en verrez la lame tout ensanglantee. Les felons paiens se sont assembles pour leur malheur. Je vous le jure, ils sont tous livres a la mort. »
LXXXV
« ROLAND, mon compagnon, sonnez votre olifant ! Charles l'entendra, qui est au passage des ports. Je vous le jure, les Francais reviendront. – Ne plaise a Dieu », lui repond Roland, « qu'il soit jamais dit par nul homme vivant que pour des paiens j'aie sonne mon cor ! Jamais mes parents n'en auront le reproche. Quand je serai en la grande bataille, je frapperai mille coups et sept cents, et vous verrez l'acier de Durendal sanglant. Les Francais sont hardis et frapperont vaillamment ; ceux d'Espagne n'echapperont pas a la mort. »
LXXXVI
OLIVIER dit : « Pourquoi vous blamerait-on ? J'ai vu les Sarrasins d'Espagne : les vaux et les monts en sont couverts et les collines et toutes les plaines. Grandes sont les armees de cette engeance etrangere et bien petite notre troupe ! » Roland repond : « Mon ardeur s'en accroit. Ne plaise au Seigneur Dieu ni a ses anges qu'a cause de moi France perde son prix ! J'aime mieux mourir que choir dans la honte ! Mieux nous frappons, mieux l'empereur nous aime. »
LXXXVII
ROLAND est preux et Olivier sage. Tous deux sont de courage merveilleux. Une fois a cheval et en armes, jamais par peur de la mort ils n'esquiveront une bataille. Les deux comtes sont bons et leurs paroles hautes. Les paiens felons chevauchent furieusement. Olivier dit : « Roland, voyez : ils sont en nombre. Ceux-ci sont pres de nous, mais Charles est trop loin ! Votre olifant, vous n'avez pas daigne le sonner. Si le roi etait la, nous ne serions pas en peril. Regardez en amont vers les ports d'Espagne ; vous pourrez voir une troupe digne de pitie : qui aura fait aujourd'hui l'arriere-garde ne la fera plus jamais. » Roland repond : « Ne parlez pas si follement ! Honni le c?ur qui dans la poitrine s'accouardit ! Nous tiendrons fermement, sur place : C'est nous qui menerons joutes et melees. »
LXXXVIII
QUAND Roland voit qu'il y aura bataille, il se fait plus fier que lion ou leopard. Il appelle les Francais et Olivier : « Sire compagnon, ami, ne parlez plus ainsi ! L'empereur, qui nous laissa des Francais, a trie ces vingt mille : il savait que pas un n'est un couard. Pour son seigneur on doit souffrir de grands maux et endurer les grands chauds et les grands froids, et on doit perdre du sang et de la chair. Frappe de ta lance, et moi de Durendal, ma bonne epee, que me donna le roi. Si je meurs, qui l'aura pourra dire : “Ce fut l'epee d'un noble vassal.” »
LXXXIX
D'AUTRE part voici l'archeveque Turpin. Il eperonne et monte la pente d'un tertre. Il appelle les Francais et les sermonne : « Seigneurs barons, Charles nous a laisses ici : pour notre roi nous devons bien mourir. Aidez a soutenir la chretiente ! Vous aurez une bataille, vous en etes bien surs, car de vos yeux vous voyez les Sarrasins. Battez votre coulpe, demandez a Dieu sa merci ; je vous absoudrai pour sauver vos ames. Si vous mourez, vous serez de saints martyrs, vous aurez des sieges au plus haut paradis. » Les Francais descendent de cheval, se prosternent contre terre, et l'archeveque, au nom de Dieu, les a benis. Pour penitence, il leur ordonne de frapper.
XC
LES Francais se redressent et se mettent sur pieds. Ils sont bien absous, quittes de leurs peches, et l'archeveque, au nom de Dieu, les a benis. Puis ils sont remontes sur leurs destriers bien courants. Ils sont armes comme il convient a des chevaliers, et tous bien appareilles pour la bataille. Le