve Roland, il est mort, je lui en jure ma foi : chaque jour Charles en dira sa plainte. »

LXXIV

D'AUTRE part, voici Turgis de Tortelose : il est comte et la cite de Tortelose est sienne. Aux chretiens il souhaite male mort. Il se range devant Marsile pres des autres et dit au roi : « Ne craignez rien ! Plus vaut Mahomet que saint Pierre de Rome : si vous le servez, l'honneur du champ nous restera. A Roncevaux j'irai joindre Roland : nul ne le garantira contre la mort. Voyez mon epee, qui est bonne et longue. Contre Durendal je veux l'essayer. Laquelle aura le dessus ? Vous l'entendrez bien dire. Les Francais periront, si contre nous ils s'aventurent. Charles le Vieux en aura douleur et honte. Jamais plus sur terre il ne portera la couronne. »

LXXV

D'AUTRE part voici Escremiz de Valterne. Il est Sarrasin et Valterne est son fief. Devant Marsile il s'ecrie dans la foule : « A Roncevaux j'irai, pour abattre l'orgueil. Si j'y trouve Roland, il n'en remportera pas sa tete, ni Olivier, celui qui commande les autres. Les douze pairs sont tous marques pour perir. Les Francais mourront, la France en sera videe. Charles aura disette de bons vassaux. »

LXXVI

D 'AUTRE part voici un paien, Esturgant ; avec lui Estramariz, un sien compagnon : tous deux felons, traitres prouves. Marsile dit : « Seigneurs, avancez ! A Roncevaux vous irez au passage des ports, et vous aiderez a conduire ma gent. » Et ils repondent : « A votre commandement ! Nous attaquerons Olivier et Roland ; contre la mort les douze pairs n'auront pas de garant. Nos epees sont bonnes et tranchantes : nous les ferons vermeilles de sang chaud. Les Francais mourront, Charles en pleurera ; la Terre des Aieux, nous vous la donnerons. Venez-y, roi ; en verite, vous le verrez : nous vous donnerons l'empereur lui-meme. »

LXXVII

TOUT courant vient Margariz de Seville. Celui-la tient la terre jusqu'aux Cazmarines. Pour sa beaute les dames lui sont amies : pas une qui, a le voir, ne s'epanouisse et ne lui rie. Nul paien n'est si bon chevalier. Il vient dans la foule et par-dessus les autres crie au roi : « N'ayez nulle crainte ! A Roncevaux j'irai tuer Roland ; non plus que lui Olivier ne sauvera sa vie ; les douze pairs sont restes pour leur martyre. Voyez mon epee, dont la garde est d'or : c'est l'emir de Primes qui me l'envoya. En un sang vermeil, je vous le jure, elle plongera. Les Francais mourront, France en sera honnie. Charles le Vieux, a la barbe fleurie, a chaque jour qu'il vivra, en aura deuil et courroux. Avant un an, nous aurons la France pour butin ; nous pourrons coucher au bourg de Saint-Denis. » Le roi paien s'incline devant lui profondement.

LXXVIII

D'AUTRE part voici Chernuble de Munigre. Sa chevelure qui flotte descend jusqu'a terre. Il peut en se jouant, quand l'humeur lui en prend, porter, et au dela, la charge de quatre mulets bates. Au pays dont il est, le soleil, dit-on ( ?), ne luit pas, le ble ne peut pas croitre, la pluie ne tombe pas, la rosee ne se forme pas ; il n'y a pierre qui ne soit toute noire. Plusieurs disent que c'est la demeure des diables. Chernuble dit : « J'ai ceint ma bonne epee ; a Roncevaux, je la teindrai en rouge. Si je trouve Roland le preux sur ma voie sans que je l'assaille, jamais ne me croyez plus. Et de mon epee je conquerrai Durendal. Les Francais mourront, France en sera deserte. » A ces mots les douze pairs s'assemblent. Avec eux ils emmenent cent mille Sarrasins, qui

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