moyen de deux cordes soyeuses. Elle allait le transporter et le proteger jusqu’a l’eclosion des ?ufs. Et alors, quatre ou cinq cents petits monstres seraient laches dans la vallee…

Des l’instant de leur eclosion, ils seraient aussi meurtriers que leur mere. Leur corps aurait la dimension d’un poing d’homme. Avec leurs pattes de trente centimetres, ils pourraient faire des bonds de deux metres. Leurs petits crochets a venin seraient aussi venimeux que ceux de leur mere. Tout comme l’horrible monstre gris qui les avait engendres, ils manifesteraient une haine demente des autres formes de vie.

Abandonnant tout autre projet, Burl repartit vers sa tribu. Il apportait des nouvelles qui presentaient l’avantage de le rendre a nouveau indispensable. Cependant, il aurait mille fois prefere echanger ce plaisir contre l’absence de la tarentule. La vallee n’etait plus un paradis : la tribu devait s’enfuir ou perir.

Burl avertit ses compagnons de l’arrivee de la tarentule. Ils l’ecouterent en ecarquillant les yeux. Mais ils ne comprirent pas du tout le danger. Un peril eloigne ne representait rien pour eux. Lorsque Burl leur intima avec insistance l’ordre de le suivre pour recommencer un nouveau voyage, ils inclinerent la tete d’un air gene, mais ils se glisserent dehors. Burl ne reussit pas a rassembler la tribu. Il y en avait toujours qui se cachaient et qu’il fallait chercher. Pendant ce temps, ceux qu’il avait reunis disparaissaient avant son retour.

On vecut dans la vallee des jours de grande lumiere et de meurtre, des nuits de pluie lente et de mort. Sous le banc des nuages, les grands insectes commettaient des atrocites les uns envers les autres, puis se repaissaient benoitement de leurs victimes. Des parents prevoyants paralysaient d’autres insectes qu’ils laissaient en vie et sans defense pour servir de nourriture a leurs petits. Les humains etaient indifferents a ces choses. Ils etaient inquiets. Mais, comme il est naturel aux hommes, ils ne voulaient pas croire au pire avant que le pire ne survienne.

Quinze jours apres l’installation de la tribu dans la vallee, l’evenement tant redoute se produisit.

La premiere lueur grise de l’aube trouva le groupe des humains tremblant de terreur. Les ?ufs du monstre gris etaient eclos. La vallee semblait grouiller de petits demons qui tuaient sans relache, meme lorsqu’ils ne pouvaient pas se nourrir de leurs victimes. Lorsque deux d’entre eux se rencontraient, ils se battaient avec fureur et le vainqueur devorait le vaincu. Ils etaient trop petits et trop rapides pour qu’on puisse les combattre avec des lances ou des massues.

Aussi les humains desesperes attendaient-ils la mort. Ils avaient passe la nuit en plein air, de peur d’etre bloques dans les fourres qui les avaient proteges jusque-la. Maintenant, ils etaient a decouvert et l’enorme assassin gris pouvait les apercevoir.

Le monstre apparut. Une jeune fille l’apercut et poussa un hurlement. Mais lui n’avait pas repere les hommes. Ces derniers virent la tarentule sauter sur une chenille aux couleurs vives et la tuer. Ainsi, la vallee, ce paradis, etait condamnee a devenir un charnier.

Alors, Burl, se secoua. Il avait ete furieux quand il avait quitte ses compagnons pour faire son voyage. Et plus furieux encore a son retour, lorsque les gens de la tribu avaient refuse de lui obeir. Il etait reste aupres d’eux, se drapant dans une dignite offensee, gardant un silence irrite et refusant systematiquement de repondre a la moindre avance, meme venant de Saya. Ce comportement de Burl etait assez pueril. Mais ses compagnons etaient semblables a des enfants. Et c’etait pour lui la meilleure facon de se faire comprendre.

Les autres tremblaient, trop desesperes pour s’enfuir, tandis que le monstre hirsute festoyait a huit-cents metres de la. Outre Burl, il y avait six hommes et sept femmes, le reste etant des enfants qui s’echelonnaient, des adolescents a un petit bebe. Ils pleurnichaient. Saya, oubliant maintenant toute coquetterie, jeta a Burl un regard implorant. Les autres se lamenterent plus bruyamment. Ils avaient atteint un tel degre de desespoir qu’ils auraient pu attirer le monstre par leurs sanglots.

C’etait le moment psychologique.

— Venez ! leur dit Burl d’un ton severe.

Il prit Saya par la main et partit. Il n’y avait qu’une seule direction dans laquelle un etre humain pouvait songer a s’enfuir a ce moment, c’etait celle qui tournait le dos a l’affreuse mere des monstres. C’etait la muraille qui limitait la vallee.

Avec Saya, Burl commenca son ascension.

Avant qu’ils aient parcouru dix metres, Dor parla a sa femme. Avec leurs trois enfants, ils suivirent Burl. Cinq metres encore et Jak, fievreusement, entrainait sa famille sur les pas du couple. Le vieux Jon, toujours essouffle, se precipita. Cori suivit le mouvement. Elle portait ses plus jeunes enfants dans ses bras et poussait les autres devant elle.

Quelques secondes encore, et toute la tribu etait en marche.

Burl avancait, conscient de la presence des autres derriere lui, mais affectant de les ignorer. Le groupe continuait a le suivre uniquement parce qu’il avait commence a le faire. Dik, a qui la terreur avait fait perdre son arrogance d’adolescent, fixait d’un air envieux l’arme que tenait Burl. Il apercut quelque chose qui etait a moitie enfoui dans la terre. Apres avoir jete un coup d’?il apeure derriere lui, il alla regarder l’objet de plus pres. C’etait un fragment de la cuirasse d’un hanneton-rhinoceros. Tet rejoignit son ami pour l’aider a tirer sur le morceau de cuirasse. Les deux jeunes gens montraient beaucoup de courage en s’attardant dans leur fuite pour se procurer des armes.

Les fugitifs laisserent bientot derriere eux un laiteron. Souffreteux, il ne s’elevait guere a plus de sept metres et sa base etait deja infestee de teignes et de rouilles. Des fourmis guerrieres, venues specialement en procession d’une fourmiliere voisine, en parcouraient le tronc afin d’y deposer des pucerons producteurs de miellat aux endroits les plus favorables. Mais une larve de fourmi-lion, dissimulee jusque-la a l’abri d’une branche basse, ne tarda pas a se montrer et a faire son choix parmi les elements les plus gras du troupeau : si les fourmis guerrieres elevaient en effet avec le plus grand soin des troupeaux de pucerons dans le seul but de les traire, les fourmis-lions, en revanche, en faisaient leur proie de predilection et les devoraient sans pitie.

Burl continuait a marcher, tenant Saya par la main. Une odeur acre d’acide formique parvint a ses narines. Il ne s’en inquieta pas. Les fourmis representaient maintenant une proie aussi banale pour ses compagnons que les crabes ou les langoustes pour les habitants de la Terre. Burl ne se souciait pas de nourriture. Il voulait avancer sur les pentes montagneuses.

Dik et Tet arrivaient, brandissant leurs nouvelles armes. Ils jeterent un coup d’?il craintif par-dessus leur epaule. La tarentule etait plongee dans son macabre repas. Ils en etaient loin maintenant. Les deux jeunes gens s’arreterent devant une procession de fourmis. De loin en loin, il y avait des breches dans la colonne des ouvrieres. Les adolescents couperent la file par une de ces trouees.

Lorsqu’ils furent passes, Tet et Dik s’arreterent pour discuter. Ils se lancerent un defi. Ils revinrent a la colonne de fourmis. Ils frapperent de leurs armes. Les fourmis ecrasees moururent sur-le-champ. Quant aux survivantes, elles poursuivirent placidement leur chemin. Les armes frapperent a nouveau. Chacun des deux adolescents cherchait a surpasser l’autre. Mais ils avaient plus de viande qu’ils n’en pouvaient porter. Triomphalement, ils rattraperent la tribu au pas de course. Ils distribuerent genereusement leur butin. C’etait une forme de vantardise. Mais les autres accepterent automatiquement ces cadeaux. Apres tout, c’etait de la nourriture.

Les deux garcons, tout en jacassant entre eux, revinrent sur leurs pas en courant. Une fois encore, ils rapporterent des masses de viande, une dizaine de fourmis dont les pattes contenaient une chair consistante.

La-bas, en arriere, la fourmi-lion continuait de prelever sa dime sur le troupeau stupide de pucerons. Les fourmis guerrieres ne tarderent cependant pas a constater les coupes sombres effectuees dans ce qui leur appartenait en propre. Elles le prirent de haut. Une bataille sanglante etait sur le point de s’engager.

Burl guidait ses compagnons sur les premieres pentes de la montagne. Il s’arreta sur une petite eminence pour jeter un coup d’?il autour de lui. Sur la planete oubliee, la prudence etait toujours la condition meme de l’existence.

A cinquante metres en avant, une araignee fourrageait fievreusement a travers des couches de matiere en decomposition abritant des colonies de larves minuscules qu’elle devorait dans un abominable bruit de deglutition. Mais elle etait toute a sa tache. Et puis les araignees sont, en regle generale, relativement myopes.

Le jeune chef se retourna et s’apercut que la tribu tout entiere l’avait suivi craintivement sur cette hauteur ou il n’avait grimpe que pour mieux voir les alentours. Dor, lui, profita de la pause de Burl. Il decouvrit une carapace de grillon, videe, en partie recouverte par la terre fongoide. Il arracha la machoire creuse qui avait la forme d’une faucille. Elle etait incurvee et pointue. Si on savait la manier, elle pouvait constituer une arme meurtriere. Dor avait vu Burl tuer des animaux. Maintenant il cherchait avec acharnement quelque chose qui lui permette de tuer tout seul. Jak qui le vit s’affairer sur l’arme en forme de faucille vint tirer lui aussi sur la carcasse

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