poussiere rouge et transformer en boue inoffensive les spores repandues sur le sol.

C’etait une entreprise d’une telle folie qu’aucun homme civilise ne l’aurait tentee. Il n’y avait pas d’etoiles pour se guider, ni de compas pour indiquer la route. Il n’y avait aucune lumiere, aucune possibilite de maintenir une ligne droite dans l’obscurite. Il fallait se fier a la chance dans cette tentative qui etait peut-etre la plus folle que des humains aient jamais acceptee de risquer.

Pour suppleer a leurs sens defaillants, ils utiliserent les longues antennes d’un hanneton. Quand ils entrerent en file dans la plaine rouge, Burl, qui marchait en tete, balaya le chemin avec une des antennes plumeuses. Saya, qui ne le quittait pas, l’aidait dans cette tache avec l’autre antenne. La tribu suivait. Ils se tenaient tous par la main.

Le ciel etait completement noir. Mais, dans une plaine, l’obscurite n’est jamais totale. Et puis, il y avait des phosphorescences, des champignons qui repandaient leur propre luminosite, des rouilles qui brillaient faiblement. Il n’y avait ni lucioles ni vers luisants pour eclairer la petite troupe. Tous etaient morts. Mais il n’y avait pas non plus d’ogres pour lui donner la chasse. Ils avancaient lentement, en une seule colonne, a travers les lycoperdons rouges. Au bout d’une demi-heure, Burl lui-meme doutait de suivre la ligne qu’il s’etait tracee. Une heure plus tard, tous se disaient avec desespoir qu’a l’aube ils se trouveraient au milieu de la poussiere rouge qui leur rendrait l’air irrespirable. Ils n’en continuaient pas moins d’avancer.

A un moment donne, ils reniflerent l’odeur penetrante des choux. Suivant leur odorat, ils ne tarderent pas a atteindre un taillis de ces vegetaux geants que les moisissures parasitant leurs feuilles faisaient luire faiblement dans la nuit. Et, pour la premiere fois depuis des heures, ils virent des creatures vivantes : d’enormes chenilles qui devoraient inlassablement afin de tuer le temps en attendant l’heure de la metamorphose. Burl les aurait volontiers insultees dans sa rage de voir qu’elles etaient – croyait-il – immunisees contre la mort rouge.

Et elles l’etaient, en quelque sorte : l’epaisse fourrure qui les revetait, particulierement dense au niveau des events par lesquels elles respiraient, faisait office de filtre et retenait les spores empoisonnees.

Un jour, peut-etre, les hommes auraient-ils l’idee de detacher leur pagne de fourrure et de le rouler devant leur nez. Mais ce moment-la n’etait pas encore arrive.

Cependant, avec la docilite du desespoir, la tribu suivit Burl pendant toute la nuit. Lorsque le ciel commenca a palir a l’est, elle se resigna passivement a la mort. Dans la lumiere grise du petit matin, Burl, harasse, regarda autour de lui. On se trouvait dans une petite clairiere circulaire, entierement environnee des redoutables lycoperdons. Il ne faisait pas encore assez clair pour que les couleurs soient visibles. Le sol etait recouvert de boue. On n’entendait aucun bruit. Un leger soupcon de l’odeur chaude et poivree des spores flottait dans l’air.

Burl fut pris d’un amer decouragement. Bientot les nuages de poussiere commenceraient a se deplacer, la brume rougeatre se formerait autour d’eux…

Soudain, le jeune homme leva la tete et poussa un cri de joie. Il avait entendu un bruit d’eau courante.

Ses compagnons le regarderent avec un espoir naissant. Comme, sans un mot, Burl se mettait a courir, ils le suivirent. Ils haterent le pas en l’entendant pousser un hurlement de triomphe. Ils traverserent un fouillis de plantes fongoides et se trouverent sur le bord d’une large riviere. C’etait l’eau que Burl avait vu briller la veille a l’horizon.

Une fois deja Burl avait descendu une riviere en flottant sur un radeau de champignon. Ce voyage avait ete involontaire. Le c?ur desole, Burl avait ete emporte loin de Saya et de sa tribu. Mais, ce matin-la, il fixa le courant rapide avec ravissement.

Le jeune homme observa le bord de la riviere a droite et a gauche. Par endroits, le rivage formait un a-pic et des champignons s’avancaient par paliers au-dessus de l’eau. Burl s’affaira. Il frappa de sa lance les cryptogames les plus durs et s’efforca de les detacher. Les hommes le regardaient sans comprendre. Mais il leur donna l’ordre de faire comme lui.

Bientot, deux douzaines de champignons, legers et fermes comme du liege, furent alignes le long de l’eau. Burl expliqua ce qu’il voulait en faire. Mais, tout de suite, Dor protesta. Les autres en firent autant. Ils avaient peur de se separer de Burl. S’ils pouvaient embarquer sur le meme radeau que lui, ce serait different. A l’idee d’une separation, la vieille Tama se plaignit d’une voix aigue. Jon tremblait a cette seule pensee.

Burl jeta un regard inquiet vers le ciel. Le jour approchait rapidement. Bientot les lycoperdons eclateraient. Ce n’etait pas le moment de discuter. Mais Saya parla doucement au jeune homme.

Burl accepta le grand sacrifice qu’elle lui demandait. Il ota de ses epaules sa somptueuse cape veloutee. Il la dechira en une douzaine de morceaux irreguliers, en suivant les tendons qui avaient renforce l’aile du phalene. Il planta sa lance verticalement dans le plus grand radeau. Les autres l’imiterent. Et des filins improvises joignirent les champignons les uns aux autres.

Quelques minutes plus tard, une petite flottille dansait dans l’eau. Un par un, Burl installa ses compagnons. Il leur donna des instructions severes. Puis il poussa les flotteurs au large. Le train de radeaux s’ecarta lentement de la rive et fut pris par le courant. Burl et Saya etaient assis sur le meme morceau de champignon. Les autres, confiants, mais effrayes, les suivaient.

La brume de l’aube se leva. Des colonnes de poussiere rouge jaillirent de la plaine. Mais les radeaux instables descendaient rapidement la riviere, dansant et tournoyant dans le courant, portant des passagers aux yeux ecarquilles qui fixaient les rives avec etonnement.

Au bout de huit a dix kilometres, les vesses-de-loup rouges devinrent moins nombreuses. D’autres formes de vegetation les remplacerent. Des moisissures et des rouilles couvraient le sol comme une herbe. Des champignons veneneux exhibaient leurs tetes rondes et cremeuses. On voyait des plantes etranges, informes, et qui imitaient des arbres au tronc gonfle. Un des hommes apercut la silhouette monstrueuse d’une tarentule.

Tout le long d’une interminable journee, ils descendirent avec le courant. Les insectes, dont on n’avait pas rencontre un seul type dans la plaine de mort, redevenaient abondants. Des abeilles bourdonnaient a nouveau au-dessus d’eux, avec des guepes et des libellules. Des moustiques de dix centimetres apparurent. Il fallut les chasser a grands coups de lance. Des hannetons etincelants volaient lourdement. Des mouches de toutes les teintes metalliques possibles voletaient partout. Des papillons enormes dansaient, comme transportes d’extase du simple fait qu’ils etaient vivants.

Les mille et une forme de la vie des insectes volaient, rampaient, nageaient et plongeaient sous les yeux des passagers des radeaux. Les dytiques montaient paresseusement a la surface de l’eau pour attraper d’autres insectes. Les phryganes flottaient dans les tourbillons et les remous.

Le jour s’ecoula. Les rives defilerent. Les gens de la tribu mangerent leurs provisions et burent a la riviere. Lorsque l’apres-midi vint, les berges s’abaisserent et le courant diminua. Les rives devinrent imprecises. La riviere se fondit en un vaste marais d’ou montait un murmure continu.

La couleur de l’eau semblait s’assombrir au fur et a mesure qu’une vase noiratre remplacait l’argile qui en avait jusque-la forme le lit. D’enormes choses vertes apparurent bientot, qui ne derivaient pas avec le courant. C’etaient les feuilles de nenuphars qui, avec les choux et quelques rares vegetaux, etaient parvenus a s’acclimater a ce milieu voue aux champignons et aux moisissures. Larges de quatre a cinq metres de diametre, elles auraient aisement supporte le poids de Burl et des membres de sa tribu.

Les nenuphars se firent bientot si nombreux que seul un mince filet d’eau permettait aux embarcations de se frayer un passage a travers ces kilometres de feuilles flottantes d’ou emergeait ca et la une fleur gigantesque, repandant des flots de parfum d’une intensite quasi insoutenable.

Des coassements d’un volume sonore inimaginable ne tarderent pas a se faire entendre sur les deux rives. Ils emanaient de grenouilles de trois metres de long, qui proliferaient dans la region. Burl et ses compagnons allaient bientot les voir, geants verts immobiles, la gueule ouverte dans un coassement qui semblait ne pas devoir connaitre de fin.

Ici, dans les marais, il y avait une telle profusion d’insectes que les meilleurs terrains de chasse connus des humains semblaient autant de deserts en comparaison. Des myriades de moucherons, d’a peine dix centimetres, frolaient la surface, comme amoureux de leur propre reflet.

Sur leurs radeaux improvises, les membres de la tribu s’emplissaient les yeux de toutes les nouveautes qu’ils decouvraient, emerveilles. Lorsque la riviere se scinda en plusieurs bras, ce paysage devint deroutant, rien n’y etait familier. Il n’y poussait pas de champignons, mais des moisissures et aussi des roseaux, des massettes dont les tiges hautes comme des arbres dominaient l’eau d’une quinzaine de metres.

Au bout d’un certain temps, les cours d’eau se rejoignirent de nouveau. Des petites collines se dessinerent a travers la brume plus epaisse. La riviere se coula entre leurs flancs. Elle s’engagea dans une gorge a travers des montagnes. Les radeaux continuerent a descendre en tournoyant dans la passe etroite aux parois abruptes. L’eau

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