hanneton s’eleva, passant de l’obscurite du sol jusqu’a celle, plus terrifiante encore, du ciel. Il montait toujours. Si Burl avait pu crier, il l’aurait fait. Mais il etait incapable d’emettre un son. Il ne pouvait que s’accrocher, les yeux exorbites de terreur.

Soudain, ce fut la chute. Le gros insecte volait lourdement, comme tous les hannetons. Le poids de Burl et sa blessure le rendaient plus maladroit encore. Il y eut un bruit d’ecrasement et un choc. Burl fut arrache de sa monture et projete au loin. Il s’ecrasa sur le dessus spongieux d’un champignon. Et il s’immobilisa.

Le jeune homme entendit le bourdonnement de la bete. Elle essayait a nouveau de s’envoler. Mais elle souffrait. Burl avait tourne et retourne la lance dans la plaie lorsqu’il avait ete arrache du sol. L’arme s’etait enfoncee profondement, aggravant la premiere blessure.

Le hanneton decolla. Puis s’ecrasa de nouveau. Burl glissa doucement jusqu’au sol. Il entendait l’insecte se debattre dans l’obscurite. Ses ailes fouettaient l’air selon un rythme desordonne.

Lorsque l’animal retomba, il y eut un silence. Burl n’entendait plus que le bruit regulier des gouttes de pluie. Il reprit courage et il comprit tout a coup qu’il avait tue une proie encore plus magnifique qu’une araignee, car le hanneton etait comestible.

Le jeune homme se surprit en train de courir vers le point ou le coleoptere s’etait ecrase pour la derniere fois.

La bete etait blessee a mort. Burl en etait certain. Elle tentait encore de s’envoler. Elle fit des mouvements desesperes, se souleva, puis s’abattit une fois de plus.

Burl se trouvait a quelques metres du hanneton lorsqu’il songea que, sans sa lance, il etait completement desarme. Le gigantesque insecte se debattait furieusement sur le sol, jetant de tous cotes ses pattes colossales. Il parvint a se soulever. Mais il s’affaiblissait. Et il retomba dans les champignons. Il s’agita affreusement dans l’obscurite.

Burl s’approcha et attendit.

Soudain, la bete heurta quelque chose. On entendit un craquement et aussitot l’odeur poivree, piquante, de la poussiere rouge se repandit dans l’air. Le hanneton avait percute un lycoperdon plein a craquer de ses spores meurtrieres. Sans ce choc, le champignon aurait attendu la lumiere du jour pour eclater.

Burl, haletant, prit la fuite. Derriere lui il entendait sa victime qui faisait une ultime tentative pour s’envoler. La douleur avait declenche une activite desordonnee chez le hanneton. Il vola un peu et piqua vers le sol pour la derniere fois.

Un jour, peut-etre, Burl et ses compagnons apprendraient a se servir des lycoperdons comme arme. Pour l’instant, Burl avait peur. Il avancait rapidement, en evitant de se trouver sous le vent. La poussiere lui avait derobe sa victoire sur le hanneton. De plus, le jeune homme se rendait compte qu’il avait ete emporte dans une direction inconnue et separe de ses compagnons. Il ne savait pas comment les retrouver dans l’obscurite.

Il se blottit sous le plus proche des gros champignons et attendit l’aube, la gorge seche, sursautant a chaque bruit. Mais seuls parvinrent a ses oreilles les battements d’ailes des insectes nocturnes et le bourdonnement des hannetons truffiers au ventre gris qui inspectaient les buissons de champignons. Tout cela, bien sur, en plus du bruit monotone des gouttes de pluie qui tombaient du ciel.

Les lycoperdons rouges n’eclataient pas la nuit. Mais, des que le jour parut, la premiere chose que vit Burl fut une grande gerbe de spores que projetait en l’air une sphere a l’aspect parchemine. Le jeune homme se leva et jeta un coup d’?il inquiet autour de lui. Tout le paysage etait ponctue par les panaches de poudre rouge qui montaient l’un apres l’autre. Un ancien habitant de la Terre aurait pu comparer ce spectacle a celui d’un bombardement methodique. Naturellement, Burl, lui, n’avait aucun point de comparaison.

A une centaine de metres a peine, gisait le cadavre du hanneton. Il paraissait flasque et recroqueville. Burl le contempla pensivement. Puis il nota un detail qui le remplit de fierte. Il vit que sa lance s’etait enfoncee profondement dans la jointure, entre le cou et le corselet de l’insecte. Meme si la poussiere rouge n’avait pas acheve l’animal, la pointe de la lance l’aurait fait.

Burl fut, une fois encore, transporte par sa grandiose superiorite. Il constata qu’il etait un prodigieux tueur. Comme preuve de sa valeur, il prit les antennes du hanneton et il coupa une grosse patte qu’il emporta pour sa viande. Puis il se souvint qu’il ne savait comment retrouver ses compagnons. Il ignorait totalement de quel cote se diriger.

Un homme civilise lui-meme aurait ete desoriente. Mais il aurait cherche une hauteur d’ou il pourrait apercevoir la falaise, cachette de la tribu. Burl n’avait pas encore progresse jusque-la. Sa folle chevauchee de la nuit precedente, il ne l’avait pas voulue et la chasse au hanneton blesse avait ete dictee elle aussi par le hasard.

Il ne trouvait pas de solution. Il repartit anxieusement, cherchant de tous cotes, tout en restant a l’affut des dangers et en surveillant les lycoperdons.

Au bout d’une heure de marche, Burl crut reconnaitre l’endroit ou il se trouvait. Mais il etait revenu au hanneton mort. Celui-ci etait deja le centre d’un fourmillement de petits corps noirs qui tiraillaient la dure carcasse et arrachaient de gros morceaux de viande. Ainsi, depuis son depart, le jeune homme n’avait fait que tourner en rond.

Burl repartit en prenant soin d’eviter les endroits qu’il avait deja vus le matin. Parfois, il traversait de dangereux massifs de champignons. Et parfois des zones relativement degagees. Il evita plus d’une fois les nuages de poussiere rouge. Une profonde anxiete l’emplissait. Il ignorait tous les moyens inventes par les hommes pour s’orienter. Il savait seulement qu’il lui fallait, coute que coute, retrouver ses compagnons.

Eux, de leur cote, croyaient Burl mort. La vieille Tama se lamentait d’une voix stridente. Pour la tribu, la nuit signifiait la mort. Lorsqu’ils ne virent pas revenir Burl pour le festin de champignons que Jon et Dor avaient rapportes, ils le chercherent. Ils se risquerent meme a appeler timidement dans l’obscurite. Ils entendirent un battement d’ailes immenses, comme si un enorme insecte montait desesperement vers le ciel. Mais ils n’associerent pas Burl a ce bruit. D’ailleurs, s’ils l’avaient fait, ils n’auraient plus eu aucun doute sur son sort.

Le malaise de la tribu se transforma peu a peu en terreur, puis en desespoir. Qu’allaient-ils faire sans ce chef intrepide pour les guider ? Burl etait le premier homme qui se soit fait obeir sur la planete oubliee. Et la soumission de ses compagnons avait ete d’autant plus complete qu’elle etait une nouveaute. La perte du jeune homme n’en etait que plus consternante. Lorsque ses congeneres eurent accepte le fait qu’il avait disparu, ils retrouverent toutes leurs anciennes craintes.

Ils se tenaient serres les uns contre les autres et parlaient a voix basse. Ils attendirent en tremblant durant toute l’interminable nuit. Si une araignee chasseresse etait apparue, ils se seraient enfuis dans toutes les directions et, sans aucun doute, auraient tous peri. Mais le jour revint. Ils se regarderent et lurent dans tous les regards la meme frayeur. Saya etait la plus pitoyable du groupe. Son visage etait plus pale et plus tire que celui des autres.

Lorsque le jour s’eclaircit, ils ne bougerent pas. Ils demeurerent pres des tunnels creuses par les abeilles, serres les uns contre les autres, chuchotant, surveillant l’horizon dans la crainte des ennemis. Saya refusa de manger. Elle restait immobile, les yeux dans le vide, toute a son chagrin muet. Burl etait mort.

Au-dessus de la petite falaise, un lycoperdon rouge brillait dans la lumiere du matin. Sa peau dure et tendue resistait a la pression des spores qu’elle contenait. Lentement, a mesure que la matinee s’ecoulait, une partie de l’humidite qui conservait l’elasticite de la peau secha. La substance parcheminee se contracta.

Dans un bruit de dechirement, la peau se fendit. Et les spores comprimees jaillirent vers le ciel.

Les hommes de la tribu hurlerent et s’enfuirent. La poussiere rouge descendait dans leur direction. Ils coururent a perdre haleine. Jon et Tama etaient les plus rapides. Jak, Cori et les autres suivaient de pres. Saya, noyee dans son chagrin, trainait derriere eux.

Si Burl avait ete la, les choses se seraient passees differemment. Il avait deja un tel ascendant sur les esprits que, meme saisis de panique, les autres auraient cherche a voir ce qu’il faisait. Et lui, il aurait su eviter le nuage fatal qui derivait lentement, comme il avait su l’eviter durant la nuit.

Saya s’efforcait de suivre les autres. Elle entendit des cris de frayeur sur sa gauche et courut plus vite. Elle passa pres d’un fourre de champignons dans lequel quelque chose, soudain, bougea. La panique donna des ailes a la jeune fille. Haletante, elle fuyait au hasard. Devant elle, des lycoperdons rouges emergeaient ca et la au milieu des plantes en forme d’eventail, hautes de quatre metres, et qui ressemblaient a des eponges.

Saya fit un ecart pour se cacher au cas ou un animal pourrait la voir. Son pied glissa sur le corps gluant d’une limace. Et elle tomba lourdement. Sa tete heurta une pierre. Elle s’evanouit.

Comme mu par un signal, un lycoperdon eclata au milieu des plantes en eventail. Un nuage epais de

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