comte Roland appelle Olivier : « Sire compagnon, vous disiez bien, Ganelon nous a tous trahis. Il en a pris pour son salaire de l'or, des richesses, des deniers. Puisse l'empereur nous venger ! Le roi Marsile nous a achetes par marche ; mais la marchandise, il ne l'aura que par l'epee ! »
XCI
Aux ports d'Espagne Roland passe sur Veillantif, son cheval bien courant. Il a revetu ses armes, qui bien le parent. Et voici qu'il brandit sa lance, le vaillant. Vers le ciel il en tourne la pointe ; au fer est lace un gonfanon tout blanc ; les franges [ ?] battent jusqu'a ses mains. Noble est son corps, son visage clair et riant. Apres lui vient son compagnon, et ceux de France l'appellent leur garant. Il regarde menacant vers les Sarrasins, puis, humble et doux, vers les Francais, et leur dit ces mots, courtoisement : « Seigneurs barons, doucement, au pas ! Ces paiens vont en quete de leur martyre. Avant ce soir nous aurons gagne un beau et riche butin : nul roi de France n'eut jamais le pareil. » Comme il parlait, les armees se joignirent.
XCII
OLIVIER dit : « Je n'ai pas le c?ur aux paroles. Votre olifant, vous n'avez pas daigne le sonner, et Charles, vous ne l'avez pas. Il ne sait mot de ces choses, le preux, et la faute n'est pas sienne, et les vaillants que voici ne meritent, eux non plus, aucun blame. Or donc, chevauchez contre ceux-la de tout votre courage ! Seigneurs barons, tenez fermement en bataille ! Je vous en prie pour Dieu, soyez resolus a bien frapper, coup rendu pour coup recu ! Et n'oublions pas le cri d'armes de Charles. » A ces mots les Francais poussent le cri d'armes. Qui les eut ouis crier : « Montjoie ! » aurait le souvenir d'une belle vaillance. Puis ils chevauchent Dieu ! si fierement, et, pour aller au plus vite, enfoncent les eperons, et s'en vont frapper, qu'ont-ils a faire d'autre ? et les Sarrasins les recoivent sans trembler. Francs et paiens, voila qu'ils se sont joints.
XCIII
LE neveu de Marsile – il a nom Aelroth – tout le premier chevauche devant l'armee. Il va disant sur nos Francais de laides paroles : « Felons Francais, aujourd'hui vous jouterez contre les notres. Il vous a trahis, celui qui vous avait en sa garde. Bien fou le roi qui vous laissa aux ports ! En ce jour, douce France perdra sa louange, et Charles, le Magne, le bras droit de son corps. » Quand Roland l'entend, Dieu ! il en a une si grande douleur ! Il eperonne son cheval, le laisse courir a plein elan, va frapper Aelroth le plus fort qu'il peut. Il lui brise l'ecu et lui declot le haubert, lui ouvre la poitrine, lui rompt les os, lui fend toute l'echine. De son epieu, il jette l'ame dehors. Il enfonce le fer fortement, ebranle le corps, a pleine hampe l'abat mort du cheval, et la nuque se brise en deux moities. Il ne laissera point, pourtant, de lui parler : « Non, fils de serf, Charles n'est pas fou, et jamais il n'aima trahir. Nous laisser aux ports, ce fut agir en preux. En ce jour douce France ne perdra point sa louange. Frappez, Francais, le premier coup est notre. Le droit est devers nous, et sur ces felons le tort. »
XCIV
UN duc est la, qui a nom Falsaron. Celui-la etait le frere du roi Marsile ; il tenait la terre de Dathan et d'Abiron. Sous le ciel il n'y a pire truand. Si large est son front qu'entre les deux yeux on peut mesurer un bon demi-pied. Il a grand deuil quand il voit son neveu mort. Il sort de la presse, s'offre a tout venant, pousse le cri d'armes des paiens, lance aux Francais une injure : « En ce jour, France douce perdra son honneur ! » Olivier l'entend, s'irrite. Il eperonne de ses eperons dores, en vrai baron va le frapper. Il lui brise l'ecu, lui dechire le haubert, lui enfonce au corps les pans de son gonfanon, a pleine hampe le souleve des arcons et l'abat mort. Il regarde a terre, voit le traitre qui git. Alors il lui dit fierement : « De vos menaces, fils de serf, je n'ai cure ! Frappez, Francais, car nous les vaincrons tres bien ! » Il crie : « Montjoie ! » – c'est l'enseigne de Charles.
XCV
UN roi est la, qui a nom Corsablix. Il est de