etait devenue pure et transparente.

Au-dessus de la gorge, une araignee avait accroche sa toile qui traversait l’abime comme un pont sur une largeur de cent cinquante metres. Les passagers des radeaux apercurent l’araignee, d’une taille monstrueuse meme pour son espece. Son ventre gonfle avait plusieurs metres de diametre. Elle resta suspendue, immobile au centre de son repaire, tandis que les hommes passaient sous elle.

Enfin les montagnes s’ecarterent et la tribu se trouva dans une vallee. On ne voyait plus la moindre trace des lycoperdons. Les hommes aborderent la rive pendant qu’il faisait encore jour et les radeaux furent amarres.

L’obscurite tomba avant que la tribu ne puisse explorer les lieux. Par prudence, Burl et ses compagnons se cacherent jusqu’au matin dans un massif de champignons. Les bruits de la nuit leur etaient parfaitement familiers. Seul, le crissement des grandes sauterelles vertes etait plus grave que sur les basses terres qu’ils avaient quittees. Cela tenait au fait qu’ici, les vegetaux dominant nettement les fongoides, ces herbivores avaient pu s’epanouir davantage. D’innombrables lucioles lancaient leurs feux dans la penombre, ce qui indiquait que les escargots dont elles faisaient leur ordinaire devaient pulluler sur ces nouveaux territoires. Les hommes pourraient tirer profit de la chair succulente de ces gasteropodes – mais l’instinct de predateur ne s’etait pas encore completement reveille chez eux.

Depuis quelques jours, leur vie avait bien change. Ces hommes n’etaient plus la vermine traquee qu’ils avaient ete jusqu’alors. Ils avaient appris l’usage des armes. Ils avaient appris aussi a tuer pour se nourrir. Et meme a tuer pour faire preuve de courage. Dans une certaine mesure, ils etaient tous en train d’acquerir les qualites de Burl. Cependant, ils etaient en retard sur lui… et lui-meme avait encore bien du chemin a faire.

Le lendemain, les gens de la tribu explorerent leur nouveau territoire avec une temerite qui aurait ete inimaginable quelques semaines plus tot. Ils se trouvaient dans une vallee qui se terminait par un marais. Au dela de ce marais, il y avait la mer. Mais la curiosite des hommes ne les emmena pas jusque-la. Ils n’exploraient pas pour s’instruire, mais dans un but strictement pratique. Burl decouvrit dans le sol une grande trappe, indice certain de la presence d’une araignee. Le jeune homme estima qu’il faudrait bientot s’occuper du monstre. Mais il ne savait pas encore comment proceder.

Ses compagnons etaient en train de devenir rapidement une tribu d’hommes. Cependant, ils avaient encore besoin que Burl pense pour eux. Guides par lui, ils explorerent leur nouvel environnement. La plus proche fourmiliere se trouvait a des kilometres. C’etait une bonne chose. Cela signifiait que les groupes de fourmis qu’on rencontrerait seraient des avant-gardes plutot que des ouvrieres. Ainsi, la fourmiliere deviendrait une source de petites proies. Dans la region poussaient de nombreux choux geants. On y trouverait de grosses limaces sans defense que l’on pourrait tuer avec les lances si besoin etait. Enfin, il y avait partout des champignons comestibles.

La vallee n’etait cependant pas sans presenter certains dangers. Ainsi, les hommes apercurent de loin des mantes religieuses adultes, aussi grandes que des girafes. Pourtant, si l’on parvenait a eviter ces mantes religieuses, les araignees et les hannetons carnivores, si l’on reussissait a se dissimuler la nuit aux yeux des araignees males qui interrompaient leurs ebats amoureux pour tout devorer sur leur chemin, eh bien, on pourrait mener une existence tout a fait confortable dans le nouveau domaine.

Pendant quelques jours, les hommes de la tribu eurent l’impression d’avoir decouvert une sorte d’eden. Il n’y avait pas trace de lycoperdons. Il y avait de quoi manger. N’importe qui pouvait circuler tranquillement sans crainte d’etre devore. C’etait vraiment le paradis. Jon avait le ventre plein a eclater. Tama elle-meme ne grommelait plus. Tet et Dik devinrent de tres habiles chasseurs de fourmis. Dor avait trouve une lance magnifique et se livrait a un entrainement serieux.

En fait, cet etat de choses etait deplorable ! Il n’est pas bon pour les humains de se sentir en securite et de vivre dans le contentement. Les hommes ne progressent que grace au besoin ou a la crainte.

Les compagnons de Burl sombrerent dans une lethargie beate. Ils ramassaient de quoi manger, puis se cachaient jusqu’a ce qu’ils aient tout consomme. Ils ne se deplacaient que pour chercher leur nourriture. Et ils n’avaient pas besoin d’aller loin. La tribu retrogradait. Les chasseurs oublierent de prendre leurs nouvelles lances ou leurs massues. Dans ce milieu particulierement favorable, les hommes se transformaient de nouveau en gibier impuissant.

Quant a Burl, il etait furieux. Il avait connu une veritable adulation. Or, on l’aimait encore, bien sur, mais l’adulation avait disparu. Saya elle-meme…

Un changement s’etait opere en Saya. Lorsque Burl s’etait conduit en chef, elle l’avait regarde avec veneration. Maintenant qu’il etait un homme comme les autres, elle etait devenue coquette. Or, Burl etait un etre humain d’un caractere particulierement direct. Il etait capable de commander, mais non d’intriguer. Il etait vaniteux, mais se trouvait desarme devant une situation romanesque. Lorsque Saya s’avisa malicieusement de rester avec les autres femmes de la tribu, Burl crut qu’elle le fuyait. Lorsqu’elle se deroba et ne lui adressa plus la parole, il s’imagina qu’elle ne voulait plus de sa compagnie et il se facha.

Il y avait une semaine que la tribu habitait la nouvelle vallee. Un beau jour, Burl, plein d’amertume, partit tout seul. Il etait sans doute pousse par une rancune enfantine. Il avait ete le grand homme de la tribu. Et maintenant, il n’etait plus si grand parce qu’on n’avait pas besoin de ses qualites particulieres. Aussi, dans un acces de mauvaise humeur, il partit. Il avait peut-etre l’intention inconsciente de punir les autres de leur indifference.

Le jeune homme portait toujours lance et massue. Mais son costume avait perdu de sa splendeur. Sa cape avait disparu. Les antennes de phalene qu’il portait sur le front etaient si depenaillees qu’elles etaient ridicules.

Le jeune homme parvint aux pentes qui limitaient la vallee. Elles ne presentaient pas d’interet. Il trouva une vallee plus petite dans laquelle une araignee a labyrinthe avait construit son repaire luisant. Burl regarda la bete avec mepris. Il pouvait la tuer s’il le voulait, en la frappant a travers les parois de son nid soyeux.

Il apercut aussi des mantes religieuses. Il tomba meme une fois sur l’extraordinaire nid de la tribu des mantes. C’etait une enorme masse d’ecume en forme de feuille, secretee par la mere et dans laquelle elle pondait ses ?ufs.

Il trouva une chenille enveloppee dans son epais cocon et, des?uvre, l’etudia avec soin. Il alla meme, au prix de grandes difficultes, jusqu’a dechirer la matiere soyeuse et a en derouler quelques metres. S’il avait reflechi, il se serait rendu compte qu’il avait la de la corde et qu’il pouvait en tisser des pieges et des filets semblables a ceux des araignees.

Mais, encore une fois, il n’etait pas la pour faire des decouvertes – seulement pour manifester sa mauvaise humeur a l’egard du reste de la tribu.

Burl croisa une mante religieuse de plus d’un metre qui leva ses pattes de devant et attendit, immobile, qu’il passe a sa portee. Il fut tente de la combattre. Mais sa lance aurait ete peu pratique contre un adversaire si mince. Quant a sa massue, elle n’aurait pas ete assez rapide pour parer les mouvements vifs de l’insecte.

Burl s’ennuyait. Il chassa des fourmis. Avant la tombee de la nuit, il en avait tue trois. Il accrocha les trois carcasses a sa ceinture.

Au coucher du soleil, Burl tomba sur une autre mante religieuse, eclose depuis peu. C’etait presque une embuscade. Le jeune monstre, immobile, attendait que l’homme passe pres de lui.

Burl tenta une experience. L’horrible petite bete arrivait a la hauteur de ses epaules. Elle pouvait etre un antagoniste mortel. Burl lui jeta une fourmi.

La bete frappa si vite que le geste de ses avant-bras fut invisible. Puis, ignorant Burl, elle devora la fourmi.

Le jeune homme venait de faire la une experience qui pouvait se reveler d’une extraordinaire utilite.

Le second jour de son voyage errant, Burl fit une rencontre qui le terrifia. C’etait une araignee chasseresse, une femelle noire, la grande tarentule americaine.

Lorsque Burl apercut la bete, il blemit.

L’araignee etait un veritable geant. Ses pattes avaient plusieurs metres de long. Ses crochets a venin, aceres comme des aiguilles, etaient longs de pres d’un metre. Ses yeux etincelaient d’une insatiable et demente soif de sang. Sa presence etait dix fois plus meurtriere pour les humains, comme d’ailleurs pour les autres etres vivants de la vallee, que ne l’aurait ete celle d’un tigre du Bengale lache dans une rue terrestre.

En outre, la tarentule apportait a sa suite un desastre pire encore.

En effet, elle trainait une poche a ?ufs plus grosse que son propre corps. Elle remorquait son fardeau au

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